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Article : Les Lumières de l'ombre

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Idéal de puissance, idéal de perfection

jc

  04/12/2023

Je viens de poster un commentaire sur un autre site. Je le poste ici,  car je le trouve tout-à-fait en rapport avec "Les Lumières de l'ombre". (Comme d'habitude, je radote…)

Qu'est-ce qui nous pousse à progresser ? Je n'ai pas de réponse.
Qu'est-ce qui nous tire à progresser ? Je vois l'idéal de puissance et l'idéal de perfection.

Pour moi l'idéal de puissance (idéal plutôt masculin?) c'est typiquement d'imiter la nature avec l'intention de faire mieux qu'elle pour la dominer (idéal des Lumières?) : soufflets pour imiter les poumons, pompes pour imiter le cœur, ordinateurs pour imiter le cerveau.

Où nous mène cette production d'artefacts ? Voici à ce sujet deux métaphores biologiques de mon maître à penser :

"Il est typique de voir que la cellule immortelle, la cellule procaryote, comme disent les biologistes, la cellule qui vit par elle-même, en principe ne fabrique pas d'artefacts. En tous cas je ne vois pas ce qui pourrait jouer le rôle d'un artefact dans la physiologie d'une cellule. Et de même tous ses instruments, ses outils, ses organes sont tous réversibles. On peut se demander de ce point de vue si l'apparition de l'artefact n'est pas quelque chose qui est fondamentalement lié au caractère multicellulaire, au caractère composé des organismes, et si donc cette prolifération des artefacts n'est pas le premier symptôme de la mort."

Quant à l'idéal de perfection (idéal plutôt féminin?), je laisse encore la parole à mon maître à penser :

"On sera frappé par l'abondance des interprétations sémantiques extraites du vocabulaire de la couture : pli, fronce, fente, poche, aiguille… Après tout, si la couture est restée une activité traditionnellement féminine, c'est que sans doute, la confection des vêtements est chez l'Homme le stade ultime de l'Embryologie…" ;

"(...) il y a une certaine incompatibilité entre l'immortalité de l'individu et les possibilités évolutives ultérieures de l'espèce. La mort serait alors le prix à payer pour préserver toutes les possibilités de perfectionnement futur de l'espèce.";

à J.V. Uexkull  (Théorie de la signification) :

"Le mécanisme de n'importe quelle machine, telle une montre, est toujours construit d'une manière centripète, c'est-à-dire que toutes les parties de la montre -aiguilles, ressorts, roues- doivent être achevées pour être ensuite montées sur un support commun.
Tout au contraire, la croissance d'un animal, comme le triton, est toujours organisée de manière centrifuge à partir de son germe; d'abord gastrula, il s'enrichit ensuite de nouveaux bourgeons qui évoluent en organes différenciés.
Dans les deux cas il existe un plan de construction; dans la montre, il régit un processus centripète, chez le triton un processus centrifuge. Selon le plan, les parties s'assemblent en vertu de principes entièrement opposés." ;

et, pour terminer, je rajoute ici une citation thomienne que je n'ai pas faite aux "Lumiéreux" de l'autre site, mais que j'ai très souvent faite ici :

"Aristote a dit du germe, à la naissance, qu'il est inachevé. On peut dès lors se demander si tout en haut du graphe [de Porphyre] on n'a pas quelque chose comme un fluide homogène indistinct, ce premier mouvant indifférencié décrit dans sa Métaphysique; que serait la rencontre de l'esprit avec ce matériau informe dont sortira le monde? Une nuit mystique, une parfaite plénitude, le pur néant? Mais la formule d'Aristote suggère une autre réponse, théologiquement étrange: peut-être Dieu n'existera-t-il pleinement qu'une fois sa création achevée: "Premier selon l'être, dernier selon la génération"."
 

