Pascal B.
28/10/2013
Pour une présentation de ce documentaire d’une très grande rigueur intellectuelle
==> http://www.reopen911.info/11-septembre/mise-en-ligne-du-documentaire-11-septembre-le-nouveau-pearl-harbor/
Les liens directs vers les trois parties du documentaire
Video 1 ==> http://www.youtube.com/watch?v=6Rf2nCW8SUE (“Les avions du 11-Septembre” - 1h51’)
Video 2 ==> http://www.youtube.com/watch?v=SuSl0YxJyn4 (“Le Pentagone et le Vol 93” - 0h43’)
Vidéo 3 ==> http://www.youtube.com/watch?v=iPAAjLXPzBM (“Le World Trade Center” - 2h09’)
Pascal B.
28/10/2013
“Il y avait déjà beaucoup d’excellents films et vidéos sur le 11/9. Mais le dernier documentaire du réalisateur plusieurs fois primé, Massimo Mazzucco, est clairement au-dessus du lot. Pour tous ceux qui ont travaillé sur le sujet du 11-Septembre toutes ces années, voilà le film que nous attentions tous.”
David Ray Griffin
Écrivain, professeur émérite de philosophie
des religions et de théologie,
co-directeur du Centre pour les études
de la Méthode à lécole de théologie de Claremont
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“C’est le meilleur traitement du 11-Septembre que j’aie jamais vu,
ou que j’aie jamais imaginé”
Elizabeth Woodworth
Documentaliste, écrivain co-fondatrice avec David Ray Griffin du 9/11 Consensus Panel
***
“Un extraordinaire exemple de comment un individu ou un petit groupe d’individus
ultra-minoritaire, peut changer le cours de l’Histoire”
Giulietto Chiesa
Journaliste italien, écrivain, homme politique, réalisateur du film “Zéro : Enquête sur le 11-Septembre”, fondateur du mouvement politique Alternativa
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“C’est un chef d’oeuvre, le meilleur film qui ait été fait sur le 11-Septembre”
Niels Harrit
Professeur émerite de Chimie à l’université de Copenhague
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“S’il y a quelques heures que le monde entier doit passer à voir les images d’un film,
pour être citoyen de cette planête et être digne de voter, de partager un avenir commun,
c’est à ce film qu’il faut les consacrer.”
Adam Shaw
Pilote de voltige (Captens.fr), instructeur de vol, ancien enquêteur, reporter, écrivain,
dominique
28/10/2013
L’article de Paul Woodward, “Une pathologie américaine” est traduit sur Info palestine (http://www.info-palestine.net/spip.php?article14130)
avec un renvoi à votre passionnante analyse.
dominique
31/10/2013
L’article de Paul Woodward, “Une pathologie américaine” est traduit aussi sur LGS :
http://www.legrandsoir.info/la-pathologie-americaine-war-in-context.html7
et les commentaires montrent que le renvoi à votre analyse percutante fonctionne
pierre
06/11/2013
Très intéressante interview du réalisateur du film “the Lab” qui traite du CMI israélien. Où l’on constate que pour Israël comme pour les USA, la guerre est une nécessité économique.
Les guerres contre Gaza font maintenant partie du système de gouvernance israélien : entretien avec le cinéaste Yotam Feldman
Ofri Ilani, +972 Magazine, mardi 6 août 2013
Dans son nouveau documentaire, The lab [en français Le laboratoire, ndlt], Yotam Feldman explore la manière dont les industries darmement israéliennes interagissent avec la politique du pays, son économie et les prises de décision militaires. Les armes, la technologie militaire et le savoir-faire israéliens sont valorisés parce quils ont été testés sur le terrain dans ses guerres et ses combats contre les Palestiniens et contre les pays voisins. Ci-dessous une conversation avec Yotam Feldman au sujet de son film, des marchands darmes et de léconomie militaire israélienne.
Peut-être devrions nous commencer par la place dIsraël sur le plan international. Ces dernières années, on la souvent caractérisé comme un isolement mondial croissant. Il peut arriver que cet isolement diminue parfois, mais il y a un consensus généralisé sur la baisse de popularité dIsraël à chaque nouvelle guerre et opération militaire. Vous dites quen fait cest le contraire. Dans votre film, on peut voir des officiers des armées du monde entier venir en Israël pour acheter des armes - dEurope, dInde, dAmérique latine et bien sûr - des États-Unis, vraiment du monde entier. Alors, ce discours sur les critiques et sur lisolement est-il une comédie à laquelle tout le monde participe ? Ou bien ces critiques représentent-elles une autre force que nous devons prendre en compte ?
Je pense quune vision dIsraël sest installée, celle dun barbare sans retenue qui vit dans un environnement brutal et qui est donc obligé dexercer une force considérable, excessive, bien que nécessaire. Il sen suit que cette vision est en général condescendante et indulgente. Plus important encore, je crois que le marketing de la sécurité dIsraël a réussi là où la Hasbara [promotion] a été moins fructueuse. Beaucoup de gens ne voient pas le lien entre larmement high-tech dIsraël et la force militaire débridée dont on parle dans les rapports des ONG des droits humains. Les gens les considèrent comme deux phénomènes distincts, affectés seulement dune proximité spatio-temporelle. Si on lit le rapport Goldstone sur le bombardement de la cérémonie à lacadémie de police à Gaza, le premier jour de Plomb Durci, et si on lit ensuite une brochure publicitaire de Rafaël concernant les tests opérationnels effectués sur « Spike 4 » (le missile utilisé par Israël lors de cet événement), il faut faire un effort pour se rendre compte que ce sont là deux récits différents du même événement historique. Il en va de même pour les drones utilisés dans les assassinats [ciblés, ndlt] à Gaza. Dun autre côté, il est possible que les Européens comprennent tout cela et ne sen soucient tout simplement pas.
