Christian Feugnet
12/02/2019
J'ai hate de confronter .. Je pars d'un domaine opposé : la finance .
Aussi je ne publie pas , çà me créerait de la concurrence donc à partager mes gains . Partager ses idées , grace à la littérature c'est plus noble donc moins lucratif .
jc
14/02/2019
PhG: "Ce combat, à l’heure où j’écris ce que lit ici le lecteur, – je crois pouvoir dire décembre 2018-printemps 2019 pour les corrections, – a une autre envolée, une issue inattendue avant même d’être tranché. Je ne veux surtout pas parler de ce mauvais jeu de mots qui serait de parler d’une “issue de secours”, mais bien autrement, d’une envolée vers les cieux… Ici, je veux parler de la nostalgie, c’est-à-dire en vérité introduire l’une des poutre-maîtresses, ma propre Voie Sacrée si l’on veut bien m’accorder cette expression, de ce Troisième Tome de La Grâce."
Le lecteur attentif de Philippe Grasset -et j'essaye d'en être un- aura noté chez lui le recours à un vocabulaire qui peut laisser perplexe ceux qui ont reçu une formation scientifique (pour moi c'aura plutôt été un formatage scientiste): "Intuition haute", "Âme poétique", "Grâce", "Voie Sacrée", "Bien", "Mal", "Diable", etc.
("Issue de secours thomienne à l'envolée de PhG vers les cieux" est un titre plus complet, fil rouge de ce qui suit -qui s'adresse plutôt aux "scientifiques", mais je l'espère, pas seulement-.)
De même que PhG je suis convaincu qu'il faut faire un saut métaphysique pour s'extraire des griffes de la pensée-Système (pragmatisme, positivisme, etc.) et espérer ainsi mettre fin à cette contre-civilisation délirante. (PhG: "La sagesse aujourd'hui, c'est l'audace de la pensée"; il faut effectivement une audace certaine pour s'opposer ainsi au Système.)
Thom qualifie de minimale et de réaliste la métaphysique qu'il propose pour redonner du sens au monde (qui en a bien besoin), métaphysique que j'oppose à celle, plus traditionnelle, que propose PhG (que j'aurais tendance à qualifier de maximale et idéaliste…). Lorsque Galilée écrit que "Le livre de la Nature est écrit en langage mathématique", il indique une coupure -la fameuse coupure galiléenne- entre le langage mathématique et le langage naturel: il se crée alors une science mathématisée, qui s'auto-décrète objective et contraint la philosophie -au moins une certaine philosophie- à se réfugier dans la forteresse de la subjectivité. Au dire de Thom lui-même l'ambition ultime de la théorie des catastrophes "est d'abolir la distinction langage mathématique-langage naturel qui sévit en science depuis la coupure galiléenne".
PhG conclut son papier en nous indiquant en quoi le "9/11" a scellé son destin. Ma prétention¹ sur ce site est de convaincre que les visions que Philippe Grasset et René Thom ont du monde ne sont pas si éloignées qu'on pourrait le penser de prime abord, ma prétention ultime étant d'aider à faire prendre conscience de la possibilité de rapprochement entre le monde traditionnel², celui auquel PhG se réfère constamment, et le monde moderne² né de renaissance (si mal nommée car pouvant être vue comme la naissance de notre contre-civilisation), autrement dit en termes politiques, entre les conservateurs et les progressistes.
La théorie thomienne des catastrophes se veut une théorie de l'analogie³. Pour Thom il faut libérer sa pensée du diktat positiviste: comparaison n'est pas raison. Pour lui le saut métaphysique -minimal et réaliste- est là: "Je crois que l'acceptabilité sémantique (en dépit de son caractère apparemment relatif à la langue considérée) a en général une portée ontologique: "Toute analogie, dans la mesure où elle est sémantiquement acceptable, est vraie". C'est là, je crois, le principe de toute investigation métaphysique."
Pour fixer les idées à très gros traits je vois un Philippe Grasset logocrate et plutôt idéaliste (ciel à ciel) opposé à un René Thom topocrate -néologisme maison- et plutôt matérialiste (terre à terre). Un conflit logos-topos dissimulé derrière le conflit matière-forme annoncé par PhG à la fin du tome II par la citation de Daniel Rops (à propos du "Balzac" de Rodin): "Dans cette lutte prodigieuse entre la matière rétive et la volonté créatrice"?
L'effondrement des tours jumelles le 9/11 m'a fait penser à l'effondrement du simulacre de Jérusalem céleste érigé par notre contre-civilisation, et m'a donc incité à relire les chapitres XXI "Caïn et Abel" et XXIII "Le temps changé en espace" du "Règne de la quantité..." vus dans le cadre du conflit Nature/Culture qui se solde par une défaite de la Culture (Caïn).
Guénon note au chapitre XXIII:
"Ainsi, un "retournement" s'opère en dernier lieu contre le temps et au profit de l'espace; au moment même où le temps semblait achever de dévorer l'espace, c'est au contraire l'espace qui absorbe le temps; et c'est là, pourrait-on dire en se référant au sens cosmologique du symbolisme biblique, la revanche d'Abel sur Caïn."
et (en note de bas de page):
"Il est à remarquer que si l'on parle communément de "fin du monde" comme étant la "fin du temps", on n'en parle jamais comme de la "fin de l'espace"; cette observation, qui pourra sembler insignifiante à ceux qui ne voient les choses que superficiellement, n'en est pas moins très significative en réalité."
Guénon topocrate?
J'ai hâte de lire le tome III.
Remarque finale:
Guénon parle dans le chapitre XXIII précité de "temps dévorateur qui finit par se dévorer lui-même". Le thomien appliqué que j'essaye d'être ne manque pas de faire l'analogie avec d'autres assertions de nature translogique telles que "Le prédateur affamé est sa propre proie" que Thom voit à la base de l'embryologie animale, et "Le capitalisme affamé est sa propre proie", 9/11 et World Trade Center obligent. Je ne vois pas en quoi elles pourraient être sémantiquement inacceptables.
¹: Pour moi un prétentieux est un ambitieux qui n'est pas à la hauteur de son ambition.
²: Thom: "(...) une vision plus claire du programme métaphysique de la théorie des catastrophes: fonder une théorie mathématique de l'analogie, qui vise à compléter la lacune ouverte par Galilée entre quantitatif et qualitatif."