Jean-Claude Cousin

  04/12/2023

Je cite ici le titre d'un ouvrage de 1945 écrit par Gustave Cohen. Le Moyen Âge, ce sont les cathédrales, dont chacune mérite un livre. Mais c'est aussi le lumineux Abélard, qui eut la chance immense de rencontrer une dame aussi lumineuse nommée Héloïse.
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Arriva le "temps des (re)découvertes", arrive un certain Descartes qui prétendit tout (re)découvrir par le raisonnement, qui est pourtant bien faible. C'est au point que Blaise Pascal tenta de raccrocher les lecteurs avec son argument du Pari. Argument qui, pour moi, ne tient pas la route puisque, volontairement, je pris la peine de le retourner afin de continuer ma route sans la présence, au-dessus, d'une divinité tutélaire et bien lourde. La spiritualité s'en passe avec ravissement, elle permet de considérer avec plus d'amitié nos pairs les humains. Qu'ils soient chargés d'une chasuble d'or, ou à peine vêtus d'un t-shirt rapiécé.
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Ce monde est le nôtre. Il est imparfait, certes, mais c'est le nôtre. Pour conclure il y a cinquante ans j'avais créé un diaporama, où la dernière phrase était :
« Et si les autres êtres pensants, cachés derrière les années-lumière, le permettent, nous élargirons ce monde…. jusqu'aux étoiles ! »

Le temps chez les Anciens Grecs

jc

  05/12/2023

À propos du Big Now et de l'Éternel Présent.

Les Anciens Grecs distinguaient l'aïon, le kairos et le chronos.

Aïon : temps de l'éternel présent, (temps de Beckett dans "En attendant Godot": "temps qui passe, immobile"), temps de l'attente d'évènement (stand by).
 
Chronos : temps où il se passe quelque chose, temps de l'action, voire de l'agitation (Merkel traitait Sakozy de petit lapin Duracell).

Kairos : intervalle de temps bimodal, en général bref, qui assure la continuité de la liaison entre temps aïon et temps chronos, temps du "j'y vas-ti, j'y vas-ti pas" ( https://www.youtube.com/watch?v=HJI3EYaFGCE ) (je sens confusément -tel Rantanplan- que nous sommes dans ce temps-là).

Je suis convaincu que les Anciens Grecs (même les atomistes?) ne considéraient pas le temps comme une succession d'instants (de Big Now), mais comme un continu.

Il a fallu en effet attendre le calcul infinitésimal et Descartes pour associer un nombre à chaque instant, aligner tous ces instants sur une droite et décréter que celle-ci représentait le temps (et l'espace 1D). (Ce n'était pas la façon de voir d'Aristote, pour qui un segment de droite n'était pas composé de points mais seulement de sous-segments. Le point seul, isolé, n'existait pas en acte, mais seulement en puissance, et aspirait à l'acte en se dédoublant en deux points, l'un adhérant à gauche, l'autre adhérant à droite.)

Ces notions remises en mémoire je me suis replongé dans l'article (pour moi difficile) "Structure et fonction en biologie aristotélicienne" (que l'on trouve dans "Apologie du Logos") où les temps aïon et chronos jouent le rôle clé dans le fonctionnement d'une fonction. Les quelques citations permettent de se faire une idée de la façon -pour le moins originale!- dont Thom les utilise:

- "Il est de l'essence de la fonction de fonctionner… même si parfois la fonction ne fonctionne pas. de e point de vue le terme fonction se rapproche linguistiquement de la forme du gérondif (le "doing" anglais). On peut métaphoriquement se représenter le concept de fonction par une fronce d'hystérésis associée à l'opposition de deux temps : un temps "atemporel", une éternité vide d'évènements, ce que les Anciens Grecs appelaient aïon; et un temps qualitativement spécifié, chronos, celui qui est porteur d'évènements catastrophiques, et où se déroule l'exécution d'actes." ;

- "On peut réduire la fronce à un cycle périodique centré en un point qu'on appellera l'âme de la fonction." ;

-  "On admettra qu'il existe une position de l'animal considérée comme position centrale ou "de repos". C'est la manifestation de l'aïon." ;

- "L'aïon est l'état normal du muscle, le chronos l'état contracté" ;

- "Chez les vertébrés supérieurs le centre organisateur, l'âme de la fonction circulation est le cœur." ;

- "L'hémoglobine est en un certain sens l'âme de la fonction respiratoire." ;

- "La vie étant considérée comme une fonction (...) [c'est] l'aïon [qui] est l'ego, et la peau [qui] qui présente par suite le caractère essentiel de l'aïon. Les flux fonctionnels (...) sont de l'ordre du chronos. (...) Les flux d'entrée et de sortie nécessitent des orifices nécessaires à la circulation de ces flux (bouche, anus, yeux, nez, etc.). (...) Il en va de même en technique : les murs et toits d'une maison doivent être percés de portes et de fenêtres. La subordination ontologique du chronos à l'aïon se voit dans le fait que l'aire totale des orifices est petite par rapport à celle de la paroi." .
 

