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Article : L’ordre nouveau s’appelle désordre

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De la futilité de la contestation rationnelle et de "l’utilité" de La Fontaine et de Victor Hugo

Christian

  22/10/2010

Cet article pourrait s’intituler « Futilité (et une certaine vanité) de la contestation rationnelle prise de vitesse par l’effondrement du système contesté… »

Et ce titre-résumé pourrait remplacer avantageusement le nombre soudain et impressionnant de commentaires et d’analyses frémissants sur la blogosphère, venant comme la peste après l’orage, avec la vanité en plus (à quelques heureuses exceptions près) de se prendre pour la mouche du coche…

Pour le plaisir, petit rappel de cette fable de La Fontaine,

Avec :
dans le rôle de la mouche : la raison (« qui jura, mais un peu tard, que l’on ne l’y reprendrai plus »);
dans le rôle de la pente à gravir : la sortie (par l’effondrement) de notre contre civilisation;
dans le rôle des passagers : tous ces membres contestataires qui discutent, se rencontrent, parlent, sans que rien ne sortent encore de clair et de précis (le désordre ordonné);
dans le rôle du cocher : Mister America, évanoui sur son siège;
et enfin, dans le rôle des chevaux : chacun de nous…

Le coche et la mouche
(http://poesie.webnet.fr/lesgrandsclassiques/poemes/jean_de_la_fontaine/le_coche_et_la_mouche.html)

Dans un chemin montant, sablonneux, malaisé, Et de tous les côtés au Soleil exposé,
Six forts chevaux tiraient un Coche.
Femmes, Moine, vieillards, tout était descendu. L’attelage suait, soufflait, était rendu.
Une Mouche survient, et des chevaux s’approche ; Prétend les animer par son bourdonnement ;
Pique l’un, pique l’autre, et pense à tout moment Qu’elle fait aller la machine,
S’assied sur le timon, sur le nez du Cocher ;
Aussitôt que le char chemine, Et qu’elle voit les gens marcher,
Elle s’en attribue uniquement la gloire ; Va, vient, fait l’empressée ; il semble que ce soit
Un Sergent de bataille allant en chaque endroit Faire avancer ses gens, et hâter la victoire.
La Mouche en ce commun besoin Se plaint qu’elle agit seule, et qu’elle a tout le soin ;
Qu’aucun n’aide aux chevaux à se tirer d’affaire.
Le Moine disait son Bréviaire ; Il prenait bien son temps ! une femme chantait ;
C’était bien de chansons qu’alors il s’agissait !
Dame Mouche s’en va chanter à leurs oreilles, Et fait cent sottises pareilles.
Après bien du travail le Coche arrive au haut.
Respirons maintenant, dit la Mouche aussitôt : J’ai tant fait que nos gens sont enfin dans la plaine.
(…)

Restons-en là, et cheminons donc vers la plaine, sans nous laisser importuner, distraire ni agacer par les mouches qui viennent se poser sur nos peaux et nos yeux pleins de sueur…

(Quant à ce qu’il restera du coche une fois dans la plaine, ne nous faisons pas d’illusions non plus… Il nous faudra bricoler avec les quelques bouts de planches réutilisables, improviser un marteau avec telle mâchoire du frein, reconstruire avec les débris…

Tiens, cela me fait penser à la conclusion de « La stratégie du choc » (Naomi Klein) : Dans les nombreux pays et cultures dévastées par le néolibéralisme fer de lance de notre glorieuse civilisation, dit-elle, « ces projets par nature improvisés se contentent de ce qui a été laissé derrière, des outils rouillés qui n’ont pas été emportés, cassés ou volés. (…) Ces mouvements cherchent à repartir non pas de zéro, mais plutôt du chaos, des décombres qui nous entoure. »

(le même texte, avec mes précisions qui, je crois, sont fidèles aux quelques 700 pages qui précèdent : « ces projets par nature improvisés se contentent de ce qui a été laissé derrière, des outils rouillés qui n’ont pas été emportés [par les tsunamis, ouragan et autre catastrophe naturelles], volés [par la finance internationale via le FMI et autres fantassins du « libre marché »] ou cassés [par les forces policières nécessaires à imposer ces (dé)“mesures”] (…) Ces mouvements cherchent à repartir non pas de zéro [la déstructuration totale et la « page blanche » voulue par la théorie du choc], mais plutôt du chaos, des décombres qui nous entoure. »)

Il y a aussi ce très beau texte de Victor Hugo, qui s’appelle « L’écueil, et la manière de s’en servir » (bref chapitre des « Travailleurs de la mer » narrant l’après naufrage), qui illustre bien ce qu’est l’humain quand il n’est pas fatigué psychologiquement, ce qu’est l’humain quand il mène à bien sa tâche de base de lutte contre le chaos, de construction d’un monde…

Lisez-le (accès : http://fr.wikisource.org/wiki/Les_Travailleurs_de_la_Mer_-_II,_1#IX._l.E2.80.99.C3.A9cueil.2C_et_la_mani.C3.A8re_de_s.E2.80.99en_servir. Version avec moult coquilles typographiques)… Texte frappant, intemporel, qu’on dirait pour aujourd’hui… (Qu’on pourrait appeler, pour paraphraser à la fois Grasset et Hugo, et pour se donner du courage, « La succession d’explosions pulvérisant la grande aventure de la modernité, et la manière de s’en servir »…)