³: Thom: "(...) la théorie des catastrophes élémentaires est, très vraisemblablement, le premier essai cohérent (depuis la logique d'Aristote) d'une théorie de l'analogie. Lorsque des scientifiques d'esprit étroit objectent à la théorie des catastrophes de ne pas donner plus que des analogies ou des métaphores, ils ne se doutent pas qu'ils énoncent le véritable dessein de la théorie des catastrophes, lequel est de classer tous les types possibles de situations analogues."
jc
15/02/2019
Dans mon précédent commentaire j'ai opposé -avec l'espoir de les réunir- le progressisme des modernes au conservatisme des traditionalistes. Or, en lisant le TC-69 je suis tombé sur la citation d'Evola, qui m'a renvoyé au tome II de "La Grâce de l'Histoire", où cette citation est faite plusieurs fois, en particulier p.342, où elle est éclairée par un propos d'un dénommé Daniel Vouga: "Progresser pour eux [les antimodernes, les traditionalistes] ce n'est pas avancer ni conquérir, mais revenir et retrouver… [...] Le progrès donc, le seul progrès possible, consiste à vouloir retrouver l'unité perdue [le noyau transcendant d'Evola?]...".
Pour moi les "grands" physiciens modernes (Einstein, Newton, Képler, etc.) sont bien des antimodernes au sens où ce sont des métaphysiciens qui ont réussi à unifier des connaissances qui étaient auparavant éparses, qui ont réussi à réduire l'arbitraire de la description -pour reprendre une expression favorite de Thom. Ainsi sont pour moi antimodernes ces physiciens contemporains qui recherchent l'unification des -quatre?- forces fondamentales.
Il me semble que le progressisme-Système actuel¹ est à l'exact opposé. Progresser dans l'esprit du Système actuel c'est en effet, selon moi, détruire des liens, c'est hacher menu, c'est discrétiser (01 01 01 ...) pour pouvoir l'inputer dans la quincaille².
Il est clair pour moi que cette tentative de retrouver l'unité perdue n'est possible que pour un penseur du continu car il s'agit de renouer des liens qui ont été rompus. Pour Thom la mathématique est la conquête du continu par le discret et dans un cadre plus général c'est l'opposition discret-continu qui domine la pensée (et, selon moi, l'opposition logos-topos n'en est pas loin). Qu'a donc le langage naturel, le langage traditionnel, de si mystérieux qu'il puisse rendre compte de ce que ne peuvent pas faire les langages formels, les langages artificiels? Esquisse de réponse dans le tome III de "La Grâce"?
Thom:
"Je suis convaincu que le langage, ce dépositaire du savoir ancestral de notre espèce, contient dans sa structure les clés de l'éternelle structure de l'Être".
"Le grand vice du structuralisme est son caractère discret, qui ne lui permet pas de prendre en compte les variations continues des formes, en particulier leur mouvement."
"Aucune théorie un peu profonde de l'activité linguistique ne peut se passer du continu géométrique (relativisant ainsi toutes les tentatives linguistiques qui fleurissent chez les Modernes)."
"(...) l'existence du continu apparaît comme une donnée primordiale. C'est par elle, croyons-nous, que s'opère la jonction entre la description langagière d'Aristote et la description mathématisée de la Physique post-galiléenne."
¹: Ismaël Emelien, conseiller spécial d’Emmanuel Macron, vient d'annoncer sa démission; il assure partir en raison d’un livre qu’il s’apprête à publier « sur le progressisme »... Wait and see.
²: "Au sens informatique, le terme quincaille a été proposé par Louis Armand, un scientifique français, dans les années cinquante, pour franciser hardware." (Wikipédia)
jc
15/02/2019
Apologie \a.pɔ.lɔ.ʒi\ féminin
Paroles ou écrits destinés à justifier ou à défendre quelqu’un ou quelque chose. (Wiktionnaire)
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Pour moi l'opposition logos/topos renvoie à l'opposition aristotélicienne matière/forme (sinon la recouvre presqu'exactement) et donc au "Dans cette lutte prodigieuse entre la matière rétive et la volonté créatrice" de Daniel Rops cité à maintes reprises dans le tome II de "La Grâce de l'Histoire" dont PhG écrit (p.332) que "Notre hypothèse est désormais qu'il s'agira d'un des thèmes majeurs, sinon du thème majeur du Premier Cercle, le troisième tome de La Grâce."
Après relecture (une fois de plus) de l'envoi de "Apologie du logos" de René Thom, je me suis convaincu encore plus qu'il s'agit en fait d'une apologie du topos (ce qui n'est pas étonnant de la part d'un mathématicien de formation et topologue de sensibilité), le "Ce n'est pas un hasard si, finalement, l'une des meilleures applications de la théorie des catastrophes est encore le modèle de l'agressivité du chien proposé par Christopher Zeeman. Malgré son caractère non quantitatif, qui a suscité la dérision des scientifiques professionnels, il a l'avantage inestimable de montrer ce qui fait la supériorité d'un modèle géométrique sur une construction conceptuelle. Expliquer linguistiquement son contenu oblige à des paraphrases compliquées dont la cohérence sémantique n'est pas évidente." ne laissant, selon moi, guère de place au doute: pour moi Thom se pose là clairement en topocrate.
Thom commence son envoi en mettant l'accent sur l'ambiguïté du terme "logos". J'ai introduit les néologismes topos et topocrate pour lever cette ambiguité¹. Dans la fin de cet envoi (ci-dessous) il faut donc, pour l'intelligibilité de mon propos, remplacer le début ("Ces deux pentes du logos") par "Ces deux pentes, celle du logos et celle du topos":
"Ces deux pentes du logos manifestent sans doute une distinction irréductible entre deux modes d'appréhender l'existence. Le mode métaphysique, celui d'Aristote -l'être comme acte² ("on agit comme on est" dit saint Thomas)-, et le mode géométrique: la forme visible dans l'étendue. Ces deux modes existent bel et bien l'un et l'autre, et à leurs frontières subsiste un no man's land où se déploient les catastrophes. L'exploration de ces marches où se heurtent vouloir [volonté créatrice] et étendue [matière rétive], n'est pas chose aisée (...)."
René Thom le topocrate face à Philippe Grasset le logocrate en filigrane du tome III?
¹: Ce topos n'a rien à voir avec les topos de Grothendieck.
²: Pour moi l'être en puissance aussi: on ne fait pas qu'agir comme on est, on pense également comme on est).
jc
16/02/2019
Dans mon précédent commentaire (Apologie du topos) j'ai introduit les néologismes de topos et de topocrate en notant que "Ce topos n'a rien à voir avec les topos de Grothendieck".