Réponse à JC

Jean-Claude Cousin

  06/12/2023

Pour moi Dieu n'existe pas. En revanche un principe EST, c'est tout simplement ce qu'on appelle LA VIE : cela pourrait donner à penser que la VIE qui n'a pas de volonté unique propre est l'agrégation de toutes les vies qui sont dans l'univers, y compris les astres qui, à mon avis sont des êtres vivants qui naissent, vivent et meurent comme tous les êtres vivants. C'est ce qu'on appelle l'éternité, car ce processus se renouvelle en permanence, il n'a ni début, ni fin, selon des règles qui lui sont intrinsèques, et qui sont les Lois de la Nature. Ce que certains philosophes nomment la spiritualité n'est qu'un aspect d'un ensemble cohérent et non fractionnable, un aspect plus ou moins développé selon la complexité de l'être considéré.
On peut donc admettre que "Dieu" tout en étant infini en espace et en temps n'est qu'un nom pour tout cet ensemble, un nom pour lequel les notions "de bien et de mal" ne sont que des adhésions plus ou moins correctement suivies des Lois de l a Nature. A cette aune on peut comprendre que "les religions" ne sont que des arrangements de certains humains, par exemple (ou de tous autres échafaudages spirituels dans l'Univers) plutôt redondants avec le fait que TOUS les êtres de l'Univers sont reliés entre eux, simplement de façon plus ou moins lâche. Après tout, on commence à comprendre, dans les milieux scientifiques, que toute manifestation énergétique est à la fois un ensemble d'ondes (essentiellement) et de particules qui en sont les points forts, ce qu'un homme intelligent dont j'ai oublié le nom appelait "des particlondes", et où a sa place la "matière noire" dont, il faut bien dire, on ne sait pas encore grand-chose.
Revenons aux principes fondamentaux de ce qu'on appelle "la morale". Au niveau de l'écriture, ils ont été énoncés par Zarathoustra, ce qui n'est pas si jeune, et comme tout ce qui est fondamental ils n'ont pas pris une ride : c'est d'ailleurs ce qui explique la résistance profondément outragée des sains d'esprit vis-à-vis de personnages pervers, "contre Nature", qui tentent de tout démolir en accélérant le processus entropique auquel s'oppose depuis toujours la Vie. Ce sont, en quelque sorte, de “diaboliques” anti-Lois de Carnot, des destructeurs de Mondes, la pire chose possible. Tout est possible, dans l'Univers, y compris des éléments aberrants qui s'attachent à le détruire. Rassurons-nous : de tous temps des éléments contraires aideront à rétablir l'équilibre, même si au départ il est difficile d'appréhender à la fois leurs motivations et les moyens qu'ils vont employer. L'Univers est tellement complexe, qu'aucun élément de celui-ci ne saura expliquer comment il procède.
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Cela pourrait même amener cet Univers à laisser s'auto-annihiler l'un de ses éléments (il y en a des milliards de milliards) afin de maintenir l'Unité générale. Sur cette minuscule Terre, que sommes-nous, sinon un élément vraiment infime de l'ensemble ? Malgré tout, parce que la VIE est sacrée, cette destruction ne pourra s'opérer que s'il n'y a vraiment aucune solution. Clifford Simak en avait donné un aperçu dans son ouvrage "Au carrefour des étoiles" dont je ne saurais trop encourager à la lecture. Un homme inspiré.

@J.C. Cousin

jc

  06/12/2023

I. Thom et Dieu.

"Selon beaucoup de philosophies Dieu est géomètre. Il serait peut-être plus logique de dire que le géomètre est Dieu."

