jc
18/11/2017
C'est le lien à "l'éternel présent" dans "Le nucléaire: l'impasse Trump", lien qui renvoie à l'article "Du big Now à l'éternel présent", qui m'incite à prolonger mon précédent commentaire.
A titre purement spéculatif j'associe à l'éternel présent, l'Aïon des anciens grecs, le temps de la puissance aristotélicienne (rien à voir avec l'idéal de puissance): les événements sont là sans être là, ils sont là en puissance, en stand by. Et j'associe le temps de l'acte au Chronos des anciens grecs. (Puissance et acte étant pris au sens aristotélicien). Poussés dans leurs ultimes retranchements on a d'une part le temps éternel de la puissance pure, l'Aïon pur, avec un événement en puissance infiniment dilué, et d'autre part le temps instantané de l'acte pur, de l'événement acté en l'instant, en le big Now* du Chronos pur. Le passage de la puissance à l'acte se fait alors par contraction de l'Aïon sur le Chronos, d'un événement en puissance étalé sur toute la droite en un événement en acte concentré en un point. Toujours à titre éminemment spéculatif cette contraction me fait penser à la transformation de Fourier qui transforme la fonction constamment égale à 1 (l'événement élémentaire étalé en puissance sur toute la droite réelle) en la "fonction delta de Dirac" (l'événement élémentaire concentré en acte à l'origine). (Dans "Structure et fonction en biologie aristotélicienne" Thom associe cette contraction du temps à la contraction du muscle qui fait passer le bras de sa position au repos, en puissance (Aïon), à sa position fléchie, "au travail",en acte (Chronos))
Je retranscris ici un fragment de l'épilogue de "Stabilité structurelle et morphogénèse" qui m'a frappé récemment (je l'avais sans doute lu auparavant sans que cela me frappe):
"Dans le domaine des sciences humaines, il m'est difficile de me rendre compte si ma tentative présente quelque intérêt; mais en écrivant ces pages j'ai acquis une conviction: au coeur même du patrimoine génétique de notre espèce, au fond insaisissable du logos héraclitéen de notre âme, des structures simulatrices de TOUTES les forces naturelles AGISSENT, ou EN ATTENTE, sont prêtes à se déployer quand ce deviendra nécessaire." (C'est moi qui majuscule)
Puissance et acte, Aïon et Chronos.
("TOUTES…prêtes à se déployer quand ce deviendra nécessaire": une raison d'espérer?)
* Au moins depuis l'introduction de la théorie des ensembles dans l'enseignement des mathématiques (merci Bourbaki) nous (les scientifiques, au moins français) sommes formatés à voir le temps comme une succession d'instants, une succession de Now (pas tous big!). Même si ces instants sont infiniment proches les uns des autres (complétion des rationnels à la Dedekind ou à la Cauchy) cela ne fait pas de la droite réelle un continu, et cela ne permet pas de résoudre les paradoxes de Zénon (cf. "Les principes du calcul infinitésimal" de Guénon), et donc pas de penser le mouvement et le changement, pas de penser l'Histoire. Penser l'Histoire nécessite, selon moi, de penser le continu: aussi je classe Philippe Grasset parmi les penseurs du continu, même si l'intéressé n'en a pas conscience…
Thom: "Où se trouve le réel, l'univers concret où nous vivons? La réponse est simple: le monde réel se trouve immergé dans cet abîme, qui sépare le vrai continu, celui que nous donne l'intuition immédiate du temps, du faux continu pseudo-numérique que nous fabriquent les Logiciens et autres théoriciens des fondations de la Mathématique."
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Peut-être plus intéressant (et moins spéculatif) est l'instant du basculement, le Kairos des anciens grecs, distinct selon moi du début de passage à l'acte, du big Now. Je le vois comme l'instant de la prise de conscience d'un basculement décisif. Dans le lacet de prédation chat-souris c'est l'instant -postérieur au big Now, début de la poursuite de la souris en vue de sa capture (effet Libet)- où le chat prend conscience qu'il est redevenu un prédateur alors que (basculement) il s'identifiait jusque là à une souris virtuelle. Ce basculement est qualifié par Thom de catastrophe de conflit, réglé par la "convention de Maxwell", catastrophe intelligente, (alors que la catastrophe de bifurcation, catastrophe obtuse, est réglée par la convention de délai parfait): la perception de ce basculement (et en particulier de l'instant du basculement, du Kairos) exige en effet une intelligence globale du processus en cours (le cycle de prédation). Pour Thom cette intelligence globale nécessite la présence chez l'humain (et seulement lui?) d'un organe intelligent: un analyseur de fréquence, une sorte d'organe de Corti.