Bien avant Grothendieck Aristote a lui aussi, dans sa Physique¹, proposé une théorie des topos, à savoir sa fameuse théorie des lieux. Pour un certain commentateur² il y a chez Aristote deux systèmes incompatibles. Thom semble être de cet avis qui écrit:
"Il me semble qu'il y a au coeur de l'aristotélisme un conflit latent (et permanent) entre un Aristote logicien, rhéteur (voire même sophiste, quand il critique Platon et les Anciens) et un Aristote intuitif, phénoménologue et topologue malgré lui. C'est avec ce second Aristote que je travaille, et j'ai tendance à oublier le premier. Il a espéré faire la jonction à l'aide du concept de séparation, fondamental dans sa métaphysique." (ES p.245)
Dans un résumé de cette Physique d'Aristote³ je trouve la citation suivante:
"Le lieu est quelque part, non pas comme dans un lieu, mais comme la limite est dans le limité".
Or en topologie (étymologiquement l'étude des lieux), un lieu pour lequel "la limite est dans le limité" est ce qu'en topologie mathématique on appelle un fermé. On peut donc raisonnablement se poser la question de savoir s'il y a un rapport avec les topos de Grothendieck. Or il se trouve que la notion de topos de Grothendieck généralise la notion d'espace topologique en s'appuyant sur la notion d'ensemble ouvert (ensemble dont le complémentaire est fermé), oubliant la notion d'ensemble fermé. Je ne sais pas pourquoi Grothendieck n'a pas choisi de suivre -a choisi de ne pas suivre?- la voie suggérée par Aristote⁴.
Où situer PhG dans tout ça? PhG est -et se proclame- logocrate, mais je suis convaincu que la logique en général et les arguties logiques ci-dessus en particulier ne l'intéressent pas. Je crois ne pas beaucoup me tromper en disant que PhG s'intéresse à l'âme du lieu, c'est-à-dire à son centre organisateur, à son logos⁵: si les français ont gagné la bataille de Verdun c'est parce qu'ils avaient un supplément d'âme…
(Pour le fun. Dans le résumé de la Physique d'Aristote précité³, figure la citation suivante:
"si rien n'y fait obstacle, chacun se porte vers son lieu propre, l'un en haut, l'autre en bas."
Il me paraît clair que le lieu naturel de PhG est en haut (référence constante à l'intuition haute, citation d'Evola et de son "elle s'élève verticalement hors du temps en direction du noyau transcendant", etc.). Il me paraît non moins clair que le lieu naturel de Thom est en bas: "au fond insaisissable du logos héraclitéen de notre âme" de l'épilogue de SSM ainsi que la citation de Al-Kindi en épigraphe de l'envoi de AL par exemple, en témoignent). "Et lux in tenebris lucet" pour PhG vs "Centre, bord obscur" pour Thom…)
Plus sérieusement. Dans les deux dernières parties de la conclusion du tome II de la Grâce PhG ne cesse de faire référence à l'éternité (c'est-à-dire pour moi "au temps qui passe, immobile" que Samuel Beckett a mis dans la bouche de l'un de ses personnages). J'ai mis longtemps à comprendre de quoi il retournait, mais maintenant ma conviction est faite: PhG parle du temps qui s'écoule pour un être au repos dans son lieu naturel. Or Thom écrit ceci dans son article "Structure et fonction en biologie aristotélicienne" (à propos duquel il écrit en chapeau "C'est probablement l'un des exposés les plus complets du programme de constitution d'une biologie théorique"):
"On peut métaphoriquement représenter le concept de fonction par une fronce d'hystérésis associée à l'opposition de deux temps: un temps "atemporel", une éternité vide d'événements, ce que les Anciens Grecs appelaient aïon; et un temps qualitativement spécifié, chronos, qui est porteur d'événements catastrophiques, et où se déroule l'exécution d'actes." (AL p.257)
Suit une figure similaire au cycle de Carnot (cher à François Roddier) où l'aïon joue le rôle de la source froide (le repos "en puissance") et le chronos la source chaude (l'action "en acte"), l'âme de la fonction, son logos, trônant au centre du cycle. (Âme de la fonction qui est aussi la fonction de l'âme si l'on suit la célèbre métaphore aristotélicienne: "L'âme est au corps ce que la vue est à l'oeil"...)
Thom poursuit l'article en décrivant la situation fonctionnellement la plus simple, à savoir la locomotion, ce qui a pour effet de nuire grandement au ton général -poétique et nostalgique- de la conclusion du tome II. Peut-être l'article pourrait-il néanmoins inspirer l'âme poétique du nostalgique PhG?
Aristote, Heidegger, Thom, Grothendieck: je trouve Philippe Grasset en fort bonne compagnie: j'ai vraiment hâte de lire le tome III.
¹: Considérée par Heidegger comme "le livre fondamental de la philosophie occidentale", et à propos de laquelle Thom écrit: "Les livres II et III de la Physique d'Aristote constituent à mes yeux l'un des sommets de l'esprit humain".
²: D.W. Graham: "Aristotle's two systems".
³: https://www.erudit.org/fr/revues/philoso/2010-v37-n1-philoso3706/039718ar/
⁴: Voie qu'ont proposé de suivre (sans se référer à la théorie aristotélicienne des lieux) les philosophes(?) belges Lambert et Hespel dans leur article "De la topologie de la conciliation à la logique de la contradiction" (disponible en pdf sur la toile). Voie qui me semble tout-à-fait intéressante mais qui impose de faire le choix de l'abandon du principe aristotélicien de non contradiction -choix fait par Thom- alors que Grothendieck a fait le choix de l'abandon du principe du tiers exclu -c'est-à-dire le choix de l'intuitionnisme-.
⁵: Thom propose de désigner ainsi le centre organisateur en hommage à Héraclite.
⁶: Thom: "ils [nos modèles] dissolvent l'antinomie de l'âme et du corps en une entité géométrique unique." (SSM, Conclusion)
jc
17/02/2019
Je considère ce forum comme un divan psychanalytique -Rantanplan en psychanalyse…-. Encouragé par Philippe Grasset lui-même ("La sagesse aujourd'hui, c'est l'audace de la pensée") et par René Thom ("La voie de crête entre les deux gouffres de l'imbécillité d'une part et le délire d'autre part n'est certes ni facile ni sans danger, mais c'est par elle que passe tout progrès futur de l'humanité"), j'essaye ici -en commentaire de cet article précisément- de mettre au propre des propos parfois un peu débridés tenus dans mes nombreux commentaires qui inondent ce forum. Dans cet article précisément car, après tout, c'est bien une mise au propre que PhG nous livre ici: question de respect.
