jc
26/09/2024
L'article de Charles Castets https://www.revue-elements.com/qui-est-alexandre-douguine-anatomie-dune-pensee-radicale-et-complexe/ me permet de me faire une idée de qui est Alexandre Douguine.
J'y découvre avec étonnement que "Douguine fréquentait alors les milieux nationalistes qui s’étaient agrégés après le coup d’État raté d’août 1991. En compagnie de l’écrivain Édouard Limonov, il a d’ailleurs animé, jusqu’en 1998, le mouvement national-bolchevique, qu’il a par la suite qualifié de « projet d’art politique »."
J'y vois surtout un intéressant parallèle à faire entre la fin de l'article ( Noomakhie, la « guerre des esprits » ) et la légende de la carte du sens de Thom ( http://strangepaths.com/forum/viewtopic.php?t=41 ), avec dans les deux cas une phase de bimodalité entre ciel et terre/mer :
pour Douguine "Il est caractérisé par le rythme et le mouvement. Son symbole est l’androgyne, le couple d’amants, le cercle, la danse, la répétition et le cycle." ;
pour Thom : "entre les deux, une sorte de croissant que l’on peut renverser, et que l’on peut voir comme un canot flottant sur le bouillonnement des forces naturelles."
[ Thom précise ailleurs : "Notre pensée se trouve ainsi confinée sur ce fragile esquif ballotté entre deux périls également mortels, ce « chapeau de Napoléon » ourlant la rive de L'Etre sous le ciel du Néant : forme presque-effaçable qu'une infime perturbation pourrait détruire. " ]
Autre point de contact :
Douguine : "Pour lui, les grands changements sont autrement efficaces que le gradualisme."
Thom : "le darwinisme a prétendu expliquer la variation des formes biologiques, alors qu’il ne s’est jamais préoccupé de les définir. (...) De ce point de vue, j’affirmerais que si le darwinisme contient une substance scientifique, c’est seulement dans l’opposition Gradualisme vs Catastrophisme » qu’on la trouve. Chez les darwiniens d’aujourd’hui, le gradualisme est un dogme."
http://j-costagliola.over-blog.com/article-un-programme-pour-la-biologie-theorique-par-rene-thom-medaille-fields-preface-a-faut-il-bruler-darwin-l-harmattan-1995-52930252.html
jc
26/09/2024
La position de Thom sur la science moderne (donc occidentale) est présentée à la toute fin de "Esquisse d'une Sémiophysique" :
"On s'imagine que le monde a été construit par un démiurge intelligent, grâce à certaines formules simples. Le but de la Science, c'est de retrouver ces formules, qui permettront à l'Homme de réaliser le rêve prométhéen de dominer le monde. (...) La Science moderne a eu tort de renoncer à toute ontologie en ramenant toute ontologie au succès pragmatique. (...) Seule une métaphysique réaliste peut redonner du sens au monde."
Thom écrit ailleurs :
"On doit donc [en Science] postuler en principe le déterminisme, mais garder présente à l'esprit sa nature essentiellement multiforme et scindée. (...) Une bonne théorie des scissions du déterminisme reste à faire. La physique s'zest fascinée sur le problème de l'unification des causes, c'est-à-dire la théorie du champ unitaire. C'est le problème inverse de la scission, et de la relative indépendance des types de facteurs causatifs, qu'il importerait au contraire d'élucider."
J'ai hâte de connaître la position de Douguine.
jc
12/10/2024
En reparcourant le chapitre "De la sphère au cube" du "Règne de la quantité..." je m'aperçois qu'il comporte de nombreux points de contact avec l'incursion thomienne en métaphysique extrême de "Esquisse d'une sémiophysique" (p.216), incursion (1) qui aurait pu être écrite par un philosophe/métaphysicien totalement ignorant des mathématiques qui ont conduit Thom à terminer ainsi sa seconde (et dernière) œuvre majeure.
Le mot-clé qui a attiré mon attention est celui de différenciation, terme évoqué à plusieurs reprises par Guénon (2) et implicite dans (1). Les fins connaisseurs de l'œuvre de Guénon (je pense à A. Douguine et à A. de Benoist) ont là, selon moi, un point d'entrée privilégié pour accéder à ce que je considère comme l'intuition primordiale qui gouverne toute la pensée thomienne, qui consiste à oser l'analogie entre différenciation biologique et différentiation mathématique (3), intuition qui lui est venue en visitant un musée où étaient exposés des modèles en plâtre des stades successifs de la gastrulation de la grenouille.
Reconsidérer l'ethno-différentialisme (4) et le spécisme dans cadre de la vaste (5) perspective thomienne ?
