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Article : L’IA tuant le logocrate,  – ou le sauvant ?

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L'IA et le logocrate

jc

  04/11/2024

Qu'est-ce qu'un logocrate ? Pour moi c'est quelqu'un qui, à partir d'un mot, d'une phrase, développe tout un "article", et qui est parfois obligé de se relire, parfois plusieurs fois, pour s'apercevoir que ce qu'il a écrit a un sens, lui procurant ainsi une impression de bonheur fou.

Autrement dit un logocrate c'est quelqu'un comme PhG puisque j'ai tiré ce qui précède de la lecture de "La Grâce…" et/ou de "Le désenchantement de Dieu" (*).

J'ai écrit ici jadis en commentaire que ça me faisait penser au développement d'un embryon, une sorte de "Et le Verbe s'est fait Chair", avec pour argument l'analogie thomienne développement de l'embryon/développement de Taylor, argument qui n'a sans doute pas convaincu PhG.

Mais voici deux autres citations peut-être plus convaincantes car plus sexuelles :

"L'émission verbale est un véritable orgasme" ;

"(...) l'homme est pourvu d'un dispositif universel qui, sur un champ de dynamique neuronique, peut en reconstituer le centre organisateur (**). Véritable gonade mentale, ce dispositif condense les champs en mots, vraies semences d'idées ; placé dans un contexte approprié, le mot germe et éclate dans l'esprit de l'auditeur, et la forme globale ainsi reproduite est l'idée. Ainsi, la pensée conceptuelle est une Embryologie permanente." (1968, Stabilité Structurelle et Morphogénèse)

Je ne suis pas logocrate, mais topocrate. Ce qui ne m'empêche pas d'être violemment contre l'IA. J'ai jadis écrit ici en commentaire quelque chose comme :

Le GPS est une machine à nous désapprendre à nous orienter. L'IA sera pour l'homme une machine à dé-penser, paraphrasant ainsi une citation lue dans Le Figaro ("On ne saurait mieux exprimer avec humour le recul des penseurs et la victoire des marchands, qui ont fait de l’homme de Pascal (roseau pensant) un roseau dépensant." — 25 août 2011) : "On ne saurait mieux exprimer avec humour le recul des penseurs et la victoire de l'IA, qui ont fait de l’homme de Pascal (roseau pensant) un roseau dé-pensant."


(*) https://www.dedefensa.org/article/le-desenchantement-de-dieu

(**) son logos, selon Thom.

Réponse à Paul Jorion

jc

  10/11/2024

Paul Jorion s'intéresse de très près à l'IA. e viens de lui répondre ceci  (le 10 novembre à 12h):

[Préambule on.

Je vous pose une question avec une suite de symboles ordonnés 1D ("Quelle est votre définition de l'intelligence?"), et vous me répondez en 2D -à une autre question…- avec des agrégats de symboles.

Thom : "(...) il ne faudrait pas croire qu'une structure linéaire soit une nécessité pour transporter ou stocker l'information (plus exactement la signification). Bien que l'idée ne nous en soit pas familière, il n'est pas impossible qu'un langage, un modèle sémantique dont les éléments seraient des formes topologiques, ne puisse présenter, du point de vue de la déduction, des avantages sérieux sur le langage linéaire que nous pratiquons. En effet, les formes topologiques se prêtent par produit topologique, composition, etc., à une combinatoire infiniment plus riche que la simple juxtaposition de deux séquences linéaires."

Merci, donc, d'élever le débat à un niveau que le géomètre Thom affectionne particulièrement.

À quoi me font penser ces deux images artificielles ? À la mort, car, inconsciemment (*), ces images me répugnent profondément, elles ne me font absolument pas vibrer. Elles ne signifient rien pour moi car elles ne sont pas "vivantes".

Vous écrivez au début du chapitre XIII de PSI (1989) :

"Or, nous ne disposons pas d’une théorie de la signification, et une représentation de son mécanisme nous fait entièrement défaut."

Thom en propose pourtant une dès1968 dans "Topologie et signification" (**) :

"... créer une théorie de la signification , dont la nature soit telle que l'acte même de connaître soit une conséquence de la théorie. (...) Nous allons nous efforcer d'en donner un modèle de caractère objectif, de nature géométrique et dynamique. Et ce modèle nous le trouverons dans l'idée mécanique de résonance."

(*) Et maintenant consciemment, grâce à Thom.

(**) L'article se trouve dans "Modèles mathématiques de la Morphogenèse" (1975, 1981)


Préambule off. ]


Vif du sujet on.