Dans la dernière décennie, à la suite de lopération Plomb Durci, il y a eu le sentiment que cela ne pouvait plus durer, que dans cette situation, Israël devrait se lancer dans une troisième, quatrième, cinquième sixième guerre de Gaza, et peut-être également sur dautres fronts mais aussi quil ne peut pas vraiment être impliqué dans autant de guerres.
Après le désengagement (de Gaza) sest mis en place, à mon avis, un processus qui na été remarqué que par quelques personnes en dehors de larmée. La guerre a cessé dêtre un événement extraordinaire, inattendu et dramatique dans la vie de la nation, et elle est devenue une activité périodique qui en fait partie. Ainsi, à nimporte quel moment, Israël est soit en pleine guerre de Gaza, soit dans lattente de la prochaine. Entre le désengagement de 2005 et « Plomb Durci », nous avons eu « Pluies dété », « Hiver Chaud », et plusieurs autres opérations militaires à Gaza. Yoav Galant, commandant du front sud entre le désengagement et Plomb Durci, et que lon peut voir dans le film, a joué un rôle majeur dans la formulation de cette doctrine. Il a employé la métaphore dune tondeuse à gazon pour la décrire : la guerre comme une opération de maintenance de routine, périodique, au-delà des frontières.
Un des facteurs qui y ont contribué a été lutilisation massive de véhicules blindés ou de véhicules automatiques sans pilote, qui permet de mener des guerres dans lesquelles il ny a aucun rapport entre le risque pris dun côté et le risque encouru de lautre. Cela a remanié toutes les catégories morales, politiques et légales appliquées à la guerre. Jusquici, toutes les campagnes militaires étaient fondées sur lhypothèse dun conflit dans lequel les deux parties acceptaient la possibilité de tuer ou de mourir, mais ici, dans presque tous les cas, un côté tue et lautre meure. Les industries darmement, qui développent des produits pour les conflits du type de ceux de Gaza et persuadent larmée israélienne de les acheter jouent ici un rôle crucial. Le résultat est inquiétant car il me semble que la guerre à Gaza est devenue inhérente au système politique israélien, peut-être même une partie de notre système de gouvernance. Cétait particulièrement perceptible pendant lopération Pilier de Défense qui a eu lieu pendant la campagne électorale, et dont pourtant le soutien a fait lunité de tous les candidats au pouvoir.
Pensez-vous que les essais des systèmes darmement ont joué un rôle dans, disons, les calculs dEhud Barak lors des récentes guerres à Gaza ?
Cest difficile à écarter. Le lien est beaucoup plus direct que celui fait par le général Dan Halutz entre la deuxième guerre du Liban et son portefeuille boursier personnel. Il y a des liens très étroits entre, dun côté les industries darmement, et de lautre larmée et le système politique. La société darmement la plus rentable est Elbit, propriété de Mickey Federman, un des amis les plus proches dEhud Barak, et qui joue aussi un rôle clé dans ses campagnes électorales. Cette société est spécialisée dans les moyens avancés pour les guerres asymétriques, exactement le type de guerres conduites par Ehud Barak à Gaza ces dernières années. Il existe dautres cas de liens personnels comme celui-ci. En outre, il y a aussi un intérêt économique national. Le ministère de la défense joue un double rôle en tant quautorité supervisant la structure militaire et en tant que promoteur des ventes pour lindustrie darmement israélienne à létranger. Je pense quil serait inhumain dexiger que Barak sépare ces deux aspects. Je ne dis pas quils sengagent dans des campagnes militaires à Gaza pour tester des systèmes et senrichir, mais cela joue sans aucun doute un rôle.
Un niveau au-dessous, le complexe militaro-industriel israélien se donne beaucoup de mal pour convaincre les officiers de lIDF [Forces de Défense dIsraël en anglais, ndlt] dacheter leurs produits, et de les utiliser afin de booster leur potentiel dexportation. Cela passe aussi par le recrutement massif dofficiers supérieurs à la retraite comme promoteurs des ventes et chefs de projets face à leurs anciens collègues de lIDF. Un exemple remarquable est celui dElbit et du Général à la retraite Yiftach Ron-Tal.
Cette approche porte ses fruits. Un acteur clé du complexe militaro-industriel ma dit que les tests opérationnels effectués à Gaza sur le BMS dElbit (Système de gestion du combat un système spécial du genre internet pour les forces terrestres), un énorme projet à un milliard de dollars, a permis à Elbit daugmenter son prix de vente lors de la signature dun contrat avec lAustralie un an plus tard. Même chose pour Rafaël. La société a ouvertement déclaré quelle comptait profiter de lescalade de violence qui a précédé lopération Pilier de Défense avec la première utilisation du Dôme de Fer pour lever environ un demi milliard de shekels (approximativement 135 millions de dollars) par une émission dobligations. Un vendeur de chez IAI (Industries Aérospatiales Israéliennes) ma dit que les assassinats et autres opérations à Gaza provoquent une croissance des ventes de lentreprise de plusieurs dizaines de %.
Cependant il semble difficile de sen convaincre. On a le sentiment que les menaces qui augmentent, la nécessité de construire des murs, de tirer plus de missiles défensifs et de déployer plus dunités sur tous les fronts, tout cela va aboutir à une situation du type nous sommes à court dargent, ou alors, peut-être quà partir dun certain point cela commence à sinverser ?
La question est : qui voit ses ressources sépuiser ? Contrairement au passé, maintenant une partie substantielle des industries darmement est privée. Dun autre côté, lÉtat joue un rôle dans la réussite de ces sociétés au moyen de son investissement dans larmée israélienne, et des projets nationaux de recherche et développement. De ce point de vue, ainsi que la montré Shlomo Swirski, les industries darmement sont responsables du transfert de fonds publics vers une classe moyenne supérieure qui vit, directement ou indirectement, de ces industries. Une partie de cet argent revient finalement dans les coffres de lÉtat par limpôt et les recettes des fabricants darmes gouvernementaux, contribuant ainsi à une économie détat en guerre, et une autre partie reste dans le privé.
