Denis Monod-Broca
11/12/2023
J’ai lu le terme de shohisme, il y a quelques années, sous la plume de Rony Brauman si je me souviens bien. Ni le terme ni l'idée qu'il exprime n’ont jamais été repris à ma connaissance par quiconque, wikipedia ne le connait pas, et je n’ai pas l’impression que Rony Brauman lui-même, si c’est bien lui qui l’avait imaginé, l’ait à nouveau utilisé.
C'est un mot terrible, au sens immédiat, univoque, un mot trop fort comme on dit d’un épice qu’il est trop fort pour être digeste : du monde chrétien est en train de naître une nouvelle religion (une nouvelle idéologie), le shohisme, sans même qu’il s’en rende compte.
Après la mort du Christ, le christianisme a fait du Juif Jésus un homme-dieu, ressuscité avant l’Ascension.
Après la Shoah, extermination du peuple juif, le shohisme fait du peuple juif un peuple-dieu, ressuscité sous l’espèce de l’Etat d’Israël.
« Auschwitz, Golgotha du monde moderne » avait dit Jean-Paul II, lui, après sa visite du camp d’Auschwitz. Autre façon d’exprimer le même constat.
La foule de Jérusalem voulut, et obtint de l’occupant romain, la mort de Jésus, accusé de vouloir être le roi des Juifs.
Jésus était innocent. Son seul tort fut, on le sait, de rappeler à ses coreligionnaires ce que disait leur religion, c’est-à-dire, en résumé, comme le dit Hillel le sage à un disciple pressé : « Ce qui est détestable à tes yeux, ne le fais pas à autrui. C'est là toute la Torah, le reste n'est que commentaire. »
Les hommes, ni les foules, n’aiment la vérité, surtout si elle contient un reproche à leur égard.
Bien qu’innocent, il fut crucifié. Ce fut la Passion.
L’horrible supplice de la crucifixion était courant dans l’empire romain. D’innombrables innocents le subirent. Seul celui de Jésus de Nazareth eu le retentissement que l’on sait. La raison d’un tel retentissement planétaire ne laisse pas de place au doute : ce supplice si injuste a été voulu par une foule juive, c’est-à-dire par une foule parmi laquelle se trouvaient des hommes qui, très vite, se rendirent compte de ce qu’ils avaient fait. Ces quelques hommes-là avaient été entrainés par la foule et son climat d’hostilité unanime, auquel même Pierre céda, mais ils se reprirent. Ils connaissaient la Loi de Moïse. Sans doute se rappelèrent-ils les paroles et les actions de celui qu’ils avaient supplicié. Ils se rendirent compte de l’horreur de ce qui s’était passé, la mise à mort d’un parfait innocent par une foule devenue folle et dont ils avaient fait partie.
Il y eut alors scission, scission irréductible, Juifs devenant chrétiens d’un côté, Juifs restant juifs de l’autre. Chacun ne pouvant que choisir son camp.
Les uns voyant en Jésus le Messie attendu, fil de dieu et dieu lui-même, les autres ne voyant en lui qu’un homme ou un prophète.
Il y eut pendant quelque temps concurrence entre les deux prosélytismes, le juif et le chrétien, puis, au début du IVe siècle, Constantin se convertit et favorisa le développement du christianisme.
L’Eglise avait gagné.
Les Juifs, eux, se dispersèrent à nouveau de par le monde
C’est là une description simplifiée de cette période cruciale, pour en faire ressortir les grands traits, à la manière d’une caricature.
Avec la reconnaissance par l’empire et l’accès au pouvoir temporel, l’Eglise, défenseur des persécutés, devint persécutrice à son tour. Elle transmit fidèlement à travers les siècles le message christique mais, bien souvent, trop souvent, en s’abstenant de mettre en application les principes qu’elle professait, ou en les trahissant purement et simplement.
A l’inverse le peuple juif, sans les professer en tant qu’issus du message christique, les mit en application, ces principes. Mosaïques ou christiques, il s’agit des mêmes principes, on le sait bien. Jésus, Juif pieux, les rappela à ceux qui les avaient par trop oubliés, à la manière des prophètes qui l’avaient précédé. Parfois il les explicite jusqu’à leurs conséquences extrêmes : aimer son prochain, c’est aimer tous ses semblables, donc c’est aussi aimer ses ennemis, donc c’est même et surtout aimer ses ennemis :
Vous avez appris qu'il a été dit : Tu aimeras ton prochain, et tu haïras ton ennemi. Mais moi, je vous dis : Aimez vos ennemis, bénissez ceux qui vous maudissent, faites du bien à ceux qui vous haïssent, et priez pour ceux qui vous maltraitent et qui vous persécutent, afin que vous soyez fils de votre Père qui est dans les cieux : car il fait lever son soleil sur les méchants et sur les bons, et il fait pleuvoir sur les justes et sur les injustes.… Matthieu 5.44
Le peuple juif, ostracisé, pourchassé, persécuté pendant des siècles et des siècles, subit son sort sans jamais prendre les armes.
Il incarnait par là-même la vérité judaïque et christique de non-vengeance, de non-violence, d’amour du prochain.
De même que la foule de Jérusalem voulut la mort de Jésus, les foules européennes voulurent l’extermination du peuple juif. Elles l’obtinrent, avec l’Allemagne nazie dans le rôle du bourreau.
Les hommes, ni les foules, n’aiment la vérité, surtout si elle contient un reproche à leur égard. La vérité incarné par le peuple juif était insupportable. Ce fut la Shoah.
Mais les auteurs du crime et leurs complices réalisèrent presqu’aussitôt, de par leur culture judéo-chrétienne, l’horreur de ce qu’ils avaient fait.
Et à nouveau il y a scission, scission irréductible, Judéo-chrétiens devenant shohistes d’un côté, judéo-chrétiens restant judéo-chrétiens de l’autre. Impossible de ne pas choisir son camp.
Le shohisme a un Temple, l’Etat d’Israël, il a un clergé, les élites sionistes américaines et européennes, il a un credo, le « droit de se défendre » d’Israël, il a un mot pour désigner ceux qui refusent son crédo, les hérétiques donc, « antisémites ».
Et c’est ainsi qu’Israël, qui se voulait le refuge du peuple exterminé, est devenu exterminateur à son tour, réitérant l’erreur de l’Eglise du Persécuté devenue persécutrice.
L’enseignement biblique est renié une deuxième fois, aussi bien par ceux qui sont étiquetés « chrétiens » ou « judéo-chrétiens » que par ceux qui sont étiquetés « juifs ».
Que va-t-il nous arriver ?
Qui reprendra le flambeau ?
Qui, quelle nation, quel peuple, saura incarner à son tour la vérité judaïque et christique, vérité anthropologique universelle, de non-vengeance, de non-violence, d’amour du prochain, seule voie pour un monde vivable ?
« Tu ne tueras pas » : soit nous comprenons cette parole, soit c’en est fait de nous.
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