L'Humain -H majuscule- à Paul de Vannes sur le chemin de Conleau :

"Paul, Paul, pourquoi me persécutes-tu avec ton IA ? (on est dimanche !), parce que l'IH est libidineuse (#) alors que l'IA ne l'est pas.

J'espère te mettre ce scotch du capitaine Haddock dans un coin de ta tête et que, tous les jours qui te restent à vivre, tu rumines ça comme un taureau, comme Nietzsche, comme tu peux.

La plus compliquée des catastrophes élémentaires de Thom est la catastrophe initialement "ombilic parabolique", requalifiée ultérieurement en catastrophe champignon (*).

De quel champignon s'agit-il? Thom l'écrit à la page 192 de SSM (2éme ed.) dans une section intitulée "Chréodes génitales" (ces mêmes chréodes dont tu parles dans PSI (**) ): phallus impudicus.

Trouve ou fais toi-même une belle photo "in situ" d'un phallus impudicus et d'une trompette de la mort (requalifiée pour l'occasion en trompette de la vie), et affiche-la au-dessus de ton lit comme pin-up, là où d'autres placent le crucifix. Et n'oublie pas de faire tes prières tous les jours !

Pense et agis comme tu es, Paul.

Vif du sujet off.


(#) : Du latin libidinosus : qui suit son désir.

(*) Les ombilics elliptique et hyperbolique ont été requalifiés respectivement en poil et vague :

"(...) les états elliptiques doivent s'interpréter comme des états de tension, les états hyperboliques comme des états de relâchement ; on s'expliquera
ainsi qu'un état de tension, bien que nécessaire à la vie, soit toujours de durée limitée et suivi de relâchement. Cette dialectique perpétuelle elliptique–hyperbolique n'est pas sans rappeler l'opposition yin-yang de la médecine chinoise ou encore l'opposition excitation-inhibition chère aux neurophysiologistes. Le sexe masculin présente, à cause de la nature même de transport spatial de l'acte sexuel mâle, une nature plus elliptique que le sexe féminin ; on pourra peut-être ainsi s'expliquer – chose grosso modo vérifiée de E. Coli jusqu'à l'homme – que les mâles soient plus velus (en un sens généralisé) que leurs compagnes et qu'ils soient aussi biologiquement plus fragiles.

Dans le même ordre d'idées, on sait le rôle étendu que Freud a attribué au symbolisme sexuel (dans les rêves notamment) ; il faut bien admettre que si les formes géométrico-dynamiques représentant les processus sexuels se rencontrent dans tant d'objets de la nature animée ou inanimée, c'est parce que ces formes sont les seules structurellement stables dans notre espace-temps à réaliser leur fonction fondamentale comme l'union des gamètes après transport spatial. On pourrait presque affirmer que ces formes préexistent à la sexualité, qui n'en est peut-être qu'une manifestation génétiquement stabilisée." (SSM, 2ème ed., p.97)

(**) "On pense immédiatement aussi au terme de chréode introduit par Waddington (1957 : 32) pour rendre compte de passages obligés tout à fait analogues en embryologie (cf. aussi Thom 1972 : 121-123 ; Thom & Waddington 1967)."




 

Réponse à Paul jorion.1

jc

  10/11/2024

https://www.pauljorion.com/blog/2024/11/08/un-nouveau-nous-pour-des-temps-nouveaux-xiv-lintelligence-un-trait-dont-nous-sommes-tout-particulierement-fiers/comment-page-1/#comment-1038188

Réponse à Paul Jorion+

jc

  11/11/2024

Le "plus" c'est : "Fais comme Donald, pas comme René"
mis devant "pense et agis comme tu es, Paul »
 

Réponse à Paul jorion.2

jc

  12/11/2024

Celle-là me plaît bien;

[ Je rappelle que pour Thom l'intelligence est la capacité de s'identifier à autrechos, à autrui. ]

"
@PJ : Êtes-vous intelligent, Paul Jorion? Selon la définition de Thom vous êtes intelligent, et même très intelligent. Mais, selon moi, cette intelligence est en train de vous perdre. Je m’explique.
Quand vous avez étudié les règles de formation des prix des produits de la pêche, vous êtes allé jusqu’à vous identifier aux pêcheurs d’Houat. Premier bouquin : Les pêcheurs d’Houat, plein d’humanité.
Vous avez fait de même avec les paludiers du traict de Penbé et du traict de PenBron. Deuxième bouquin : La transmission des savoirs, également plein d’humanité.
Et aussi avec votre programme ANELLA et l’ordinateur sans lequel ANELLA ne peut travailler. Troisième bouquin : Principes des systèmes intelligents. Là vous vous êtes identifié à une machine, Paul Jorion, et vous vous êtes ainsi complètement déshumanisé. Ça se sent dans tous les chapitres de « Un nouveau « Nous » pour les temps nouveaux » (futur bouquin, je suppose), et ça saute aux yeux dans le chapitre XV.