Est-ce bien nouveau ? Il y a toujours eu des marchands darmes israéliens, et, de façon générale, les États ont toujours tiré profit des guerres.
Lorsque jai commencé à faire ce film, jai rencontré le marchand darmes Yair Klein chez lui, au-dessus du marché aux puces de Jaffa. Nous avons longuement discuté de la thèse de ce film et du synopsis que je proposais. De prime abord, Klein aurait fait un protagoniste parfait pour un tel film. Un ancien officier de lunité délite Haruv, qui avait vendu aux milices colombiennes les tactiques employées par lIDF dans la vallée du Jourdain contre les activistes palestiniens qui traversaient la frontière jordanienne, à lépoque où Rehavem Zeevi commandait lunité et faisait ce quil voulait. Mais, au cours de notre conversation, je me suis rendu compte quen fait il navait aucune idée de ce dont je parlais. Sa génération ne comprend pas la réalité daujourdhui. Les ordres de grandeurs sont complètement différents de nos jours. Les profits tirés de la vente darmes israéliennes ont plus que décuplé, mais, plus important encore, les produits israéliens ont changé.
Klein vendait des armes létales et des méthodes dentraînement. Aujourdhui, Israël offre un modèle politique complet de guerre asymétrique, de conflit entre un État et des combattants irréguliers. Ce modèle comporte à la fois des éléments létaux et dautres doux [de nature relationnelle, ndlt]. Ainsi Israël exporte des missiles Rafael utilisées pour les assassinats [ciblés, ndlt] à Gaza, des drones IAI, les méthodes de combat du Général Aviv Kochavi, et des murs de séparation Magal, mais il exporte aussi des experts juridiques, des experts en administration des populations sur le modèle de ladministration civile israélienne en Cisjordanie et même de léthique de guerre. Cest peut-être la raison pour laquelle la gauche est en ce moment mieux implantée dans ce genre de business. Yossi Beilin vend des produits de sécurité, Shlomo Ben-Ami a occupé un poste de dirigeant chez Global CST, une société qui a fourni des armes et des entraînements au gouvernement colombien, et Ehud Barak est entré dans ce genre daffaires à son apogée, après le 11 septembre.
Vous dites en fait que depuis le 11 septembre, Israël sest encore une fois trouvé être linstructeur du genre humain pour le principal problème de lactualité internationale la guerre asymétrique. Ainsi, les Juifs sont de nouveau à lavant-garde de la pensée comme létaient Moïse, Jésus, Spinoza, Freud, Einstein, Kafka
Je ne sais pas sil est approprié de penser les instructeurs militaires israéliens en tant que Juifs. La généalogie militaire des officiers présentés dans le film commence avec Yigal Alon, passe par Meir Har-Zion et Ariel Sharon, et se termine avec Ehud Barak et Aviv Kohavi. Pour ces gens-là, le judaïsme ne joue pas forcément un rôle primordial dans lidentité.
Mais évidemment, sur ce type de sujet, le monde a une approche spéciale dIsraël, et des Israéliens, qui peut, dans une certaine mesure, être nourrie par le contexte historique dont vous parlez. Cela a à voir avec le fait que le conflit asymétrique dIsraël avec les Palestiniens, et peut-être aussi au Liban, a précédé les conflits qui nont éclaté quaprès le 11 septembre. Les produits et les méthodes israéliens sont utilisés dans les guerres de lAmérique en Irak et en Afghanistan, dans le conflit contre les FARC en Colombie, dans les guerres contre les seigneurs de la drogue au Mexique, dans les conflits ethniques au Cachemire, ainsi que lors des conflits économiques incarnés par les communautés fermées pour les riches en Afrique du sud, en Amérique latine et aux États-Unis. Cela a un effet économique phénoménal sur Israël. Ses exportations militaires ont triplé, de deux milliards de dollars par an au début des années 2000 à sept milliards lannée dernière (2012), et au cours de la dernière décennie Israël a été entre le quatrième et le sixième exportateur darmement au monde.
Vous parlez de la formule mathématique développée par le Pr. Yitzhak Ben-Israël pour optimiser le nombre de victimes dans un assassinat ciblé. Pouvez-vous expliquer cette formule ?
Ben-Israël a utilisé une équation mathématique pour expliquer la doctrine israélienne des assassinats ciblés. Cette équation est dérivée des équations entropiques de la physique qui décrivent le comportement des molécules de gaz et la mesure de leur degré dordre. Lorsquon augmente la température, les molécules se comportent de manière plus chaotique. Ben-Israël a adapté cette équation au problème du nombre de résistants palestiniens quil faut éliminer ou arrêter (nous ne pouvons pas rentrer ici dans les détails mathématiques complexes). Appliqué au cas de Gaza, il sagit avant tout de la politique israélienne dassassinats.
A vous écouter, cela semble sensé. Après tout, cest un moyen pour tuer le moins de gens possible tout en provoquant leffondrement de la force combattante ennemie Peut-on dire que lIDF réussit mieux maintenant à éviter de tuer des civils ?
Oui, dun certain point de vue. Lintérêt dIsraël nest pas juste de tuer des civils, et il nest pas douteux que lune des composantes de la théorie de la guerre asymétrique est un certain degré de retenue, en limitant lélément de violence excessive au cours dune guerre. Cela amène à se demander pourquoi les munitions de précision continuent à tuer des centaines et des milliers de personnes. On peut proposer quelques explications, et lune dentre elles concerne la définition du terme personne impliquée (c.-à-d. combattants vs. non-combattants). La définition israélienne de ce terme est très large et elle comprend aussi les 89 diplômés de la formation dagents de la circulation (du Hamas) tués le premier jour de Plomb Durci, de même que de nombreuses autres victimes, tuées par des frappes sur signature [1] - des attaques de drones menées sur la base de lactivité soupçonnée de la cible. Ce peut être nimporte quelle activité ressemblant à un tir de roquettes, mais aussi lutilisation dun téléphone portable pour photographier conduisant à considérer son propriétaire comme un éclaireur ennemi. Il y a en ce moment un débat aux États-Unis sur la possibilité de cibler automatiquement lors de telles attaques. La technologie permettant de fonder les attaques sur des types de comportement existe déjà, mais on na pas encore décidé si elle est moralement acceptable.