La perception du moment de la prise de conscience, du Kairos, a peut-être (sans doute?) peu d'importance dans le cas de prédation où l'homme se comporte peu différemment de l'animal (mais exige cependant une sensibilité "globale" que n'a peut-être pas l'animal). Ce n'est pas le cas dans le conflit circadien réel/imaginaire auquel l'humain est confronté tous les jours, ni dans le cas de conflits sociaux qui nécessitent de plus longues périodes (parfois beaucoup plus longues dans le cas de conflits civilisationnels) pour se réguler.
jc
18/11/2017
Pour Thom (et donc pour moi…) c'est incontestablement le cycle de prédation lié à la catastrophe "fronce". Exploité dès SSM (rédigé en 1968 mais publié seulement en 1972…), il est à la base des modèles biologiques de Thom ("L'assertion de nature translogique "Le prédateur affamé est sa propre proie" est, selon moi, à la base de l'embryologie animale"). C'est un cycle qui se parcourt "naturellement", une sorte de parcours obligé, une chréode (sauf, bien entendu, empêchement: dans le cycle chat-souris, le cycle est interrompu par, par exemple, la mort accidentelle du chat). Mais il a fallu attendre la publication de ES en 1988 pour que le "grand public" découvre le "lacet de prédation revisité" avec le présence de deux fronces. Et découvre alors le rééquilibrage absent des premiers modèles, rééquilibrage absolument fondamental pour l'équilibre psychique du prédateur (prédateur qui, sinon, deviendrait fou d'être en permanence aliéné par sa proie -idem pour la proie bien entendu-).
Thom: "Le sommeil est une sorte de revanche de la proie sur le prédateur".
Le grand vice de l'organisation sociale actuelle vient à mon avis de là, du déséquilibre structurel créé par l'ultra-capitalisme prédateur.
Thom: "Nos modèles dynamiques conduisent à une présentation de l'organogénèse au cours de l'Evolution qu'on peut ainsi schématiser: toute fonction physiologique correspond à une régulation "catastrophique" du métabolisme, une véritable onde de choc physiologique; l'organogénèse est une sorte de lissage rétroactif de cette onde de choc, ce qui donne à l'organe sa finalité, car son fonctionnement prévient la catastrophe physiologique (ainsi, respirer par les poumons prévient l'asphyxie)." (Thom dit ici en quoi et pourquoi il est lamarckien)
L'onde de choc sociétale est là et elle gagne tous les jours en intensité. Une petite minorité (poètes, artistes, etc.), dotés d'une plus grande sensibilité que la moyenne, la ressentent déjà depuis longtemps et en ont pris conscience; Philippe Grasset fait évidemment partie de ceux-là. Pour la grande majorité il y a un malaise inconscient dont l'origine est mal identifiée ("le monde marche sur la tête").
Je suis convaincu que sous peu (quelques années? quelques décennies?) il va y avoir une un retour à l'équilibre par la régulation de l'onde de choc, régulation qui se fera en l'occurrence par la compensation de l'ultra-individualisme actuel par une nécessaire forme de collectivisme. (Ainsi je verrai peut-être en direct la société se réorganiser en validant les vues de Lamarck…)
Le principe de base de cette réorganisation sociale sera l'empathie, c'est-à-dire l'impérative obligation (plus que la faculté donc) pour le sujet de s'identifier à son objet, identification naturelle lorsque le sujet désire plus son objet que lui-même, auquel cas on peut parler d'identification amoureuse. (Cette empathie n'a rien à voir avec la sympathie ou l'antipathie: les chats ont de l'empathie pour les souris.)
Cette exigence d'identification du sujet à son objet va beaucoup plus loin que l'impératif kantien ("ne fais pas aux autres ce que tu ne souhaite pas pour toi-même") -impératif qui semble oublié des dirigeants allemands actuels…-, et la loi du talion "oeil pour oeil, dent pour dent".
Pour Thom l'empathie est synonyme d'intelligence: "L'intelligence est la faculté de s'identifier à autre chose, à autrui". (Intelligence naturelle qu'il semble à première vue difficile de simuler artificiellement.)