Libido oblige, le sujet humain a tendance à s’identifier « amoureusement » à l’objet de son désir, à se projeter sur lui (avant de se jeter sur lui s’il s’agit d’une proie ou d’un partenaire sexuel). ( Pour Thom le chat se projette mentalement sur la souris, avant de se jeter sur elle dès qu’il l’aperçoit, et le passage de la puissance à l’acte est catastrophique -au sens thomien- (*). )

Pour moi le tout jeune humain est prodigieusement intelligent, parce qu’il a son « moi » à construire, initialement un trou à remplir, et il le remplit en s’identifiant à autre chose et à autrui (sein maternel, mère, père, fratrie, etc.).

Nous avons le même âge, Paul Jorion, et sommes donc plus près de la fin que du début. Mais avant l’issue fatale nous avons la possibilité de retomber en enfance. À nous d’en profiter.


 

Une utopie réaliste ?

jc

  13/01/2025

PhG* : « Il suffit d’un mot, d’une phrase, d’une citation à placer en tête, la chose inspiratrice qui ouvre la voie et là-dessus se déroule le texte, à son rythme, entièrement structuré, avec sa signification déjà en forme et en place. Je n’ai rien vu venir et j’ignore où je vais, mais j’ai toujours écrit d’une main ferme et sans hésiter… et toujours, à l’arrivée, il y avait un sens, une forte signification, le texte était devenu être en soi… C’était un instant de bonheur fou. »

Sur le même mode peut-être suffit-il aussi d'un (bon) symbole pour qu'une situation s'éclaire d'un seul coup "en un instant de bonheur fou", la lumière, c'est bien connu, courant plus vite que les doigts sur le clavier ?

Pour se représenter l'opposition IA/IH je propose l'image de la BnF répartie comme on sait en quatre bâtiments (hauteur 80m ?) symbolisant la connaissance livresque, sis aux quatre coins d'une dalle nue au centre de laquelle est érigée une structure fine, frêle et souple comme un roseau.

Fine structure évidemment en forme de double hélice, dominant (de 40m ?) les quatre monolithes, domination symbolisant celle de l'IH sur l'IA.

Au rez de chaussée un panneau : Tour Panoramix avec blason de la ville de Paris et sa devise "Fluctuat nec mergitur" et aussi avec blason de la commune de Le Tartre Gourhan (presque le même, dessiné par Uderzo) avec sa devise "Nec mergitur item".

Plateau panoramique au sommet avec en son centre une reproduction agrandie du génome humain (5 millièmes de millimètres, ai-je lu).

Date des plus anciens écrits de l'humanité, date estimée de l'origine du génome humain.

Citations :

- Le roseau pensant de Pascal, évidemment ;

- Je verrais bien aussi celle-ci de Thom : "Nous ne pourrons jamais connaître que ce que notre esprit peut connaître. Mais fort heureusement, nous ne connaissons pas les limites de ce que notre esprit peut connaître."

[ Mon symbole préféré est incontestablement celui du blason avec devise du Tartre-Gaudan, car il renvoie au village Astérix cher, j'en suis convaincu, à France d'en bas.

Si part belle est ici laissée aux logocrates, il ne faut pas oublier les topocrates…]


* : https://www.dedefensa.org/article/le-desenchantement-de-dieu




 

Une utopie réaliste ?.1

jc

  13/01/2025

Autres citations thomiennes :

- à rajouter :

"Je suis convaincu que le langage, ce dépositaire du savoir ancestral de notre espèce, détient dans sa structure les clés de l'universelle structure de l'Être."