Lun des protagonistes du film est Shimon Naveh, qui a appliqué les théories critiques de Deleuze et Guattari lors de lincursion dans la Casbah de Naplouse durant lopération Rempart en 2002. Pensez-vous que cétait une utilisation perverse de leur philosophie ?
De nombreux universitaires en sciences sociales ont été choqués par ce quils ont lu sur Naveh, ne serait-ce que parce quils ne sattendaient pas à cet empiétement de létat et de larmée dans ce quils vivent comme leur sphère réservée. Somme toute, je suis daccord quand Naveh affirme que Deleuze nappartient pas quà ses disciples. Je pense quil vaut mieux de pas avoir cette discussion dans un espace aseptisé. Il vaut mieux quil soit pollué par des facteurs extérieurs, qui vont obliger à poser des questions, peut-être des questions sur la philosophie de Deleuze. Se pourrait-il que son adoption par Naveh nous dise quelque chose sur cette théorie elle-même ?
Parce quen effet, jai du mal à imaginer quelque utilisation militaire que ce soit de Foucault ou de Walter Benjamin. En outre, lasepsie universitaire supposée nest quune illusion. A luniversité de Tel-Aviv, de lautre côté du mur de lamphithéâtre où sont assis les étudiants qui travaillent sur Deleuze et qui entendent parler de Naveh, se tiennent des séminaires du programme détudes sécuritaires de luniversité, et là, les étudiants travaillent sur Naveh et entendent parler de Deleuze. Et les murs qui séparent ces deux pièces sont très instables - comme la montré Naveh à Naplouse.
Ce film pourrait se rattacher à un autre genre de films israéliens récents qui ont choisi de tourner la caméra vers ceux qui exercent le pouvoir plutôt que vers les victimes : « La loi des plus forts » et « The Gatekeepers ». Êtes-vous daccord avec cette comparaison ?
Les spectateurs et les cinéastes sont devenus plus allergiques aux films dont le réalisateur israélien reçoit de largent du ministère de la culture pour faire un film au nom des victimes palestiniennes. Il ny a plus de tolérance pour ce genre de films, et cest très bien ainsi. Une autre raison est ce que lon a qualifié de fascisme il y a deux ans - linfluence de la ministre (de la culture et des sports) Limor Livnat sur les institutions culturelles.
Dun autre côté, les Juifs souhaitent toujours faire des films politiques et afin dêtre moins hypocrites, ils posent des questions sur ceux qui sont au pouvoir, ceux qui leur ressemblent - plutôt sur que les victimes. Cela permet une compréhension plus rationnelle de la situation politique. Au lieu de faire appel à lindignation émotionnelle face à une certaine réalité, ils posent des questions sur cette réalité : quelle est sa structure interne, qui en profite ? Je soutiens cette démarche, car laction politique doit être à la fois émotionnelle et rationnelle. Il est important de sortir la colère, mais il est aussi important dutiliser les outils qui permettront de diriger cette colère dans la bonne direction.
Le film mène-t-il à une conclusion morale claire ? Le spectateur peut-il sortir de la salle, accepter votre analyse économique, et cependant se réjouir quIsraël possède une ressource aussi rentable, qui fournit des emplois et renforce léconomie ?
Je pense que cette question peut se poser pour tout projet matériel. Après tout, un capitaliste peut lire Das Kapital de Marx et tenter de le vider de toute conclusion morale ou politique, en le considérant comme une description exhaustive des relations sociales, puis en tirer une éthique bourgeoise par exemple comment gonfler les plus-values et produire plus de capital à partir du travail. Je peux imaginer des gens qui font vraiment cela. Cest la même chose pour ce film - je pense que bon nombre de mes affirmations - sur la transformation du conflit en ressource économique - pourraient aussi être assumées par Ehud Barak, et par de nombreux marchands darmes ou PDG dindustries sécuritaires, éventuellement sous une forme un peu modifiée.
Malgré tout, je garde quelque optimisme quant à leffet politique de ce film, et je suppose que la majorité des spectateurs vont sentir quil y a quelque chose dimmoral à produire de largent avec du sang, ou à profiter dune occupation militaire en cours. Lun des signes qui confirment cet optimisme est que lindustrie de larmement nest pas au centre du discours en Israël. Il ny a aucun rapport entre limportance de ce sujet pour léconomie et pour la vie, et sa présence modeste dans le discours public . Par comparaison avec dautres pays, il y a très peu peu de conférences et darticles publiés en Israël sur les armement, et ce sujet nest guère débattu bien que tout le monde ait un oncle chez Elbit ou chez IAI. Cela montre que les gens sentent bien que le fond pose problème, et que cest quelque chose dont il vaut mieux ne pas trop parler.
Peut-on tirer une stratégie politique du film pour en finir avec loccupation et arriver à légalité et à la paix ?
Je pense que lune des conclusions a à voir avec la destination de lessentiel de lénergie politique en Israël. On a tendance à se focaliser sur une élite politique et militaire, et à oublier lélite économique qui profite de la force militaire et la rend possible. La frontière entre lindustrie israélienne de larmement et son industrie high-tech est très mince, et dans la pratique, inexistante.
Une deuxième conclusion a trait aux aspects internationaux dun conflit local. Des États où une majorité écrasante de citoyens dénoncent les actions israéliennes à Gaza, rendent en réalité ces actions possibles en achetant les armes qui y ont été testées. Cest essentiel pour lindustrie sécuritaire israélienne, la seule industrie de ce type qui exporte plus quelle ne vend sur le marché local. En conséquence, il est aussi nécessaire que lIDF achète ces équipements, afin de sassurer que ces industries développeront de nouvelles armes quelle pourra utiliser lors des prochaines guerres à Gaza. Peut-être que si les citoyens de ces états savaient cela, ils protesteraient et ils pousseraient un coup de gueule, mais çela aussi pose quelques problèmes. Souhaitons-nous que les Suédois disent à leur gouvernement nachetez pas de missiles israéliens plutôt que nachetez pas de missiles ?