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Est-ce qu'on parle parce qu'on pense, ou, à l'inverse, est-ce qu'on pense parce que l'on parle? Dans le chapeau de cet extrait du tome III PhG nous confirme ce qu'il écrivait dans "Le désenchantement de Dieu": "La plume, vous dis-je, guide la main et oriente l’esprit : au moment crucial il n’y a qu’à suivre, c’est elle qui décide". Pour moi -et pour beaucoup, je crois-, on commence par penser, par ruminer consciencieusement et pesamment, et c'est seulement alors, une fois la rumination terminée, que l'on exprimer nos pensées par des mots, clairement si possible. Il semble donc que PhG rumine inconsciencieusement. Je crois que c'est ça, un véritable logocrate, c'est quelqu'un qui pense sans avoir conscience de penser, qui exprime cette pensée par des mots et qui réécoute ou relit ce qu'il a dit ou écrit pour comprendre ce qu'il a dit ou écrit. Extrait du "Désenchantement de Dieu": "Il suffit d’un mot, d’une phrase, d’une citation à placer en tête, la chose inspiratrice qui ouvre la voie et là-dessus se déroule le texte, à son rythme, entièrement structuré, avec sa signification déjà en forme et en place. Je n’ai rien vu venir et j’ignore où je vais, mais j’ai toujours écrit d’une main ferme et sans hésiter… et toujours, à l’arrivée, il y avait un sens, une forte signification, le texte était devenu être en soi… C’était un instant de bonheur fou.".
Cette façon d'opérer me fascine, comme me fascine le dernier chapitre de SSM 2ème ed. (1977), profondément remanié par rapport à la première édition, qui traite de la pensée, du langage et de ses automatismes. Je sens confusément -tel Rantanplan- qu'il y a là quelque chose d'une profondeur abyssale…
Dans mes commentaires débridés j'ai autrefois traité PhG de bien des noms (j'ai souvenir de "mystisque" et de "illuminati"). Mais s'il fallait, au propre, le qualifier en deux mots, je choisirais aujourd'hui "métaphysicien naturel" (oiseau rare face aux métaphysiciens culturels, professionnels, sorbonnards, salonards, éventuellement subventionnés par la CIA, etc., qui, eux, sont légion¹).
(En consultant l'article "Métaphysique" de Wikipédia, on trouve -page de discussion- le commentaire suivant:
"Mais où est René Guénon? Parler de métaphysique sans jamais citer le nom de Guénon, c'est comme parler de football et ignorer Zidane.". J'aurais rajouté: mais où sont les "grands" scientifiques, les Einstein, Newton, etc.? Pour moi Grothendieck est clairement un métaphysicien, peut-être même un métaphysicien naturel -cf. son "La clef des songes", sous-titré "Dialogue avec le bon Dieu"; ce sous-titre suggère qu'il est un logocrate plutôt qu'un topocrate -suggestion confortée par le fait que c'est pour résoudre des problèmes, disons, d'arithmétique, que Grothendieck -pour moi le Pythagore des temps modernes- a créé/inventé/découvert la notion de topos-)
Thom a écrit un article "Philosophie de la singularité" (AL) qui situe la problématique initiale de mon commentaire dans le cadre général de l'opposition discret/continu (qui, selon Thom -topocrate penseur du continu- domine toute la pensée):
"L'opposition entre la singularité créée comme défaut d'une structure propagative ambiante et la singularité qui est source de l'effet propagatif lui-même, pose un problème central que l'on retrouve dans presque toutes les disciplines scientifiques. La physique contemporaine admet plutôt le premier [le deuxième?] aspect: la particule est source d'un champ qu'elle génère. En relativité générale, la particule apparaît plutôt comme la singularité d'une métrique de l'espace-temps. On retrouve ici l'aporie fondamentale du continu et du discret qui est au coeur de la mathématique. On la retrouve jusqu'en psychologie: est-ce que nous parlons parce que nous pensons, ou, au contraire, est-ce que nous pensons parce que nous parlons?".
Pour Thom, penseur du continu, nous parlons parce que nous pensons (d'où le titre "Pensée et langage" du dernier chapitre de SSM, contrairement au bouquin "Le langage et la pensée" -que je n'ai pas lu- de Chomsky); plus précisément nos paroles et nos mots, sont pour lui les singularités d'une structure propagative particulière, une chréode (cf. SSM 2ème ed. p.115). De ce point de vue PhG aurait la faculté "innée" de pouvoir reconstituer la structure propagative, donc le sens, à partir de ses singularités, c'est-à-dire de ses mots².
Le 9/11 comme défaut d'une structure propagative ambiante ou comme source de l'effet propagatif lui-même? Le topocrate Thom verrait sans doute le 9/11 comme un défaut d'une structure propagative; et donc(?) le logocrate Grasset devrait le voir comme source de l'effet propagatif lui-même (ce qui a effectivement l'air d'être le cas, l'effet propagatif étant pour PhG un réveil de l'idéal de puissance de l'américanisme -effet Verdun "totalement inversé"³-).
Une structure propagative dans l'esprit de Rodin (la volonté de créer son "Balzac") qui entre en conflit avec une matière elle-même source d'un autre effet propagatif qui lui résiste? Thom écrit ce qui suit, je subodore à ce propos, dans SSM (2ème ed. p.204):
"L'optique où nous nous plaçons est donc résolument lamarckienne: on admettra, grosso modo, que la fonction crée l'organe ou plus exactement que la formation de l'organe résulte d'un conflit entre un champ primitif à vocation (ou signification) fonctionnelle et une matière organique qui lui résiste et lui impose des chemins de réalisation (chréodes) génétiquement déterminés."
"Dans cette lutte prodigieuse…"
¹: Régis Debray (s'adressant à PhG): "Fais attention, c’est très casse-gueule… Tu vas te faire descendre par tous les spécialistes, les universitaires, bardés de diplômes et de citations. Contre eux, tu n’as aucune chance." (Extrait du "Désenchantement de Dieu")
²: Un peu comme quelqu'un qui aurait la capacité de reconstituer un paysage à la seule évocation de ses singularités (sommets, cols, fonds de vallée) et de leurs positions relatives.