Respecter l'impératif d'empathie pour jeter les bases d'une nouvelle civilisation n'est pas chose aisée. Il y a en effet une exigence primordiale et nécessaire d'avoir de l'empathie pour soi-même, ce qui peut sembler évident à première vue, mais qui ne l'est pas et semblera même pour beaucoup une difficulté insurmontable liée à l'auto-référence. Le seul espoir alors est que la connaissance de soi-même permette de connaître le monde, vieille idée du microcosme isologue du macrocosme. C'est exactement la position de Thom:
"Les situations dynamiques régissant les phénomènes naturels sont fondamentalement les mêmes que celles qui régissent l'évolution de l'homme et des sociétés." Et dans la phrase suivante il enfonce le clou de l'anthropocentrisme: "Ainsi l'emploi de vocables anthropomorphes en Physique est foncièrement justifié."
Si se mettre dans la peau des choses n'est pas aisé, se mettre dans la peau d'un chat (Thom était passionné d'éthologie) est plus facile que de se mettre dans celle du boson de Higgs. C'est ainsi, selon Thom, que se font les petites et les grandes découvertes.
La situation dynamique fondamentale est celle du tourbillon crisique considéré plus haut, tourbillon qui régule selon le mode "à chacun son tour" le conflit entre deux actants. Pour Thom ce tourbillon est généré par un champ morphogénétique, une chréode, qui a pour lui autant de réalité que les champs gravitationnel et électro-magnétique (qui sont peut-être des manifestations partielles de ce champ morphogénétique). (Le terme de chréode a été utilisé la première fois en biologie par l'embryologiste anglais Waddington dans le cadre de l'épigénétique -cf. les cours de Edith Heard pour les progrès récents à ce sujet-)
S'opposer à un champ morphogénétique -en particulier au tourbillon crisique fondamental- est possible (par exemple on peut stopper l'embryogénèse en tuant l'embryon) comme s'opposer au champ gravitationnel est possible (par exemple on peut stopper la chute d'une pomme). Mais dans tous les cas il y a un coût qui se manifeste par un désordre de l'équilibre du monde, par un désordre de son harmonie.
L'hyper-individualisme et l'hyper-capitalisme de notre contre-civilisation moribonde ont créé un déséquilibre entre individualisme et collectivisme, déséquilibre qui a perturbé l'ordre et l'harmonie du monde. Ordre, harmonie et équilibre qu'il appartiendra à la civilisation à venir de rétablir. Il est très probable qu'au niveau civilisationnel l'intensité des champs morphogénétiques en jeu soit considérable, et que, par conséquent, l'intervention humaine pour tenter de canaliser (ou simplement infléchir) ces champs soit complètement illusoire (que ces humains se nomment César ou Alexandre…).
Il faut noter que de nombreuses civilisations (souvent qualifiées de primitives) ont été très sensibles à ce problème de l'équilibre, toute prédation devant être, réellement ou symboliquement, compensée par une contre-prédation (loi du talion), tout don de la "nature" devant être compensé par un contre-don (sacrifices, offrandes aux dieux…). L'anthropologue Claude Lévi-Strauss a consacré une grande partie de son oeuvre à ce problème et sa célèbre formule canonique du mythe (de formulation quasi-mathématique) a vivement intéressé (voire fasciné) certains thomiens (Jean Petitot) et certains anthropologues (Lucien Scubla) qui ont tenté une explication à l'aide de la catastrophe de double fronce.
C'est peut-être à cette catastrophe (de codimension 7, ce qui est énorme) que Thom a pensé lorsqu'il écrit au psychopathologue Benoît Virole: "La typologie des catastrophes élémentaires peut être utile au début, mais il ne faudrait pas s'y attacher rigidement. Après tout l'échange don/contre-don est socialement assez fondamental, mais il n'existe aucune singularité de codimension <4 qui le réalise…" http://virole.pagesperso-orange.fr/cata.htm
Peut-être ces lignes inspireront-elles l'écononiste nobélisé Jean Tirole? (cela m'étonnerait fort). Dominique Temple (élève de Marcel Mauss?) montre, à mon avis correctement, la difficulté du problème à résoudre: https://www.pauljorion.com/blog/page/2/?s=dominique+temple
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