Traduction AFPS/RP
[1] Note de la traduction : Les frappes sur signature ont une définition plus étendue que les assassinats ciblés. Ces derniers concernent des personnes qui se trouvent sur la liste nominale des suspects à éliminer. Les frappes sur signature visent, elles, des personnes non pas nominativement identifiées, mais dont le comportement tel que filmé par le drone, ou la présence à un certain endroit à un certain moment, laisse supposer quelles peuvent être liées à une activité terroriste.
pierre
06/11/2013
Sans nécessairement être destiné à être publié sur le forum, je vous soumets encore ici un texte sur les théories militaires en vogue dans l’armée israélienne. Il me semble qu’il pourrait vous inspirer car ces théories prétendent répondre aux défis de la guerre asymétrique par une appréhension de l’architecture urbaine dans le sens d’une déconstruction, d’une “destructuration” de l’environnement, d’une pénétration de l’espace urbain où le soldat “infeste” le tissu de la ville en progressant à “travers les murs”, un peu comme un virus organique ou informatique (analogie avec la NSA?).
Bien à vous
Pierre
Les Forces de Défense Israeliennes ont été fortement influencées par la philosophie contemporaine, mettant en évidence le fait qu’il existe un terrain d’entente avec des textes théoriques retenus comme essentiels par les académies militaires et par des écoles d’architecture, selon Eyal Weizman.
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L’attaque conduite par les unités des Forces de Défense Israeliennes (FDI) sur la ville de Naplouse en avril 2002 a été décrite par son commandant, Brigadier-General Aviv Kokhavi comme ‘géométrie inverse’, qu’il a expliqué comme la réorganisation de la syntaxe urbaine au moyen d’une série d’actions micro-tactiques (1). Pendant la bataille, les soldats combattants se sont déplacés dans la ville à travers des centaines de mètres de ‘tunnels de surface’ creusés dans une structure urbaine dense et serrée. Bien que plusieurs milliers de soldats et de guerillas palestiniens se déplaçaient simultanément dans la ville, ils étaient tellement ‘noyés’ dans le tissu urbain que très peu d’entre eux étaient visibles depuis le ciel. De plus, ils ne se servaient pas des rues, routes, passages ou cours, ni même des portes d’entrée, des cages d’escalier ou des fenêtres ; ils se déplaçaient horizontalement à travers les murs et verticalement, à travers des trous éclatés dans les plafonds et les planchers. Cette forme de mouvement, décrite par les militaires comme ‘infestation’, cherche à redéfinir l’intérieur comme extérieur, et les domiciles comme des lieux de passage. La stratégie des FDI de passer à travers les murs implique une conception de la ville qui ne serait pas seulement le terrain mais aussi l’instrument (‘medium’) de la lutte armée un instrument flexible, presque liquide, toujours contingent et en flux.
Les théoriciens militaires contemporains s’activent à re-conceptualiser le champ urbain. Ce qui est en jeu, ce sont les concepts fondamentaux, les prémisses et les principes qui gouvernent les tactiques et les stratégies militaires. Le vaste champ intellectuel, que le géographe Stephen Graham a appelé un monde de l’ombre international des centres d’entrainement et des instituts de recherche urbaine militaires qui ont été établis pour repenser les actions militaires dans les villes, pourrait être assimilé au cadre (‘matrix’) international des plus grandes académies d’architecture. Sauf que, selon le théoricien urbaniste Simon Marvin, le ‘monde de l’ombre’ architectural-militaire produit en fait des programmes de recherche urbaine plus fouillés et plus largement financés que tous ces programmes universitaires réunis, tandis qu’il suit les recherches urbaines d’avant-garde conduites dans les écoles d’architectures, surtout en ce qui concerne les villes du Tiers monde et de l’Afrique. Il existe un terrain commun aux textes théoriques considérés comme essentiels par les académies militaires et par les écoles d’architecture. Dans les listes de livres à lire des institutions militaires d’aujourd’hui, on trouve des ouvrages tournant autour de 1968 (en particulier des écrits de Deleuze, Guattari et Debord), aussi bien que des textes plus récents sur l’urbanisme, la psychologie, la cybernétique, la théorie post coloniale et post structuraliste. Si, comme l’affirment certains auteurs, l’espace critique s’est trouvé considérablement rétréci dans la culture capitaliste de la fin du XXième siècle, il semble qu’il a trouvé un nouveau terrain d’expansion chez les militaires.
J’ai interviewé Kokhavi, le commandant de la Brigade de Parachutistes, qui, à 42 ans, est considéré comme le plus prometteur des jeunes officiers des FDI (c’est lui qui a commandé l’évacuation des colonies de la bande de Gaza) (2). Comme beaucoup de jeunes officiers des FDI, il avait pris le temps d’acquérir un diplôme d’université. Bien qu’il ait d’abord choisi d’étudier l’architecture, il a en fait fini par obtenir une licence de philosophie de l’université hébraïque. Il m’a expliqué le principe qui a gouverné la bataille de Naplouse, qui m’intéressait, non pas tant par la description de l’attaque elle-même, que par la façon dont il en concevait l’articulation. Il m’a dit : Cet espace que vous regardez, cette pièce que vous regardez, ce n’est rien que votre propre interprétation. [ ... ] Le problème est : comment vous considérez cette ruelle ? [...] Nous avons considéré la ruelle comme un endroit à ne pas parcourir et la porte comme un endroit à ne pas franchir, et la fenêtre comme un endroit par lequel il ne faut pas regarder, parce qu’une arme peut nous attendre dans la ruelle, et un piège (booby-trap’) peut-être commandé par la porte. Parce que l’ennemi interprète l’espace d’une manière classique, traditionnelle et je me refuse à suivre son interprétation et à tomber dans ses pièges. [...] Je veux le surprendre ! Voilà l’essence de la guerre. Je dois gagner [...] Voilà : j’ai choisi la méthodologie qui me fait traverser les murs… Comme un ver qui avance en mangeant ce qu’il trouve sur son chemin, apparaissant à certains points puis disparaissant. [...] Je dis à mes hommes : Mes amis ! [...] si jusqu’à aujourd’hui vous aviez l’habitude de suivre les routes et les chemins, n’y pensez plus ! Désormais, nous allons traverser les murs ! (2) L’intention de Kokhavi dans cette bataille était d’entrer dans la ville pour y tuer des membres de la résistance palestinienne, puis d’en sortir. Ces objectifs, dans leur horrible franchise, tels qu’ils m’ont été relatés par Simon Naveh, l’instructeur de Kokhavi, font partie d’une politique israelienne globale qui cherche à perturber la résistance palestinienne tant politiquement que militairement, par des assassinats ciblés depuis le ciel ou sur le terrain.