³: Cf. le tome II de "La Grâce", p.312.
jc
18/02/2019
Dans un précédent commentaire ("Progressisme traditionaliste") je citais un certain Daniel Vouga (citation pêchée dans le tome II de La Grâce): "Le progrès donc, le seul progrès possible, consiste à vouloir retrouver l'unité perdue…".
Progressisme-antiSystème qui s'oppose frontalement au progressisme-Système (qui, lui, au contraire, a pour effet -sinon pour objectif- de fuir cette unité, de diviser pour régner -et non de seulement différencier-, de couper tous les liens possibles, autrement dit d'entropiser -pour reprendre une expression chère à PhG-, puissamment aidé par la quincaille, qu se trouve être parfaitement adaptée à cet effet).
Comment faire? Dans "Progressisme traditionnaliste" j'indiquais une piste naturelle: renouer les liens qui ont été rompus par l'entropisation systématique menée par le Système; ce qui exige d'être un penseur du continu (puisque rétablir un lien est exactement rétablir une continuité). Pas si facile à faire puisque je ne connais que trois penseurs du continu: Aristote, Thom et Guénon¹.
Ce problème général (rétablir la continuité) PhG se le pose (et nous le pose) dans cet extrait du tome III. C'est ainsi en effet que j'interprète le passage suivant:
"(...) nous sommes conduits à élever notre âme jusqu’à la faire poétique, [à?] l’ouvrir à la spiritualité par cette voie de la recherche des vérités-de-situation qui recèlent toutes autant de parcelles de la Vérité qu’elles sont en nombre. Nous sommes poussés à une impérative réconciliation avec la spiritualité la plus haute."
Un scientifique de bonne foi peut légitimement s'interroger sur la nécessité d'une impérative réconciliation avec la spiritualité la plus haute pour résoudre ce problème; formaté par la contre-civilisation des Lumières il pensera sans doute qu'on peut accéder à la Vérité du monde à l'aide de ce que lui fournissent ses sens -éventuellement augmentés de l'habituelle quincaillerie- et de sa raison. En fait il est aussi loin d'avoir résolu le problème qu'un scientifique qui considère que l'ensemble des nombres réels constitue un continu (la droite réelle). Guénon a bien vu que cette façon de voir les choses ne permet pas de résoudre les paradoxes de Zénon; comment espérer cerner la Vérité du monde si on est incapable de penser le mouvement? Le "continuiste" Thom enfonce le clou:
"Où se trouve le monde réel, l'univers concret où nous vivons? La réponse est simple: le monde concret se trouve immergé dans l'abîme qui sépare le vrai continu, celui que nous procure l'intuition immédiate du temps, du faux continu pseudo-numérique que nous fabriquent les Logiciens et autres théoriciens des fondations de la Mathématique." (La transcendance démantelée², 1992)
Alexandre Grothendieck et Philippe Grasset nous disent, nous crient presque, l'un qu'il faut faire confiance à ses songes³, l'autre qu'il faut "une impérative réconciliation avec la spiritualité la plus haute". Mais comment résister alors aux sarcasmes prévisibles des scientistes-Système³: « Fais attention, c’est très casse-gueule… Tu vas te faire descendre par tous les spécialistes, les universitaires, bardés de diplômes et de citations. Contre eux, tu n’as aucune chance. » (Régis Debray à PhG, "Le désenchantement de Dieu").
Thom est sur la même longueur d'onde; il est conscient de l'importance du rêve au point d'écrire:
"Pour théoriser la biologie, il faut faire du rêve une fonction biologique". Le salut viendra peut-être de lui car la métaphysique qu'il propose pour redonner du sens au monde (préliminaire incontournable pour espérer accéder à sa Vérité) est selon lui réaliste et minimale (celle de PhG étant, à mon avis, plutôt idéaliste et maximale).
(Thom exclut la raison humaine pour accéder à cette Vérité mais ses modèles (théoriques) en biologie animale font apparaître un cerveau-proie qu'il localise le long de la moelle épinière, le cerveau-prédateur étant le cerveau usuel localisé près de l'organe prédateur qu'est la bouche. Si bien que la perception "exodermique" de la Vérité du monde par le biais du cerveau-prédateur et des sens qui y sont raccordés se trouve (théoriquement!) augmentée par une perception "endodermique" par le biais du cerveau-proie. Peut-être l'intuition haute souvent invoquée par PhG lui parviendrait-elle par le biais de ce cerveau-proie? Les principaux travaux de Thom sont publiés depuis maintenant trente ou quarante ans. Je n'ai aucune idée de l'impact qu'ils ont sur la relève scientifique actuelle. Peut-être faudra-t-il attendre l'effondrement du Système pour déverrouiller la situation?)
¹: Guénon a compris -au contraire de Leibniz, découvreur du calcul infinitésmal…- qu'on ne pouvait pas penser le mouvement -et donc en particulier pas résoudre les paradoxes de Zénon- sans être un penseur du continu. (Cf. "Les principes du calcul infinitésimal".)
²: Article que je n'ai malheureusement pas lu.
³: J'ai suivi avec attention une conférence de Laurent Lafforgue, mathématicien français médaillé Fields, catholique affiché -ce qui est rarissime dans ce milieu-, conférence portant sur "La clef des songes". Pas de sarcasmes, mais rien non plus sur l'aspect métaphysique du bouquin (disponible sur la toile).
³: Cf. "La clef des songes", sous-titré "Dialogue avec le bon Dieu".
jc
18/02/2019
Les titres des quatrième et cinquième parties du tome II de "La Grâce de l'Histoire" sont respectivement "Anatomie d'une "contre-civilisation" et "Invertir la "contre-civilisation". Ce commentaire incitera peut-être certains à se plonger (ou se replonger) dans ce tome II; c'est en tout cas mon intention (je fais de la pub!).
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Je crois que l'article Wikipédia "Singularité technologique" montre largement assez de quoi il retourne. Quant à la métaphysique-simulacre je renvoie aux pages 288 et suivantes du tome II de La Grâce (et, pour ceux qui n'auraient pas le bouquin, à la cinquantaine d'articles de Dedefensa la concernant -accessibles via le moteur de recherche du site).
A chacun -qui le souhaite- de se faire sa propre opinion, mon propre souhait étant que chacun fasse la comparaison avec mes précédents commentaires de "9/11", en particulier "Métaphysique de la singularité" et "Progressisme traditionnaliste".
