Forum

Article : Le climat et les raisons de Donald Trump

Pour poster un commentaire, vous devez vous identifier

Morale ou raison?

Patrick ALLARD

  05/06/2017

Vous concluez votre article en disant que le problème est exclusivement moral. Même si vous évitez l’outrance qui prévaut sur le sujet, il me semble que vous vous trompez profondément dans votre conclusion.
Je me dois de vous accorder que vous traitez D Trump avec plus d’égards que presque tous les commentateurs, même si vous concluez comme eux. Vous prenez même la peine de l’écouter, un peu, alors qu’on a droit qu’à des caricatures produites par des gens qui n’ont entendu qu’une demi phrase extraite d’un discours par un autre média, et vous lui accordez qu’il n’est pas irrationnel pour un dirigeant de se préoccuper du bien de ses concitoyens. Pour autant il me semble que vous ne lui faites pas complètement justice.
 Trump ne croit sans doute pas à la thèse du réchauffement climatique anthropique mais son argumentaire ne se fonde pas sur cet aspect : il s’en prend à la rationalité de l’accord et il tente de démontrer que celui ci n’aura pas les effets qu’il prétend avoir.
Il dit en substance que, selon les projections du GIEC, le résultat de ces accords serait que, en 2100, la température serait peut-être moins élevée de 0,2° que s’ils n’avaient pas été appliqués. Et cela au prix d’une baisse d’activité importante aux USA (selon une étude qu’il détaille longuement) et de la perte de millions d’emplois.
Il ne dit pas qu’il n’a pas été élu pour préserver l’environnement, il dit au contraire que les USA ont le standard le plus élevé et qu’ils veulent le conserver, et qu’ils veulent aussi un environnement de la meilleure qualité possible. Ce qu’il trouve aberrant c’est de transférer des activités depuis les USA vers des pays aux normes moins élevées, et en plus de les aider financièrement, ce qui aurait au final un effet inverse de polluer plus pour produire les mêmes choses, tout en coutant de l’argent aux USA.
Alors c’est vrai qu’il les considère comme des concurrents et que pour lui il y a bien une compétition économique (notamment avec la Chine, qui n’a aucun engagement avant 2030, et qui peut donc facilement se parer de vertu), mais pour nous aussi, sauf que sur ce sujet sacré nous faisons comme si elle n’existait pas.
(On pourrait toujours contester ses chiffres et ses analyses, mais il me semble que ce n’est pas le coeur de la critique qui lui est faite)
Donc il nous explique dans un discours construit et argumenté d’une demi heure qu’il n’est pas raisonnable de s’imposer des contraintes qui n’auront que peu d’effet voire un effet négatif sur le but soi-disant recherché.
Ce qui le choque, c’est que sous couvert d’environnement, on veuille rétablir la justice, mais une justice à laquelle en fait il n’adhère pas.
Le déchainement de fureur qui a suivi son refus d’adhérer à un traité qui de toutes façons n’avait pas été ratifié est incroyable. Tous les gardiens de la planète qui luttent chaque jour contre les pesticides, les OGM, la pollution chimique, la destruction des océans, des forêts… se sont ligués contre lui. Vous y croyez vous à l’ardeur de l’engagement de Merkel, Micron ou Juncker pour l’environnement? Pas moi. Personnellement, il me semble que si tous nos  dirigeants avaient tellement à coeur les générations futures, il y aurait énormément de choses qu’ils pourraient entreprendre maintenant. Au lieu de quoi ils se concentrent sur un problème qui n’aura de conséquences incertaines que dans un avenir très lointain. C’est devenu une juste cause qui nous permet d’être dans le camp du Bien à peu de frais (puisque de toutes façons personne ne sera là pour voir les effets de ces politiques).
Au fond on n’écoute pas le discours rationnel de DT. Parce qu’il ne s’agit pas d’un problème logique mais d’un problème moral. Donc ils présupposent que l’Etat doit être gouverné non selon la Raison mais selon leur version de la Vertu. Et c’est D Trump, sincèrement chrétien je pense qui refuse de se plier à ce qui lui semble une fausse morale.
Il me semble que ce que Ph G écrit sur l’affectivisme se rapporte justement à cela . Je voudrais seulement insister sur le côté religieux la chose.