Si vous croyez encore, comme les FDI le souhaiteraient, que se déplacer à travers les murs est une forme relativement douce du faire la guerre, la description suivante de déroulement des évènements pourra peut-être vous faire changer d’avis. Pour commencer, les soldats se rassemblent derrière le mur et ensuite, à l’aide d’explosifs, de perçeuses ou de masses, ils creusent un trou assez grand pour leur permettre de passer. Des grenades assourdissantes (‘stun’) sont quelquefois lancées, ou quelques coups de feu sont tirés dans ce qui est généralement une salle de séjour privée et habitée par des civils sans méfiance. Quand les soldats sont passés à travers le mur, les occupants sont enfermés dans une pièce, où ils doivent rester quelquefois plusieurs jours jusqu’à ce que les opérations soient terminées, souvent sans eau, sans nourriture, sans médicaments ou sans la possibilité d’utiliser des toilettes. Des civils de Palestine, comme en Iraq, ont connu l’invasion inattendue de la guerre dans leur sphère privée comme la plus profonde forme de traumatisme et d’humiliation. Une femme palestinienne, que j’appellerai ici Aisha, interviewée par un journaliste du ‘Palestinian Monitor’, a décrit ainsi sa mésaventure : imaginez çà - vous êtes assise dans votre séjour, que vous connaissez bien ; c’est la pièce où la famille se rassemble pour regarder la télévision après le repas du soir, et soudain le mur disparaît dans un fracas assourdissant, la pièce se remplit de poussière et de gravas, et du mur sortent des soldats les uns après les autres, hurlant des ordres. Vous ne savez pas s’ils en ont après vous, s’ils viennent vous prendre votre maison ou si votre maison est seulement sur leur route. Les enfants crient, en proie à la panique. Est-il possible de commencer même à imaginer l’horreur ressentie par un enfant de 5 ans, quand 4, 6, 8 12 soldats, la figure peinte en noir, tous avec des mitraillettes pointées dans tous les sens, avec des antennes sortant de leur sacs à dos et qui les font ressembler à des insectes géants d’une autre planète, font exploser un passage dans ce mur ? (3)
Naveh, un Brigadier-General à la retraite, dirige l’Institut Opérationnel de Recherche Théorique, qui prépare des officiers des FDI et autres militaires, en ‘théorie opérationnelle’ ce qui correspond en jargon militaire à quelque chose entre la stratégie et la tactique. Il a résumé ainsi la mission de l’institut, fondé en 1996 : nous sommes comme l’ordre des jésuites. Nous essayons d’enseigner et d’entraîner les soldats à penser. [...] Nous lisons Christopher Alexander, vous vous rendez compte ? ; nous lisons John Forester, ainsi que d’autres architectes. Nous sommes en train de lire Gregory Bateson ; et Clifford Geertz. Ce n’est pas moi, mais nos soldats, nos généraux qui réfléchissent sur ce genre de textes. Nous avons établi une école et développé un curriculum qui produit des ‘architectes opérationnels’ (4). Au cours d’une conférence, Naveh a montré un diagramme qui ressemblait à un ‘carré d’opposition’ qui relie un ensemble de relations logiques de propositions militaires à des actions de guerilla. Avec des noms comme ‘Différence et répétition’, ‘les Dialectiques du structurant et de la structure’, ‘Objets rivaux sans formes’, ‘Manoeuvre fractale’, ‘Vitesse contre rythme’, ‘la Machine de guerre wahabite’, ‘Anarchistes post-modernes’ et ‘Terroristes nomades’, ils font souvent référence aux travaux de Deleuze et Guattari. Les machines de guerre, suivant les philosophes, sont polymorphes ; des organisations diffuses caractérisées par leur potentiel de polymorphisme, faites de petits groupes qui se divisent ou se rassemblent, suivant la contingence et les circonstances. (Deleuze et Gauttari avaient bien compris que l’état peut volontairement se tranformer en machine de guerre ; de la même façon, dans leur discussion de ‘l’espace lisse’, il est compris que cette conception peut porter à des formes de domination.)
J’ai demandé à Naveh pourquoi Deleuze et Guattari étaient si populaires dans l’armée israelienne. Il a répondu que plusieurs concepts de Mille plateaux’ nous sont devenus très utiles [...], en nous permettant d’expliquer certaines situations actuelles. Cela a problématisé nos propres paradigmes. Des plus importantes s’est révélée leur distinction entre espaces lisses et espaces striés dans le sens ou ceux-ci sont cloisonnés, enfermés par des clôtures, des murs, des fossés, des barrages de route etc. (5). Quand je lui ai demandé si passer à travers les murs en faisait partie, il m’a expliqué que à Naplouse, les FDI ont compris le combat urbain comme un problème d’espace [...] Se déplacer à travers les murs n’est qu’une simple solution mécanique qui associe théorie et pratique (6).
