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Article : L’Œdipe d’hier et d’aujourd’hui (I)

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question

sylvain michelet

  14/12/2012

Bravo pour ce texte passionnant.
Ma question est la suivante :
Je me souviens avoir mené il y a quelques années une recherche - sans doute pas assez approfondie - sur la sentence “connais-toi toi-même” que vous citez, et n’avoir trouvé nulle part, hormis dans des textes contemporains, la suite que vous ajoutez (“et tu connaitras…”).
Pourriez-vous en donner l’origine, si vous la connaisse ?
Juste un truc qui me tracasse depuis longtemps,
sans importance ni effet sur la qualité de votre papier.
Merci.

« et tu connaîtras l’univers et les dieux »

Dedef

  14/12/2012

Citation:

« Connais-toi toi-même » : cette inscription placée sur le fronton du temple de la pythie de Delphes est très célèbre. Cependant cette devise delphique, qu’on attribua à tort à Socrate, .....etc
. On oublie d’ailleurs que cette exhortation, « Connais-toi toi-même », était suivie de « … et tu connaîtras l’univers et les dieux. »

hélas

sylvain michelet

  14/12/2012

au risque de vous décevoir, non, aucun des textes anciens ni des rapports des différentes expéditions archéologiques que j’aie pu consulter ne fait état de “et tu connaîtras…”.
J’aimerais bien savoir qui a inventé cette suite…

réponse au "Connais-toi toi-même"

marc gébelin

  16/12/2012

Votre remarque demanderait un long développement.

Le souci historiographique est respectable. Le document, qu’il soit épigraphique, sous forme de statue ou de tablette est important. A ma connaissance, personne n’a jamais retrouvé l’inscription delphienne, aucune frise comme celle du Parthénon n’existe au British Muséum on dans un autre où on pourrait la lire. Elle nous est rapportée par les penseurs de l’antiquité. Mais ce n’est pas le plus important. L’important est d’essayer de penser « comme » un grec. « Connais-toi toi-même » tout seul est-ce digne d’un Grec ? Lui qui pensait avec le monde, qui ne s’extrayait pas du cosmos, qui se pensait pensant le monde, qui voyait ses idées ? *
Pour lui, se connaître et connaître le monde c’est pareil. Les deux fonctions avancent ensemble, progressent de pair, se nourrissent l’une l’autre, sont l’homme à deux jambes de l’énigme sphinxuelle, l’homme dans la plénitude de ses moyens d’homme, l’homme au firmament de sa puissance intellectuelle et morale.