Vous en appelez à la morale personnelle de Trump, parce que vous pensez qu’un chrétien doit adhérer à la thèse du RCA. Et que le pape est fondé à se prononcer sur le sujet. J’ignore quelles sont vos convictions religieuses, mais nombreux sont ceux qui, bien que rejetant férocement le catholicisme, vous enjoignent de vous plier à leur interprétation des écritures sur tel sujet, pour autant que ça les arrange (comme un homosexuel qui dirait : Jésus a dit « aimez vous les uns les autres » comme justification à ses moeurs). Je pense que le pape s’égare, il devrait s’occuper seulement de la vie éternelle. Il pense peut-être gagner des fidèles en adhérant à cette nouvelle mais fausse religion, qui a un appareil de propagande plus efficace que la sienne, mais il n’a rien à faire ici. Vous dites une religion universelle qui s’impose aux croyants de toutes les religions et aux athées (ce n’est plus un problème scientifique, puisque nous n’avons plus le droit d’en débattre). Quiconque doute risque l’excommunication.
Plus profondément, dans notre société qui a perdu la foi individuelle, et où l’Etat s’hypertrophie de plus en plus, nous transférons à ce dernier le soin d’être vertueux à notre place, pensant ainsi gagner notre salut.
 La vocation de la religion, c’est le salut individuel. La vocation de l’Etat est d’un autre ordre: peut-être d’assurer la stabilité et la prospérité du groupe humain dont il est l’expression, mais il n’est en aucun cas soumis aux injonctions morales de la même manière que les individus, puisqu’il n’a pas d’âme. Le dirigeant se doit de trancher pour lui-même entre son salut personnel et le devenir de la collectivité dont il a la charge.  
Rodrigo Duterte, le président des Philippines, l’a exprimé avec une force peut-être brutale mais au moins sensée: « Je m’en fous de brûler en enfer du moment que le peuple que je sers vit au paradis »( Les évêques philippins trouvant que ses manières envers les trafiquants de drogue étaient trop expéditives). L’empereur Constantin se fit baptiser avant de mourir bien qu’il ait été converti depuis plus de 30 ans, parce qu’à l’époque les compromis de l’existence apparaissaient plus clairement qu’aujourd’hui, et donc une vie sans tache depuis le baptéme jusqu’à la mort, qui semblait s’imposer pour un chrétien à l’époque, était impossible, surtout pour un empereur .
Nos gouvernants, s’étant débarrassés du fardeau du choix de l’avenir (puisqu’ils agissent en permanence au nom du Bien), tentent de justifier leur inanité en nous faisant leurs complices obligés. Et tout est  bon pour nous réduire au silence, quand nous réalisons qu’ils ne remplissent plus leur rôle. Les prêtres du nouveau culte nous accablent  d’injonctions morales, auxquelles nous devrions nous conformer :
nous devons expier nos pêchés contre la nature en abandonnant nos voitures, nous devons expier nos pêchés envers les pays du tiers monde en accueillant quiconque voudrait s’installer ici,…
Cette culpabilité suppose une responsabilité collective qui n’aurait pas de fin. Nous sommes éternellement coupables d’être nés occidentaux.
La morale chrétienne est plus prudente: les enfants ne sont pas responsables des pêchés de leurs parents.
De plus le pêché  est désormais inexpiable et ne peut être remis, puisqu’il n’y a plus de sauveur. Nous serons éternellement malheureux. Le paradis frelaté de nos dirigeants nous fait vivre en enfer.
J’oserais dire que notre passion pour le RCA et l’accueil des réfugiés sont l’expression de notre désespoir de ne plus avoir de voie vers le Salut. Peut-être ce sentiment est il manipulé par certains, mais je pense qu’il est partagé par beaucoup, notamment à gauche, où l’on a perdu la perspective de l’avènement d’une société meilleure (à laquelle les dirigeants des partis ne font même plus semblant de croire), qui avait pris la place des religions pour les non croyants.
On enlève les décisions politiques du champ de la raison, nous n’aurons ni Salut ni prospérité.

Publier votre texte sur le site ?

Alexis Toulet

  06/06/2017

A Patrick Allard,

Merci pour votre réponse très argumentée et très fouillée. Je ne suis pas d'accord avec l'ensemble de ce que vous avancez, je n'ai malheureusement pas le temps maintenant de développer, mais je voudrais faire une suggestion à Philippe Grasset, bien évidemment si vous l'approuvez de votre côté.
Il me semble que votre texte pourrait être lu avec profit par l'ensemble des visiteurs du site, dans l'idée d'alimenter le débat - ou du moins la variété des points de vue sur ce qui est indéniablement l'un des faits majeurs du temps. Si Philippe Grasset est du même avis, pourquoi ne pas le publier comme texte indépendant ?

Bien à vous,


Alexis Toulet