Pour bien comprendre les tactiques des DFI de traverser les espaces urbains palestiniens, il faut savoir comment ils interprètent le principe désormais familier d’essaimage (swarming) - un terme devenu courant en théorie militaire depuis le début de la doctrine américaine post guerre froide connue comme la Révolution dans les Affaires Militaires. La manoeuvre d’essaimage était en fait adaptée à partir du principe d’intelligence artificielle dit intelligence d’essaim, qui présume que les capacités de résoudre les problèmes sont à trouver dans l’interaction et la communication d’agents relativement peu sophistiqués (fourmis, oiseaux, abeilles, soldats) ne répondant que peu ou pas du tout à une supervision centralisée. L’essaim est emblématique du principe de non-linéarité qui apparaît en termes d’espaces, d’organisations et de temps. Le paradigme traditionnel de manoeuvre, caractéristique de la géométrie simplifiée du type euclidien, est transformé, d’après les militaires, en une géométrie complexe du type fractal. La narrativité du plan de bataille est remplacée par ce que les militaires, en termes foucaultiens, appellent l’approche de la boite à outils, suivant laquelle les unités recoivent les outils dont ils ont besoin pour gérer plusieurs situations et scénarios donnés, mais sans que l’on puisse prédire l’ordre suivant lesquels ils vont se dérouler (7). Naveh : les officiers opératifs et tactiques dépendent les uns des autres et résolvent les problèmes en construisant le cours de la bataille ; {...] l’action devient savoir et le savoir devient action. {...] sans résultat décisif possible, le principal bénéfice de l’opération est dans l’amélioration du système en tant que système (8).
Ceci peut expliquer, pour l’armée, la fascination exercée par les modèles et les modes opératifs spatiaux et organisationnels avancés par des théoriciens tels que Deleuze et Guattari. De plus, au moins pour les militaires, la guerre urbaine est l’ultime forme post moderne du conflit. La foi en un plan de bataille logiquement structuré et linéaire disparaît devant la complexité et l’ambiguïté de la réalité urbaine. Les civils deviennent des combattants, et les combattants, des civils. L’identité peut être changée aussi vite que le genre peut être feint : la transformation de femmes en hommes combattants peut prendre le temps qu’il faut à un soldat israelien ‘arabisé’ ou à un combattant palestinien camouflé de tirer sa mitraillette de dessous sa robe. Pour un combattant palestinien pris dans cette bataille, les israeliens semblent ‘venir de partout : de derrière, des côtés, de droite et de gauche. Comment peut-on se battre dans cette situation ? ’ (9)
Pour Naveh, la théorie critique est devenue essentielle dans l’enseignement et l’entrainement. Il explique : nous nous servons de la théorie critique pour critiquer l’institution militaire même ses fondements conceptuels fixes et pesants. La théorie est importante pour nous, afin de combler le fossé qui sépare le paradigme existant de là où nous voulons aller. Sans théorie, nous ne pourrions donner du sens aux différents évènements qui nous entourent et qui, autrement, nous apparaîtraient déconnectés. [...] Actuellement, l’Institut a pris une importance majeure dans l’armée [où il est] devenu un foyer de subversion. En entrainant plusieurs officiers de haut niveau, nous avons rempli le système [FDI] d’agents subversifs [...] qui posent des questions ; [...] certaines grosses légumes ne sont pas embarassés de parler de Deleuze ou de [Bernard] Tschumi (10). Je lui au demandé : pourquoi Tschumi ? Il a répondu : L’idée de disjonction intégrée dans le livre de Tschumi ‘Architecture et disjonction’ (1994) nous concerne [...] Tschumi a une autre approche de l’épistémologie ; il voulait rompre avec le savoir à perspective unique et la pensée centralisée. Il voyait le monde à travers plusieurs pratiques sociales différentes, d’un point de vue constamment différent. [Tschumi] a créé une nouvelle grammaire ; il a formé les idées qui composent notre pensée (11). Je lui ai alors demandé : pourquoi pas Derrida alors, et la déconstruction ? Il a répondu : Derrida est peut-être un peu trop opaque pour nous. Nous avons plus de choses en commun avec les architectes ; nous combinons la théorie et la pratique. Nous pouvons lire, mais nous savons aussi construire et détruire, et quelquefois, tuer (12).
En plus de ces positions théoriques, les références de Naveh touchent certains éléments canoniques de la théorie urbaine tels que la pratique situationniste de la dérive (une façon de flâner dans une ville suivant ce que les situationnistes appelaient la ‘psycho-géographie’) et le détournement (l’adaptation de bâtiments abandonnés à remplir des rôles différents de ceux pour lesquels ils avaient été prévus). Ces idées avaient été, bien sûr, conçues par Guy Debord et d’autres membres de l’Internationale Situationniste pour attaquer la hiérarchie construite de la ville capitaliste et pour rompre les distinctions entre le public et le privé, entre l’intérieur et l’extérieur, entre l’usage et la fonction, remplaçant l’espace privé par une surface publique sans frontières. Ces références touchent aussi au travail de Georges Bataille, soit directement, soit au travers de Tschumi, déjà cité, qui parle aussi d’un désir d’attaquer l’architecture et de démolir le rationalisme rigide de l’ordre apparu après guerre, d’échapper à la ‘camisole architecturale’ et de libérer des désirs humains réprimés. Pour être clair : l’éducation en sciences humaines souvent supposée être la plus puissante des armes de lutte contre l’impérialisme est en train d’être récupérée pour servir d’outil à l’impérialisme. Mais l’utilisation de la théorie par le militaire, cela n’est, bien sûr, pas nouveau suivant un cours ininterrompu de Marc Aurèle au général Patton.
Les attaques militaires futures sur terrain urbain feront de plus en plus appel à l’utilisation de technologies développées pour ‘démonter les murs’ (unwalling the walls), pour emprunter un terme de Gordon Matta-Clark. C’est la nouvelle réponse du soldat/architecte à la logique des ‘bombes intelligentes’ (smart bombs). Ces dernières ont paradoxalement causé un plus grand nombre de victimes civiles, parce que l’illusion de la précision donne au complexe militaro-politique la justification nécessaire à l’usage d’explosifs dans un environnement civil.