- à rajouter (?) :

"L'analogie Génétique-Linguistique, si tentante qu'elle soit pour l'esprit, n'en suscite pas moins de sérieuses réserves. Les structures biologiques sont tri-dimensionnelles, et non uni-dimensionnelles comme l'est la chaîne parlée. L'unidimensionnalité du génome est vraisemblablement moins due à une contrainte de communication qu'à une contrainte d'autoréplication. Personnellement, je serais tenté de croire que l'analogie doit être prise en sens inverse de celui où on la prend d'ordinaire. Le langage s'est créé chez l'Homme, par invasion du champ conceptuel par le champ « génétique » :
les concepts pensés par l'homme sont devenus capables de se reproduire, en fabriquant leurs propres « gamètes » que sont les mots. Autrement dit : la Linguistique s'explique par une extension des mécanismes de la Génétique, et non l'inverse."

- à ne certainement pas rajouter (?) :

"Le rôle du génome apparaît finalement plutôt comme un dépôt « culturel » de modes de fabrication des substances nécessaires à la morphogénèse. Il n'est peut-être guère plus nécessaire à l'embryogénèse que ne l'est la consultation des livres de cuisine aux réalisations gastronomiques d'un grand chef (ou en tout cas guère plus que l'ensemble de ses fournisseurs…)."*


* : L'intuition haute des grands chefs…

L'IA et le logocrate.1

jc

  13/01/2025

En reparcourant l'article je tombe sur un paragraphe qui ne m'avait pas accroché dans mes précédentes lectures :

" « Pour bien écrire, il faut penser clairement, et penser clairement est difficile. » Ce qui pourrait être dit encore plus vite, par cet axiome absolu : “pour penser, il faut écrire (c’est-à-dire parler une langue)”. C’est l’amorce du fondement de la logocratie, dont on sait que je suis un partisan total."

Cet extrait n'est pour moi pas si clair que ça parce que j'interprète « Pour bien écrire, il faut penser clairement, et penser clairement est difficile. » par "pour bien écrire il faut au préalable bien penser" alors que j'interprète "pour penser, il faut écrire" par "pour écrire il faut d'abord penser".

En bref le problème est : est-ce qu'on parle parce qu'on pense ou est qu'on pense parce qu'on parle ? La réponse à cette question renvoie à la question suivante : qu'est-ce qu'un logocrate ?

Thom (who else ?) replace ces questions dans un cadre plus général :

"Cette opposition entre une singularité créée comme un défaut d'une structure propagative ambiante, ou une singularité qui est source de l'effet
propagatif lui-même pose un problème central qu'on retrouve pratiquement à l'intérieur de presque toutes les disciplines scientifiques. La
Physique contemporaine admet plutôt le premier [deuxième ?] aspect : la particule est source d'un champ qu'elle génère ; Einstein, en Relativité Générale, verra
plutôt dans la particule la singularité d'une métrique de l'espace-temps. On retrouve ici cette aporie fondamentale du continu et du discret qui est au
cœur de la mathématique. On retrouvera cette même aporie jusqu'en psychologie : est-ce que nous parlons parce que nous pensons, ou au
contraire est-ce que nous pensons parce que nous parlons ?" (1986, Philosophie de la singularité, article qui figure dans Apologie du logos, Hachette, 1990)

Pour moi un logocrate pense parce qu'il parle alors qu'un topocrate parle parce qu'il pense.

 

L'IA et le logocrate.2

jc

  13/01/2025

Steiner, logocrate : " Pour simplifier à outrance, la théorie “transcendante” du langage postule un processus ou un moment de “création spéciale”. Elle soutient que la notion de “pensée préverbale” est, littéralement, dénuée de sens. "

Thom, topocrate : "On notera que cette présentation des ontologies intelligibles peut être faite au niveau préverbal : l'intelligibilité* est ainsi une propriété des phénomènes (interprétés en tant que Gestalten) avant toute conceptualisation au sens strict." (Esquisse d'une Sémiophysique", p.31).

L'opposition logocrate/topocrate : une opposition transcendance/immanence ?

Pour Thom (pour qui la théorie des catastrophes est une théorie de l'analogie) : "Le monde de l'analogie est un monde qui porte son ontologie en quelque sorte avec soi.",

et : "L'immanence désigne, en philosophie et en parlant d'une chose ou d'un être, le caractère de ce qui a son principe en soi-même, par opposition à la transcendance, qui indique une cause extérieure et supérieure." (Wikipédia)

* : le sens…

L'IA et le logocrate.3

jc

  13/01/2025

"Ne peut-on admettre que les facteurs d'invariance phénoménologique qui créent chez l'observateur le sentiment de la signification proviennent des propriétés "réelles" du monde extérieur, et manifestent la présence "objective" d'entités formelles liées à ces objets et dont on dira qu'elles sont "porteuses de signification" ? Cela les poètes* l'ont su et l'ont dit bien avant les savants :

"La nature est un temple où de vivants piliers
laissent parfois sortir de confuses paroles.
L'homme y passe à travers des forêts de symboles
qui l'observent avec des regards familiers."