[ La reproduction sexuée est explicitement mentionnée par Thom en (1). Pour moi on peut considérer qu'elle l'est symboliquement par Guénon lorsqu'il oppose la sphère/ovule, aux six directions orthogonales au cube issues de leur centre commun (cf. "Le symbolisme de la croix", chap. IV intitulé "Des directions de l'espace"), ces six directions/vecteurs symbolisant en 3D six spermatozoïdes. En augmentant la dimension on augmente le nombre de vecteurs/spermatozoïdes, jusqu'à l'infini lorsqu'on se place dans l'espace de Hilbert qui est l'espace dans lequel sont formulés les postulats de la mécanique quantique et qui suggère alors de penser ces spermatozoîdes comme les vecteurs propres d'un mystérieux opérateur…). "La voie de crête entre les deux gouffres de l'imbécilité d'une part et le délire d'autre part n'est certes ni facile ni sans danger, mais c'est par elle que passe tout progrès futur de l'humanité" (Thom) ]
(1) "L'image de l'arbre de Porphyre me suggère une échappée en "Métaphysique extrême" que le lecteur me pardonnera peut-être. Il ressort de tous les exemples considérés dans ce livre qu'aux étages inférieurs, proches des individus, le graphe de Porphyre est susceptible -au moins partiellement- d'être déterminé par l'expérience. En revanche, lorsqu'on veut atteindre les étages supérieurs, on est conduit à la notion d' "hypergenre", dont on a vu qu'elle n'était guère susceptible d'une définition opératoire (hormis les considérations tirées de la régulation biologique). Plus haut on aboutit, au voisinage du sommet, à l'Être en soi. Le métaphysicien est précisément l'esprit capable de remonter cet arbre de Porphyre jusqu'au contact avec l'Être. De même que les cellules sexuées peuvent reconstituer le centre organisateur de l'espèce, le point germinal α (pour en redescendre ensuite les bifurcations somatiques au cours de l'ontogénèse), de même le métaphysicien doit en principe parvenir à ce point originel de l'ontologie, d'où il pourra redescendre par paliers jusqu'à nous, individus d'en bas. Son programme, fort immodeste, est de réitérer le geste du Créateur. Mais très fréquemment, épuisé par l'effort de son ascension dans ces régions arides de l'Être, le métaphysicien s'arrête à mi-hauteur à un centre organisateur partiel, à vocation fonctionnelle. Il produira alors une "idéologie", prégnance efficace, laquelle, en déployant cette fonction, va se multiplier dans les esprits. Dans notre métaphore biologique ce sera précisément cette prolifération incontrôlée qu'est le cancer.
Aristote a dit du germe, à la naissance, qu'il est inachevé. On peut dès lors se demander si tout en haut du graphe on n'a pas quelque chose comme un fluide homogène indistinct, ce premier mouvant indifférencié décrit dans sa Métaphysique; que serait la rencontre de l'esprit avec ce matériau informe dont sortira le monde? Une nuit mystique, une parfaite plénitude, le pur néant? Mais la formule d'Aristote suggère une autre réponse, théologiquement étrange. Peut-être Dieu n'existera-t-il pleinement qu'une fois sa création achevée : "Premier selon l'être, dernier selon la génération"."
(2) La référence initiale à "l'œuf du monde" et à l'embryologie évoque déjà clairement le concept de différenciation biologique.
(3) il y a pour Thom un mécanisme formel universel qui commande toute morphogenèse, et il l'explique de manière élémentaire (selon lui…) par l'analogie entre le développement d'un embryon d'une part, et une série de Taylor à coefficients indéterminés d'autre part (cf. p.48 de la première édition de "Stabilité Structurelle et Morphogénèse" ou p.32 de la seconde).
(4) J'aurais attendu ethno-différencialisme, qui évoque les sciences humaines, l'ethno-différentialisme renvoyant selon moi plutôt aux sciences dites dures.