Dans les poulaillers d'acajou et les belles basse-cours à bijoux -disons californiennes pour ne pas trop froisser- on se pâme pour l'instant devant la singularité technologique. Je sens confusément -tel Rantanplan- qu'on s'approche d'une véritable singularité -à l'exact opposé d'un simulacre de singularité comme l'est "leur" singularité technologique-, à savoir celle du changement de paradigme décrite par Kuhn dans "La structure des révolutions scientifiques" (Cf. Wikipédia). la véritable singularité qui nous attend et que nous attendons c'est le changement de civilisation.
Thom: "Lorsqu'on a compris -à la suite de T. S. Kuhn- le caractère "automatique" du progrès scientifique, on se rend compte que les seuls progrès qui vaillent sont ceux qui modifient notre vision du monde, et cela par l'élaboration de nouvelles formes d'intelligibilité. Et pour cela il faut revenir à une conception plus philosophique (voire mathématique) des formes premières d'intelligibilité. Nos expérimentateurs, sempiternels laudateurs du "hard fact", se sont-ils jamais demandé ce qu'est un fait? Faut-il croire -ce qu'insinue l'étymologie- que derrière tout fait il y a quelqu'un ou quelque chose qui fait? Et que ce quelqu'un n'est pas réduit à l'expérimentateur lui-même, mais qu'il y a un "sujet" résistant sur lequel le fat nous apprend quelque chose? Telles sont les questions que notre philosophe¹ devra constamment reposer, insufflant ainsi quelque inquiétude devant le discours volontiers triomphaliste de la communauté scientifique."
Remarque finale.
En parcourant l'article Wikipédia "Singularité technologique" je constate que "intelligence" apparaît plus d'une cinquantaine de fois sans qu'aucune (?, j'ai parcouru très vite) définition ne soit donnée de ladite intelligence (Thom donne celle qui suit: "L'intelligence est la faculté de s'identifier à autre chose, à autrui").
A propos de définition.
L'une des critiques les plus acérées -à mon avis- que Thom fait du darwinisme se trouve dans sa préface au livre de Jacques Costagliola "Faut-il brûler Darwin?": "... le darwinisme a prétendu expliquer l'évolution des formes alors qu'il ne s'est jamais préoccupé de les définir". (Bien entendu, Thom, lui, les définit -niveau maths +++. Voir ce qu'il en dit dans le film "René" que Godard a fait sur lui, à partir de 40'.)
Que peuvent signifier des discours -à l'oral comme à l'écrit- dans lesquels les mots essentiels au dit discours ne sont pas définis? Notre distingué président, s'il avait conscience de la chose -mais je suis intimement convaincu qu'il ne l'a pas- conclurait par un "Tout ça, les enfants, c'est de la pipe". Les gens sérieux sont nécessairement des gens pour qui le langage est une chose sérieuse, voire sacrée. Ainsi PhG a constitué un glossaire des mots qu'il considère comme essentiels. Ainsi les matheux -plus logacrate qu'eux tu meurs- peuvent rester des siècles sur le même mot qu'ils jugent essentiel (par exemple le mot ensemble) dans l'espoir -souvent déçu- d'en traquer les moindres contradictions (je pense, par exemple, au mot ensemble).
Pour en revenir à la singularité technologique je cite Thom une fois encore (en dernière phrase de l'article "Darwin, cent ans après" (AL p.605): "Il ne fait aucun doute qu'une exigence de précision et de rigueur est indispensable pour clarifier les postulats de base du schéma darwinien. On peut légitimement se demander ce qu'il en restera le jour où cette clarification viendra à aboutir."
Et pour en revenir aux poulaillers d'acajou, je rêve d'y voir s'établir une nouvelle mode, pour commencer cette fois dans les basses-cours à bijoux parisiennes (cocorico), la mode de plisser le front ou les lèvres² et de froncer les sourcils "à la Thom" pour se donner l'air intelligent; pour moi le signe indéniable que le ver est dans le fruit, que le changement de paradigme commence son travail de sape.
La véritable singularité que j'attends c'est le changement de civilisation, c'est la vengeance d'Abel³ sur un Caïn qui a complètement dégénéré⁴.
¹: Thom s'adresse aux philosophes de la nature.
²: "... Un sourire lui plissa les lèvres, car subitement il se rappelait l'étrange comparaison du vieux Nicandre qui assimilait, au point de vue de la forme, le pistil des lys aux génitoires d'un âne." (J.K. Huysmans, A rebours (...))
(cité p.198 dans SSM 2ème ed.)
³: Pour moi Abelle (c'est à vous de jouer, mesdames ...).
⁴: Voir Guénon "Le règne de la quantité et les signes des temps", chapitre XXIII.
jc
18/02/2019
Les titres des quatrième et cinquième parties du tome II de "La Grâce de l'Histoire" sont respectivement "Anatomie d'une "contre-civilisation" et "Invertir la "contre-civilisation". Ce commentaire incitera peut-être certains à se plonger (ou se replonger) dans ce tome II; c'est en tout cas mon intention (je fais de la pub!).
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Je crois que l'article Wikipédia "Singularité technologique" montre largement assez de quoi il retourne. Quant à la métaphysique-simulacre je renvoie aux pages 288 et suivantes du tome II de La Grâce (et, pour ceux qui n'auraient pas le bouquin, à la cinquantaine d'articles de Dedefensa la concernant -accessibles via le moteur de recherche du site).
A chacun -qui le souhaite- de se faire sa propre opinion, mon propre souhait étant que chacun fasse la comparaison avec mes précédents commentaires de "9/11", en particulier "Métaphysique de la singularité" et "Progressisme traditionnaliste".
Dans les poulaillers d'acajou et les belles basse-cours à bijoux -disons californiennes pour ne pas trop froisser- on se pâme pour l'instant devant la singularité technologique. Je sens confusément -tel Rantanplan- qu'on s'approche d'une véritable singularité -à l'exact opposé d'un simulacre de singularité comme l'est "leur" singularité technologique-, à savoir celle du changement de paradigme décrite par Kuhn dans "La structure des révolutions scientifiques" (Cf. Wikipédia). la véritable singularité qui nous attend et que nous attendons c'est le changement de civilisation.