Ici, un autre usage de la théorie comme ‘arme intelligente’ se découvre. L’utilisation séduisante par l’armée d’un discours théorique et technologique cherche à peindre la guerre comme lointaine, rapide et intellectuelle, excitante et même économiquement supportable. La violence peut ainsi être projétée comme tolérable et le public peut être encouragé à la soutenir. De cette manière, le développement et la diffusion de nouvelles technologies militaires tendent à promouvoir dans le domaine public, l’idée que des solutions militaires sont possibles dans des situations où, au mieux, elles seraient douteuses.
Même s’il n’est point besoin de Deleuze pour attaquer Naplouse, la théorie a aidé l’armée à se réorganiser en lui fournissant un nouveau langage pour se parler à elle-même et aux autres. Une théorie de ‘l’arme intelligente’ remplit une fonction à la fois pratique et discursive dans la définition de la guerre urbaine. La fonction pratique ou tactique, la façon dont la théorie deleuzienne influe sur les tactiques et les manoeuvres militaires, soulève des questions sur la relation entre théorie et pratique. La théorie a évidemment le pouvoir de stimuler de nouvelles sensibilités, mais elle peut aussi aider à expliquer, développer ou même justifier des idées qui émergent indépendamment dans des champs de connaissance séparés et avec des bases éthiques sensiblement différentes. En termes discursifs, la guerre s’il ne s’agit pas d’une guerre d’anéantissement total constitue une forme de discours entre ennemis. Chaque action militaire veut communiquer quelque chose à l’ennemi. Parler ‘d’essaimage’, ‘d’assassinats ciblés’ et de ‘destruction intelligente’, permet à l’armée de communiquer à ses ennemis qu’elle peut, si elle veut, causer des destructions bien plus importantes. Des raids peuvent être projetés comme des alternatives plus modérées aux capacités de destruction possédées par une armée et que celle-ci mettra en action si l’ennemi dépasse le niveau ‘acceptable’ de violence ou rompt un accord tacite. En termes de théorie militaire opérationnelle, il est essentiel de ne jamais utiliser à fond son propre potentiel de destruction, mais plutôt de conserver la possibilité d’accroître le niveau d’atrocité. Sinon, la menace n’a plus aucun sens.
Quand l’armée se parle de théorie, cela paraît être une question de changer sa structure organisationnellle et ses hiérarchies. Quand elle évoque la théorie dans ses communications avec le public dans des conférences, des émisssions ou des publications elle veut apparaître comme une armée civilisée et sophistiquée. Et quand le militaire ‘parle’ (ce qu’il fait toujours) à l’ennemi, la théorie peut être comprise comme une forme particulièrement intimidante d’arme du type ‘shock and awe’ (choc et épouvante), le message étant : tu ne comprendras même jamais ce qui te tues’.
Eyal Weizman
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Eyal Weizman est architecte, écrivain et directeur du Goldsmiths College Centre for Research Architecture. Il travaille sur les problèmes de conflits de territoire et de droits humains.
Une version complète de cet article a été présenté à la conférence ‘Beyond Bio-Plitics’ (Au-delà de la Bio-politique) à la City University de New York, et au programme d’architecture de la biennale de Sao Paulo. Une transcription peut être lue dans le numéro de mars/avril 2006 de Radical Philosophy (une revue britannique, texte complet disponible sur le net, sur abonnement)
1 Cité par Hannan Greenberg, The Limited Conflict: This Is How You Trick Terrorists, in Yediot Aharonot; http://www.ynet.co.il (23 March 2004)
2 Eyal Weizman interviewAviv Kokhavi le 24 septembre dans une base militaire israelienne près de Tel Aviv. Traduction de l’hébreu par l’auteur ; video documentation par Nadav Harel et Zohar Kaniel
3 Sune Segal, What Lies Beneath: Excerpts from an Invasion, Palestine Monitor, November, 2002;
http://www.palestinemonitor.org/eyewitness/Westbank/what_lies_beneath_by_sune_segal.html 9 June, 2005
4 Shimon Naveh, discussion following the talk Dicta Clausewitz: Fractal Manoeuvre: A Brief History of Future Warfare in Urban Environments, delivered in conjunction with States of Emergency: The Geography of Human Rights, a debate organized by Eyal Weizman and Anselm Franke as part of Territories Live, Btzalel Gallery, Tel Aviv,
5 November 2004
5 Eyal Weizman, telephone interview with Shimon Naveh, 14 October 2005
6 Ibid.
7 Michel Foucaults description of theory as a toolbox was originally developed in conjunction with Deleuze in a 1972 discussion; see Gilles Deleuze and Michel Foucault, Intellectuals and Power, in Michel Foucault, Language, Counter-Memory, Practice: Selected Essays and Interviews, ed. and intro. Donald F. Bouchard, Cornell University Press, Ithaca, 1980, p. 206
8 Weizman, interview with Naveh
9 Quoted in Yagil Henkin, The Best Way into Baghdad, The New York Times, 3 April 2003
10 Weizman, interview with Naveh
11 Naveh is currently working on a Hebrew translation of Bernard Tschumis Architecture and Disjunction, MIT Press, Cambridge, Mass., 1997.
12 Weizman, interview with Naveh
Arrou Mia
06/11/2013
@ Géo locaux
que ce cheval-là parmi les faux-cialiste ou so-sionistes au choix.
Un gas qui refuse d’aller à la boucherie en Irak et renonce à son porte-feuille par conviction et pour désaccord politique ça se remarque.
Sa position sur la Syrie l’a également distingué, pas dans le cas du Mali.
La poire au jus de navet l’avait envoyé en mission en Russie pour évaluer un partenariat économique (pourquoi plus si on développe des affinités?)
Par ailleurs il faut être suicidaire pour aller au charbon dans les circonstances actuelles de décomposition avancée du shmilblick, mais certains ont la foi!
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