(5) Sans trop insister (car, paraît-il, d'une grande modestie dans la vie de tous les jours), il est clair dans l'esprit de Thom que la théorie qu'il propose est une révolution scientifique au sens de Kuhn, en fait pas seulement scientifique car Thom n'est pas démarcationniste ("Finalement, le problème de la démarcation entre scientifique et non scientifique n'est plus guère aujourd'hui qu'une relique du passé ; on ne le trouve plus guère cité que chez quelques épistémologues attardés – et quelques scientifiques particulièrement naïfs ou obtus."). À ce propos le lecteur intéressé pourra audio-visionner la fin de ce que j'appelle la vidéo-testament de Thom ( https://www.youtube.com/watch?v=fUpT1nal744 ) à partir de 43'. ]
jc
01/11/2024
Thom : « (…) l’homme est pourvu d’un dispositif universel qui, sur un champ de dynamique neuronique, peut en reconstituer le centre organisateur. Véritable gonade mentale, ce dispositif condense les champs en mots, vraies semences d’idées ; placé dans un contexte approprié, le mot germe et éclate dans l’esprit de l’auditeur, et la forme globale ainsi reproduite est l’idée. Ainsi, la pensée conceptuelle est une Embryologie permanente. »
« Dès qu’un mot est utilisé fréquemment avec une signification différente de sa signification initiale, il en résulte une tension sur les parois de la figure de régulation du concept, tension qui pourrait fort bien la briser; le concept alors se défend en suscitant alors la naissance d’un mot nouveau qui canalise cette nouvelle signification. La formation de néologismes est ainsi une illustration -difficilement réfutable- du principe lamarckien : la fonction crée l’organe. Elle illustre aussi l’accélération énorme des processus évolutifs qu’a opéré le transfert du génétique au cérébral. »
Le problème des mots polysémiques -tel trans- est qu'ils éclatent dans l'esprit de l'auditeur en créant de multiples chenaux qui canalisent des significations différentes.
[ La communication moderne consiste à creuser certains canaux plus profondément que d'autres. Ainsi en va-t-il actuellement du mot trans qui privilégie quasi-automatiquement -dans l'esprit de l'auditeur lambda- la chaîne signifiante Trans-Transgenre-LGBT-etc. ]
Le problème de la transmutation continue du cercle en carré doit ici être vu comme l'analogue qualitatif du problème quantitatif de la quadrature du cercle -célèbre pour les matheux-. Contrairement à celui-ci ce problème (*) a une solution qui laisse à penser qu'il peut en être de même pour la sphère et le cube (cf. mon précédent commentaire) et ... pour l'œuf et la poule.
Enchaînés face au mur de la caverne de Platon, nous voyons alternativement et indéfiniment le disque se changer continûment en carré puis le carré en disque. Et nous cherchons à deviner ( c'est le terme adéquat ! ) une forme solide ainsi que son mouvement -les plus simples possibles- qui expliquent cette alternance de cercles et de carrés sur le mur de la caverne.
Il suffit de prendre pour solide un cylindre dont la longueur est égale au diamètre de sa section, de le suspendre au plafond de la caverne par le milieu d'une génératrice et de le faire tourner, puis de placer la source lumineuse de façon à éclairer correctement le mur.
Mathématiquement on doit "monter" en 3D pour avoir l'explication de ce que l'on voit en 2D ( plus précisément on doit "monter" en 4D puisque les ombres projetées sont en 3D, la caverne de Platon étant une salle de cinéma ).
Notre condition humaine fait que nous sommes enchaînés au fond d'une caverne de Platon dont nous ne connaissons pas la dimension, mais dont le "mur" du fond est 3D. Je suis incapable d'imaginer une forme solide (a fortiori son mouvement) qui transmute une sphère en cube car cela exige de "monter" au moins en 4D, mais je suis convaincu qu'il y a des matheux qui savent faire ça (**).
Quid de la transsubstantiation de l'œuf cosmique en poule cosmique ?
Thom : "Selon beaucoup de philosophies Dieu est géomètre. Il serait peut-être plus logique de dire que le géomètre est Dieu."
(*) Voir "Le symbolisme de la croix" (chap. VI et XV) et "La grande triade" (chap. II).
(**) Thom : J'ai transposé tous les théorèmes connus de la géométrie de R3 dans la géométrie de R4. (...) Je voyais déjà dans l'espace à quatre dimensions à l'âge de dix, onze ans." ( http://pedagopsy.eu/entretien_thom.html )
jc
01/11/2024
[ Pourquoi ce commentaire ? Parce que je pense -à la suite de Thom- que la mathématique est un langage universel qui est le support d'une religion universelle (#). ]
Ce que j'ai lu de Guénon m'apprend que beaucoup de traditions ont une vision genrée (sinon sexuée) du monde.
À ma piètre connaissance je ne connais pour représenter cette vision.que le symbolisme yin-yang chinois (le tàijí tú), et l'étoile à six branches formée de deux triangles inversés et enlacés.
La présence sur le tàijí tú d"un petit disque noir dans la partie blanche et d'un petit disque blanc dans la partie noir souligne que le Yi Jing est le livre des mutations (*) du yin-féminin en yang-masculin et réciproquement (et non une simple opposition du yin et du yang) (**).