Thom: "Lorsqu'on a compris -à la suite de T. S. Kuhn- le caractère "automatique" du progrès scientifique, on se rend compte que les seuls progrès qui vaillent sont ceux qui modifient notre vision du monde, et cela par l'élaboration de nouvelles formes d'intelligibilité. Et pour cela il faut revenir à une conception plus philosophique (voire mathématique) des formes premières d'intelligibilité. Nos expérimentateurs, sempiternels laudateurs du "hard fact", se sont-ils jamais demandé ce qu'est un fait? Faut-il croire -ce qu'insinue l'étymologie- que derrière tout fait il y a quelqu'un ou quelque chose qui fait? Et que ce quelqu'un n'est pas réduit à l'expérimentateur lui-même, mais qu'il y a un "sujet" résistant sur lequel le fat nous apprend quelque chose? Telles sont les questions que notre philosophe¹ devra constamment reposer, insufflant ainsi quelque inquiétude devant le discours volontiers triomphaliste de la communauté scientifique."
Remarque finale.
En parcourant l'article Wikipédia "Singularité technologique" je constate que "intelligence" apparaît plus d'une cinquantaine de fois sans qu'aucune (?, j'ai parcouru très vite) définition ne soit donnée de ladite intelligence (Thom donne celle qui suit: "L'intelligence est la faculté de s'identifier à autre chose, à autrui").
A propos de définition.
L'une des critiques les plus acérées -à mon avis- que Thom fait du darwinisme se trouve dans sa préface au livre de Jacques Costagliola "Faut-il brûler Darwin?": "... le darwinisme a prétendu expliquer l'évolution des formes alors qu'il ne s'est jamais préoccupé de les définir". (Bien entendu, Thom, lui, les définit -niveau maths +++. Voir ce qu'il en dit dans le film "René" que Godard a fait sur lui, à partir de 40'.)
Que peuvent signifier des discours -à l'oral comme à l'écrit- dans lesquels les mots essentiels au dit discours ne sont pas définis? Notre distingué président, s'il avait conscience de la chose -mais je suis intimement convaincu qu'il ne l'a pas- conclurait par un "Tout ça, les enfants, c'est de la pipe". Les gens sérieux sont nécessairement des gens pour qui le langage est une chose sérieuse, voire sacrée. Ainsi PhG a constitué un glossaire des mots qu'il considère comme essentiels. Ainsi les matheux -plus logacrate qu'eux tu meurs- peuvent rester des siècles sur le même mot qu'ils jugent essentiel (par exemple le mot ensemble) dans l'espoir -souvent déçu- d'en traquer les moindres contradictions (je pense, par exemple, au mot ensemble).
Pour en revenir à la singularité technologique je cite Thom une fois encore (en dernière phrase de l'article "Darwin, cent ans après" (AL p.605): "Il ne fait aucun doute qu'une exigence de précision et de rigueur est indispensable pour clarifier les postulats de base du schéma darwinien. On peut légitimement se demander ce qu'il en restera le jour où cette clarification viendra à aboutir."
Et pour en revenir aux poulaillers d'acajou, je rêve d'y voir s'établir une nouvelle mode, pour commencer cette fois dans les basses-cours à bijoux parisiennes (cocorico), la mode de plisser le front ou les lèvres² et de froncer les sourcils "à la Thom" pour se donner l'air intelligent; pour moi le signe indéniable que le ver est dans le fruit, que le changement de paradigme commence son travail de sape.
La véritable singularité que j'attends c'est le changement de civilisation, c'est la vengeance d'Abel³ sur un Caïn qui a complètement dégénéré⁴.
¹: Thom s'adresse aux philosophes de la nature.
²: "... Un sourire lui plissa les lèvres, car subitement il se rappelait l'étrange comparaison du vieux Nicandre qui assimilait, au point de vue de la forme, le pistil des lys aux génitoires d'un âne." (J.K. Huysmans, A rebours (...))
(cité p.198 dans SSM 2ème ed.)
³: Pour moi Abelle (c'est à vous de jouer, mesdames ...).
⁴: Voir Guénon "Le règne de la quantité et les signes des temps", chapitre XXIII.
jc
21/02/2019
a la fin du chapeau de "Suite en 9/11" PhG écrit:
"(...) l’attaque du 11-septembre a modifié profondément ma façon de travailler, ma façon de penser, (...)".
En ai-je une et si oui qu'elle est-elle?
J'ai au départ la façon de penser que l'on a inculqué aux matheux de mon époque de formation: formatage (années
1960): précision quasi-maladive des termes employés, focalisation quasi-maladive sur les démonstrations, formalisation à outrance, ignorance quasi-totale d'une partie des maths dont j'ai découvert après la retraite -à la lecture de Thom et de Grothendieck- qu'elle était fondamentale: élaboration et formulation des concepts -le redoutable problème de la définition d'un "bon" concept-, élaboration et formulation de conjectures. J'ajouterai un penchant naturel pour l'esthétique, pour une indéfinissable "beauté" d'une formulation ou d'une preuve. C'est tout ce que je vois au départ. Ensuite c'est la rumination quasi-quotidienne de l'oeuvre de Thom depuis maintenant plus de dix ans qui a progressivement métamorphosé ma façon initiale -classique- de penser en façon embryologique, à la Thom. Mais ce qui suit montre que j'ai considérablement progressé en cherchant "seulement" à rééquilibrer les concepts, en cherchant à les ordonner, tout ça sans perdre le point de vue esthétique, l'harmonie, autrement dit en appliquant la recette PhG: ordre/harmonie/équilibre. Et le rééquilibrage le plus simple -et à la fois le plus naturel- consiste à faire apparaître un concept opposé (contradictoire, contraire ou subcontraire…) pour ensuite tenter de les faire dialoguer. Ce qui s'est passé lors de l'effondrement de l'URSS éclaire ces généralités.
Arbatov, conseiller de Gorbatchev, à un intervieweur de Time en 1988 : « Nous allons vous faire une chose terrible, nous allons vous priver d’Ennemi. »
Et il avait raison, la chose terrible arrive maintenant.
Je crois que c'est un phénomène général, hors substrat -que PhG qualifierait peut-être de suprahumain-, valable non seulement pour les empires terrestres, mais aussi pour les empires virtuels. Ainsi, à mes yeux, un concept hégémonique, sans opposition, finit toujours par s'effondrer et disparaître. Sauf exception bien sûr, ce qui est le cas où le concept contient en lui-même son propre principe (et, en général, c'est le signe qu'on touche au divin, au sacré).