Le paradoxe, la contradiction troublante, c’est que l’histoire de ces derniers 2500 ans semble avoir montré qu’il a plus facilement acquis une connaissance du monde dans lequel il est plongé, qu’une connaissance de lui-même. L’homme cartésien « maitre et possesseur de la nature » est en gestation au 5e siècle a.c, fourbit ses premières armes. Pourtant, déjà à cette époque, le conseil invitant l’homme à « se connaître » et qui parait-il était gravé au fronton du temple de Delphes, sous la forme « Connais-toi toi-même » ou sous la forme « Connais-toi toi-même et tu connaitras l’univers et les dieux », était un défi. Il mettait sur le même plan la connaissance de soi avec celle de ce qui n’est pas soi, mettant en première ligne celle de soi sensée ouvrir à la connaissance du monde et… des dieux! L’ambition était démesurée. Après tout, dans ce pays de philosophes n’aurait-on pas pu avoir le contraire: Connais l’univers (et les dieux si tu y tiens !) et tu te connaitras toi-même ! Pourquoi d’abord soi ? Pourquoi à cette époque cette exhortation à se connaître ? Avait-elle été absente avant ? Peut-on penser qu’avant elle, il n’y en avait aucune autre, d’aucune sorte ? Que d’un coup, elle aurait jailli du cœur humain comme la fleur de la terre au printemps? N’est-ce pas plutôt parce que elle déclinait cette connaissance, -ou pire, était morte- que les « autorités » de Delphes jugèrent bon de la rappeler aux hommes ? Le Liberté, Egalite, Fraternité qui trône aux frontons de nos mairies, témoigne-t-il de l’existence ici et maintenant de ces trois sœurs ou évoque-t-il un bel idéal mais parfaitement inaccessible? Qu’en était-il à Halicarnasse, à Sparte, à Athènes, de cette connaissance-de-soi? Enfin, comment comprendre que la connaissance du monde dût passer par la connaissance de soi ? Si ce n’est parce que pour les hommes de cette époque la connaissance de soi ouvrait à la connaissance du monde, étaient homothétiques, puisque le monde et l’homme sont faits de la même argile, des mêmes 4 éléments terre, eau, air et feu ? Pourquoi ce devoir ? Qui est ce Soi ? Qui sont ces Moi sur la terre qui posent la question de savoir qui ils sont ? Ne pouvons-nous pas dire à l’inverse que si la connaissance du monde s’est développée jusqu’au point atteint aujourd’hui, c’est précisément parce que l’homme a fait l’impasse sur la connaissance de lui-même, qu’il s’est intéressé d’abord et un peu trop au monde? Qu’il a oublié son Grec, qu’il le fait marcher sur la tête ? Un peu comme lorsqu’il prétend descendre de « sa démocratie » ? Quand Dédale invente la scie en observant les dents si particulières du poisson, pense-t-il à se connaître? Sans doute que non au sens que nous donnons à ce mot, mais observant le monde et inventant les outils de l’homme, il crée le monde humain et le pense, et se pense le pensant. Et comme les deux sont quand même inexplicables, il y ajoutera le dieu, puissance invisible mais dont l’hypothèse n’est pas plus absurde que celle qui consiste à dire que les pensées sont le résultat de processus bio-chimiques et électromagnétiques qui se produisent dans et entre les cellules, processus d’où naitrait la pensée? A contrario, y a-t-il de nos jours des hommes ordinaires supérieurs à Socrate ou Platon sur le plan de la connaissance de soi? Peut-être quelque uns (les humains ignorent volontiers l’abime de leur ignorance), mais ne sont-ils pas innombrables nos contemporains qui, à raison, s’estimeraient supérieur à Socrate sur le plan de la connaissance objective du monde ? Ce monde de Matière qui, plus on le connait, plus il nous échappe ? Le meilleur exemple n’est-il pas la structure atomique de la matière qui nous rend si fiers de nous-mêmes depuis qu’un jour de 1943, en plein cœur de Chicago, fut réalisée la première fission nucléaire, la destruction de ce noyau soi-disant a-tomos qui produit soit des bombes, soit cette belle lumière électrique qui illumine nos maisons et accroit la force de notre veille et de notre intelligence au chevet précisément du Monde ? Quand la première bombe A a explosé à Alamogordo, Oppenheimer a dit : « Nous avons fait le travail du diable ». Le diable n’est-il pas un dieu ?
Si la pensée grecque se fût développée sur les prémices que je viens d’essayer de caractériser, le précepte delphique de se connaître soi et le monde et les dieux, eût fait qu’un Freud par exemple n’aurait pas eu besoin de venir au monde.
Quand Ulysse revient à Ithaque, il rencontre vraiment Athéna en rêve et c’est un rêve éveillé, le rêve de celui qui était le plus intelligent de tous les Grecs, qui avait subjugué monstres, ogres et sorcières et qui voyait la forme de ses pensées, eidốs, sous la forme d’Athéna, comme Socrate voyait les siennes sous la forme de son daïmon. C’est seulement Aristote qui arrêtera de rêver le monde vrai et en fera du pur concept. Là, le connais-toi toi-même est bu, descendu aux enfers comme Coré. Son retour sur la terre au printemps prendra encore des siècles. Ne restaient que les dieux devenus eux-mêmes des concepts. Arès, dieu maladroit et colérique de la guerre, deviendra « agressivité » à Vienne au tournant du 19e et du 20e siècle. Athéna, elle, optera pour Sun Tsé.
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Note
* εἶδον, eidon : « il voit » en grec.
eidốs, dérivé de eidon, se traduit par idée, apparence, forme. Le Grec « voit » ses idées. Le verbe voir est pour lui une sorte de verbe penser. Le Grec ancien “pense par la vue”, voit ses pensées !

le Guardian, la Syrie et le Chaos-système

dominique Muselet

  28/12/2012

L’article est paru sur Oulala avec les parties anglaises traduites:
http://www.oulala.info/2012/12/le-guardian-la-syrie-et-le-chaos-systeme/

Freud-TINA

Jean Lemoine

  03/01/2013

J’ai pris le temps de me refaire une culture psychanalytique avant de débuter la lecture de votre série.

Je n’ai sans doute pas l’esprit assez poète pour comprendre où vous voulez en venir (à moins que cela ne se résume à l’existence d’une constante chez l’Homme, ce qui me paraît un peu court), mais deux choses me chagrinent et gâchent le plaisir que j’ai à vous lire :
- Freud a raison, quoi qu’ait écrit Sophocle. C’est tout de même triste que Sophocle se soit donné la peine d’écrire une histoire si riche et si contraire au conclusion de Freud, pour rien.
- Freud est le seul à avoir raison car il est inévitable.
Enfin, en clair dans votre conclusion, l’OEdipe de Freud fait foi car “There Is No Alternative”.

Personnellement, je me lasse vite du TINA. Surtout quand l’alternative (Sophocle) crève les yeux.

Pour moi, Freud est un peu comme Bohr en physique : il a permis des avancées spectaculaires dans son domaine en énonçant des erreurs.