Au cours de la mutation (continue) du genre, il y aura un moment où on aura un genre "androgyne", voie du milieu (***) entre le yin et le yang.
Métaphoriquement on a une sphère/frontière avec le ciel/yang à l'extérieur et la terre/yin à l'intérieur.
Géométriquement il s'agit alors de retourner la sphère pour faire passer l'extérieur à l'intérieur et réciproquement, ce qui se fait par invagination/exvagination (****, p. 8 à 11).
Symboliquement je préfère la représentation de la planche 8 (****, p.12) car elle me fait penser à une sorte de triskell 3D.
Métaphysiquement on est en pleine coincidentia oppositorum dont Héraclite disait que c'était l'harmonie suprême.
(#) : cf. mon commentaire https://www.dedefensa.org/article/encore-une-semaine-metahistorique
(*) Puisqu'on se place ici au niveau métaphysique je pense que le terme de transsubstantiation ( https://fr.wikipedia.org/wiki/Transsubstantiation ) est plus approprié que celui de transmutation ( https://fr.wikipedia.org/wiki/Transmutation ).
(**) Le dynamisme qui se dégage du tàijí tú renforce cette impression, à l'opposé de l'étoile à six branches, plus statique (sauf si on la fait tourner).
(***) La grande triade, chap.XXVI
(****) https://www.jp-petit.org/nouv_f/lacan_jpp.pdf
jc
02/11/2024
[ [ Pourquoi ce commentaire ? Parce que je pense -à la suite de Thom- que la mathématique est un langage universel qui est le support d'une religion (au sens premier de "qui relie") universelle (au sens d'acceptable par tous). ]
Après le Trans, le Queer !
Ce commentaire fait suite à la lecture du chapitre II de La grande triade, intitulé : "Différents genres de ternaires".
Parmi ces différents genres, Guénon en privilégie deux :
"L’un de ces deux genres est celui où le ternaire est constitué par un principe premier (au moins en un sens relatif) dont dérivent deux termes opposés, ou plutôt complémentaires" ;
"L’autre genre est celui où le ternaire est formé, comme nous l’avons dit précédemment, par deux termes complémentaires et par leur produit ou leur résultante, et c’est à ce genre qu’appartient la Triade extrême-orientale".
Tout récemment pour les mathématiciens (c'est-à-dire il y a déjà 80 ans), sont apparus -dans le cadre de la toute neuve théorie mathématique des catégories- les concepts de somme amalgamée (en anglais push out) (#) et de produit fibré (en anglais pull back) (##). Le choix du vocabulaire me fait douter que des anglo-saxons puissent faire le rapprochement qui suit (1).
Pour moi l'Androgyne dont parle Guénon plus loin (2) est quasi-exactement la somme amalgamée de l'Homme et de la Femme (majusculés pour les idéaliser).
Il ne faut pas voir -comme les matheux sont tentés de le faire- la somme comme une addition et le produit comme une multiplication. Il faut voir le produit comme le produit de l'union de l'Homme et de la Femme. Et Guénon indique comment il faut voir le somme : en son sens latin (3).
Ce que je trouve intéressant de remarquer, c'est que les notions de somme amalgamée et de produit fibré :
- sont définies comme solutions de problèmes universels ;
- s'échangent en inversant le sens des flèches.
Il suit que, au sens près, la somme amalgamée de l'Homme et de la Femme coïncide avec leur produit fibré, l'Androgyne-somme coïncide avec l'Androgyne-produit ; autrement dit que l'union de l'Homme et de la Femme préserve la lignée germinale. Ce n'est pas la position de Guénon, pour qui l'Androgyne-somme transcende l'Androgyne-produit (4).
Ce qu'écrit Thom dans Stabilité Structurelle et Morphogénèse à propos de son modèle de formation des organes sexuels (5) semble conforter ma position d'une androgynie "ne varietur" :
"Si l'embryon humain présente une structure hermaphrodite jusqu'à un âge avancé, ce n'est sans doute pas, comme le voudrait la loi de récapitulation, parce que nous eûmes de lointains ancêtres hermaphrodites ; mais plutôt parce que l'épigénèse, ayant à construire des mâles et des femelles, a trouvé plus économique de construire d'abord la situation seuil, quitte ensuite à infléchir, pour un court laps de temps, l'organisation dans un sens ou dans l'autre."
(#) https://en.wikipedia.org/wiki/Pushout_(category_theory)
(##) https://en.wikipedia.org/wiki/Pullback_(category_theory)
(1) L'étymologie (arabe) d'amalgame est : fusion amoureuse.
(2) Chap. IV
(3) Chap. X
(4) Chap. XVIII
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