Avec cet "axiome" on comprend que c'est le sort réservé au concept de capitalisme ultra-libéral: en perpétuelle prédation, il a mangé successivement tous ses concurrents (communistes, socialistes, etc.). Perpétuellement affamé il ne lui reste plus qu'à se manger lui-même, ce qu'il fait effectivement actuellement sous nos yeux, nous renvoyant directement, selon moi, à la réflexion d'Arbatov. (Après relecture
il ressort de ce qui précède que le monologue est sans doute impossible à l'exception rarissime des concepts portant en eux-mêmes leur propre principe. Pour nous qui ne sommes pas des dieux mais des "gens d'en bas", il nous faut donc dialoguer, c'est pour nous une nécessité vitale. Et le dialogue nécessite un terrain ou l'on s'oppose (sinon c'est un monologue à deux voix).
Pour moi, depuis longtemps, le PFS (Principe Fondamental du Système) est que le darwinisme est LA théorie de l'évolution des espèces et donc que le darwinisme social (que Lady Thatcher a été la première à appliquer impitoyablement -TINA-) est LA théorie de l'évolution des sociétés. Depuis que je m'intéresse intellectuellement à autre chose que des maths, c'est-à-dire depuis mon arrivée sur le blog de l'éclectique Paul Jorion il y a une dizaine d'années, j'ai ruminé, ruminé et ruminé encore ce fameux TINA, ce fameux "Il n'y a rien en dehors de la lutte pour la vie", en dehors du "struggle for life" darwinien. Je sentais confusément -à la Rantanplan- que quelque chose clochait, mais je ne voyais pas quoi. Cela me mettait de plus en plus consciemment mal à l'aise.
Thom: "(...) dès qu'un mot est utilisé fréquemment avec une signification différente de sa signification initiale, il en résulte une tension sur certaines des parois de la figure de régulation du concept, tension qui pourrait fort bien la briser; le concept alors se défend en suscitant la naissance d'un mot nouveau qui canalise cette nouvelle signification. La formation de néologismes est ainsi une illustration -difficilement réfutable- du principe lamarckien:
la fonction crée l'organe." (MMM, p.218)
Le malaise augmentant (en particulier à la lecture des articles de ce site dont l'un des rédacteurs a un visage particulièrement inquiet¹) j'ai fini par trouver à mettre fin à ce malaise non pas en trouvant un nouveau mot mais en qualifiant de deux façons différentes ce "struggle for life" trop ambigu. C'est tout récent (trois mois au plus) et cet lumineusement simple: il y a le "struggle for life" individuel, la survie individuelle, le chacun pour soi et que le meilleur gagne -et on aura reconnu le dogme fondamental de l'ultra-libéralisme-, et il y a le "struggle for life", la survie de l'espèce qui renvoie, quoiqu'on fasse, à une solidarité de l'espèce, donc au collectivisme, au socialisme, au communisme, peu importent les mots.
Pour moi la situation m'apparaît de plus en plus nettement, de moins en mois confusément (Rantanplan…): le monde politique ne peut s'en sortir que si un véritable dialogue -pas un simulacre de dialogue comme le Système sait si bien en instaurer- s'engage entre les "moi d'abord" et les "l'espèce humaine d'abord". A mes yeux la bataille qui s'annonce au niveau mondial est celle-là.
Il reste à conclure. Il suit "naturellement" de ce qui précède qu'il est plus que plausible qu'un dialogue entre deux individus s'amorcera d'autant plus facilement que les deux opposants ont les mêmes fa.0çons de penser.
PhG est un logocrate qui s'affiche tel. Un peu par jeu j'ai introduit le néologisme(?) "topocrate" pour m'opposer à sa façon de voir qui me semblait donner la part trop belle à la volonté créatrice par rapport à la matière rétive¹. Il est clair pour moi que c'est débat fondamental et ça l'est aussi bien entendu pour lui qui revient dessus avec insistance dans le tome II de "La Grâce". Un débat fécond à ce propos peut-il et va-t-il s'engager par tome III interposé?
¹: Il y a (avait?) des interview télévisées de PhG.
²: La citation suivante de Daniel Rops à propos du "Balzac" de Rodin revient avec insistance sous la plume de PhG au cours du tome II (je fais de la pub): "Dans cette lutte prodigieuse entre la matière rétive et la volonté créatrice."
jc
22/02/2019
Thom: "L'intelligence est la faculté de s'identifier à autre chose, à autrui." Et, dans une autre citation, sans doute pour distinguer l'identification véritable de la simulation d'identification, c'est-à-dire l'intelligence naturelle de l'intelligence artificielle, il ajoute: "il s'agit de se mettre dans la peau des choses en s'identifiant à l'un des acteurs permanents, il s'agit presque d'une identification amoureuse" (je cite de mémoire).
Dialoguer ontologiquement c'est dialoguer en engageant tout son être, corps et âme. Dialoguer intelligemment c'est se mettre corps et âme dans la peau d'autrui en une identification en quelque sorte amoureuse.
Il y a presque dix ans maintenant ont été instaurés sur ce site une série de quinzaine de dialogues (dispo sur le site) entre Philippe Grasset et Jean-Paul Baquiast. Je les ai parcourus, certains relus, certains même commentés, un peu le nez dans le guidon. Aujourd'hui, avec du recul, mon verdict est net: ce dialogue a été infructueux, infécond, parce que JPB ne s'y est pas engagé ontologiquement (alors que PhG, lui, pas d'inquiétude à avoir, s'engage toujours ontologiquement, c'est un peu sa marque de fabrique, c'est même, je crois, un peu sa nature).
Cette qualité, je suis convaincu que les grands esprits de ce temps que sont René Thom et Alexandre Grothendieck l'ont:
1. AG a écrit "La clef des songes", sous-titré "Dialogue avec le bon Dieu", ce qui se passe de commentaire superflu;
2. RT écrit: "Seuls ceux (...) qui sauront écouter (...) Mère Nature arriveront plus tard à engager le dialogue avec elle.", et bien entendu il se compte parmi ceux-là.
L'engagement ontologique est-il inné -et alors PhG est un Obélix de la chose-, où est-ce une qualité qui peut s'apprendre?
Puisqu'il s'agit de s'engager corps et âme, puis de se mettre corps et âme dans la peau de l'autre, la voie à suivre est évidente: il faut s'exercer en commençant par les rapports homme-femme. Il est clair pour moi qu'il n'y a rien d'acquis là-dedans, rien de culturel. Il ne s'agit pas d'apprentissage, il s'agit d'une découverte de l'autre dans toutes ses dimensions, corps et âme.
C'est pourquoi je suggère de faire du palais du Luxembourg le parlement des femmes (et le palais Bourbon celui des hommes). Je suis intimement convaincu que les deux chambres finiront par s'entendre . Pour le bien de tout le peuple de France.
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