Extrait de "Topologie et signification" que l'on trouve dans "Modèles Mathématiques de la Morphogenèse" (1974, 1980).

* : Baudelaire, Les fleurs du mal

L'IA et le logocrate.4

jc

  13/01/2025

Thom logocrate.

Dans les commentaires précédents on reconnaît un Thom indubitablement topocrate et aristotélicien.

Mais je crois que Thom peut être aussi considéré comme un logocrate platonicien, à condition de se placer dans le cadre du langage mathématique, et non dans celui du langage usuel. Il rejoint alors Galilée pour qui "le livre de la nature est écrit en langage mathématique".

Thom : "En dépit de mon admiration pour Aristote, je reste platonicien en ce que je crois à l'existence séparée (« autonome ») des entités mathématiques, étant entendu qu'il s'agit là d'une région ontologique différente de la « réalité usuelle » (matérielle) du monde perçu. (C'est le rôle du continu — de l'étendue — que d'assurer la transition entre les deux régions.)" (ES, p.245)

Forêts de symboles

jc

  14/01/2025

[ Pour attirer l'attention des non-mathématiciens sur l'œuvre de Thom. (Ce n'est pas destiné aux connaisseurs !) ]

Il s'agit de forêts de symboles naturels émis par la nature en direction du mathématicien* et de forêts de symboles mathématiques émis par le mathématicien en direction de la nature.

En 1609 (?) Galilée a affirmé que le livre de la nature était écrit en langage mathématique. Peut-être pensait-il à la nature vivante, mais ses travaux ont, à mon insuffisante connaissance, seulement porté sur la nature inerte -la physique post-galiléenne-. Si bien qu'un dialogue entre les mathématiciens et la nature était à cette époque impossible.

Il a fallu attendre 1968 et René Thom pour entrevoir que ce dialogue était possible en ce qui concerne la nature vivante -la physique aristotélicienne-, et l'auteur de Stabilité Structurelle et Morphogénèse fut salué à l'époque comme un nouveau Newton :

"L'ambition ultime de la théorie des catastrophes, en fait, est d'abolir la distinction langage mathématique-langage naturel qui sévit en science depuis la coupure galiléenne."

Il suit de * que Thom est logocrate à la condition expresse que le langage qu'il utilise soit le langage mathématique. Il suit alors que Thom est topocrate lorsqu'il utilise le langage naturel et qu'il ne l'est pas lorsqu'il utilise ce langage.

Sans cette fois citer Galilée, Thom écrit dans "De l'icône au symbole" (1972)** :

"On sait que vers l'âge de dix-huit mois, le nouveau-né commence son babillage; il prend conscience de ses possibilités articulatoires, et -disent les spécialistes- forme à cette époque les phonèmes de toutes les langues du monde. Les parents lui répondent dans leur propre langue, et, peu de temps après, le bébé n'émet plus que les phonèmes de cette langue, dont quelques mois plus tard, il maîtrisera le vocabulaire et la syntaxe.

Je verrais volontiers dans le mathématicien ce perpétuel nouveau-né qui babille devant la nature; seuls ceux qui savent écouter la réponse de Mère Nature arriveront plus tard à ouvrir le dialogue avec elle, et à maîtriser une nouvelle langue. Les autres ne feront que bourdonner dans le vide -bombinans in vacuo.

Et où, me direz-vous, le mathématicien pourrait-il entendre la réponse de la nature? La voix de la réalité est dans le sens du symbole."

Pour préciser la façon dont s'ouvre le dialogue, je ne vois pas mieux que le passage de Stabilité Structurelle et Morphogénèse consacré au modèle thomien de formation des organes génitaux : d'un côté on a les catastrophes thomiennes ombilic elliptique et ombilic hyperbolique, décrites par des forêts de symboles mathématiques, et de l'autre on a les champignons naturels "elliptiques" (typiquement le Phallus impudicus) et "hyperboliques" comme les lactaires (?).

On notera à ce propos que le chapitre dont est tiré ce passage est épigraphé : "Et le Verbe s'est fait chair", ce qui laisse peu de doutes sur la façon dont Thom pense la logocratie.

* : cf. L'IA et le logocrate.3

** : On trouve cet article dans "Modèles Mathématiques de la Morphogenèse" (1974, 1980)