"(...) que serait la rencontre de l'esprit avec ce matériau informe dont sortira le monde ? Une nuit mystique, une parfaite plénitude, le pur néant ? Mais la formule d'Aristote suggère une autre réponse, théologiquement étrange : peut-être Dieu n'existera-t-il pleinement qu'une fois Sa création achevée."


II. Thom et le vitalisme.

Je suis convaincu que Thom est vitaliste, bien qu'il ne le laisse pas apparaître trop ouvertement. Quelques citations en ce sens ( https://www.maths.ed.ac.uk/~v1ranick/papers/thom/data/citations.pdf ) :

"C'est sans doute sur le plan philosophique que nos modèles présentent l'apport immédiat le plus intéressant. Ils offrent le premier modèle rigoureusement moniste de l'être vivant, ils dissolvent l'antinomie de l'âme et du corps en une entité géométrique unique."

"(...) on pourrait rapporter tous les phénomènes vitaux à la manifestation d'un être géométrique qu'on appellerait le champ vital (tout comme le champ gravitationnel ou le champ électromagnétique) ; les êtres vivants seraient les particules ou les singularités structurellement stables de ce champ ; les phénomènes de symbiose, de prédation, de parasitisme, de sexualité seraient autant de formes d'interaction, de couplage entre ces particules… La nature ultime dudit champ, savoir s'il peut s'expliquer en fonction des champs connus de la matière inerte, est une question proprement métaphysique ; seule importe au départ la description géométrique du champ, et la détermination de ses propriétés formelles, de ses lois d'évolution ensuite."

"(...) car la vie, c'est bien connu, s'entre-dévore."

"Il ne m'est pas évident qu'en dernière analyse on ne puisse identifier les comportements dynamiques de la nature inanimée avec des comportements intentionnels ou psychiques d'entités convenablement définies."

"L'hypothèse réductionniste devra peut-être un jour être retournée : ce sont les phénomènes vitaux qui pourront nous expliquer certaines énigmes de la structure de la matière ou de l'énergie. Après tout, n'oublions pas que le principe de la conservation de l'énergie a été exprimé pour la première fois par von Mayer, un médecin…"

"L'étude récente de diverses enzymes (le lysozyme, par exemple) a montré l'aspect éminemment morphologique de bien des réactions enzymatiques ; on voit les molécules se palper, se pincer, se tordre, se déchirer presque comme des êtres vivants ; il ne faut pas s'en étonner ; dans la mesure où une réaction biochimique reflète un incident local d'une compétition spatiale entre différents régimes, les contraintes topologiques imposeront à ces incidents locaux de simuler les catastrophes globales de la morphogenèse sur l'espace-temps R⁴."

"Une plante n'est autre chose qu'un déferlement de la terre en direction de la lumière et la structure ramifiante des tiges et des racines est celle d'un cône d'éboulis."

"(...) la science veut construire la vie à partir de la mécanique, et non la mécanique à partir de la vie."

"De même qu'on commence à se rendre compte que le génome des Eukariotes est très différent de celui des Prokariotes, parce qu'il ne remplit pas les mêmes fonctions, on pourrait bien un jour s'apercevoir que ce ne sont pas les molécules qui font la vie, mais au contraire la vie qui façonne les molécules."

"La synthèse entrevue des pensées « vitaliste » et « mécaniste » en Biologie n'ira pas sans un profond remaniement de nos conceptions du monde inanimé."

"(...) l'animé sait exploiter les régularités naturelles pour stabiliser des connexions qui dans le monde inanimé seraient accidentelles, non génériques. Il y a donc là (en principe) une possibilité formelle de caractériser l'état de vie, problème qui jusqu'à présent a défié la pensée biologique."

"(...) pour réellement théoriser la biologie, il faut faire du rêve une fonction biologique, ce qui introduit l'imaginaire au cœur même de la dynamique biologique. Cet imaginaire serait alors consubstantiel au concret biologique, à la réalité biochimique. Nous verrons que tel pourrait bien être le cas."

"Un problème majeur de l'Embryologie est d'expliquer la simulation précise des grandes lois physiques par la morphogenèse biologique. Comment, par exemple, s'imaginer la formation du cristallin ? Il est difficile d'échapper à l'idée qu'il y a dans la matière vivante une intelligence implicite de ces grandes lois à simuler."