Ni ANDO
24/04/2010
En complément, il convient de ne pas sous-estimer limportance de ce qui sest joué en Ossétie en août 2008. La crise ossèto-géorgienne a joué un rôle considérable dans la redistribution des cartes en Europe telle quelle commence à se concrétiser aujourdhui. Ses effets ne sont donc pas terminés. Comme au poker, au-delà du virtualisme et des illusions de la « communication-propagande », vient toujours un moment où il faut montrer son jeu.
Fin connaisseur de lhistoire soviétique puis russe, Jacques Sapir défend lhypothèse dun raidissement imprévu des autorités russes dans la conduite des opérations en Ossétie du sud entre le 15 et le 20 août 2008. Ce que dit ainsi, entre les lignes, Sapir cest que la Russie, lors de cette campagne éclair, décide de se préparer à un conflit majeur et dassumer toutes les conséquences dun choc militaire frontal avec une ou dautres puissances militaires partisanes du régime de Saakachvili. Cest précisément à ce moment que le basculement géopolitique sest opéré en faveur de la Russie. La barre était placée haut et le prix du sang à verser bien trop élevé pour le camp atlantiste. Ceux qui scrutaient, lors de cet été 2008, la presse russe constataient avec inquiétude que le monde russe était en train de se souder autour de cette affaire ossète : société, élite politique et armée jugeaient unanimement que la cause du David ossète était légitime et quil fallait la soutenir quitte à faire la guerre. Dans un pays où le patriotisme fait désormais figure de ciment national, la Grande Guerre Patriotique nétait plus très loin.
Cette détermination russe réapparaît quelques semaines plus tard quand les navires de lOTAN viennent patrouiller en mer noire sous lil inquiet des Russes. Les opinions publiques occidentales ne semblent pas avoir réalisé, encore aujourdhui, à quel point lon était à deux doigts du déclenchement dune confrontation militaire majeure en Europe. Les officiers russes avaient le doigt posé sur la touche огонь (feu) de leur pupitre de commande et en cas dincident, en moins de trente minutes, les 25 bâtiments de guerre de lOTAN étaient coulés par le fond.
« Lhypothèse que lon défend ici est quil y eut un tournant dans lanalyse stratégique des événements faite par les dirigeants russes entre le 12 août et le 15 août. Le conflit aurait ainsi changé de nature, obligeant la Russie à modifier sa posture tant militaire que diplomatique. Les éléments qui conduisent à cette hypothèse sont les mouvements des troupes russes après le 15 août ainsi que la nature des fortifications que ces troupes édifient. On voit très nettement, sur des images diffusées par les télévisions occidentales, les troupes russes installer des systèmes de défense antiaérienne et creuser des tranchées et des protections pour lartillerie. Ce que certains journalistes interprètent alors comme une démonstration de la volonté russe de sinstaller en Géorgie traduit plutôt la mise en état de défense des unités, comme si ces dernières sattendaient à une reprise imminente des combats incluant des attaques aériennes. Or, lArmée Géorgienne na en aucune manière les moyens de reprendre le combat, et le commandement russe le sait. Son aviation a été complètement neutralisée et ses moyens dartillerie détruits à plus de 70%. Le changement dattitude des forces russes sur le terrain est donc incompréhensible, sauf si lon admet que les responsables russes craignent soit une intervention militaire américaine directe soit lintervention dalliés des Etat-Unis, dans le conflit. Ceci peut sembler une hypothèse extravagante, mais on doit examiner les indices qui ont pu conduire les autorités russes à penser quune escalade était possible ».
[ ] « Lhypothèse qui permet de mieux comprendre linflexion de la position russe dans le conflit, que ce soit sur le terrain ou diplomatiquement, et qui culminera avec la reconnaissance de lindépendance de lAbkhazie et de lOssétie du Sud le 26 août, est celle dun changement radical dans la vision du conflit. Jusquau 11 août, il est typiquement un conflit limité appelant une application de la force militaire dans un cadre permettant son acceptabilité par les partenaires occidentaux de la Russie. Les intérêts vitaux du pays ne sont pas directement en cause ; il sagit de cautériser au plus vite un conflit en réaffirmant le soutien de Moscou à ses alliés locaux afin de revenir au statu quo ante. À partir du 15 août, le conflit entre lOssétie du Sud et la Géorgie semble devenir un prétexte pour quune grande puissance extérieure à la région (les Etat-Unis) cherche à porter atteinte aux intérêts vitaux de la Russie [ ]. La manière dont ladministration américaine et les médias américains construisent la Géorgie en victime ne peut pas ne pas être perçue du côté russe comme autre chose que le début dune « guerre de la propagande » visant à préparer dautres formes de guerre ».
http://www.iris-france.org/docs/pdf/forum/2008_09_09_ossetie2.pdf
« La Pologne est la voie régionale par laquelle la Russie peut seuropéaniser dune façon décisive, entraînant dans ce mouvement un processus qui tendrait à clore définitivement lantagonisme Est-Ouest établi au cur de lEurope par la Guerre froide ».
Au-delà de ce quen disent les médias antirusses, lantagonisme hérité de la guerre froide est aujourdhui clos. Quil suffise de voir le nombre de Russes qui voyagent, qui visitent lEurope. Impossible de se promener à Paris sans entendre parler russe. Les peuples ont eux-mêmes mis fin à cet antagonisme.
Comme le souligne luniversitaire russe Alla Sergueeva (« Qui sont les Russes » Max Milo Sciences Humaines 2006), les Russes ont bien lair dêtre des « Européens » au sens où le comprend un Belge ou un Italien, mais cest une illusion. Certes, 80% des Russes vivent en Europe, mais cette Europe là nest pas tout fait, culturellement et historiquement, lEurope des Français et des Hollandais. Si les Russes sont des Européens, ils sont dune autre « Europe ». Ils sont surtout et avant tout Russes. Cest ni bien, ni mal, cest ainsi. La Russie na jamais vécu dans lempire romain. Pourtant, en se posant comme lhéritière de Byzance, cest-à-dire de lempire romain chrétien (en un temps où la distinction orient/occident navait aucun sens en Europe) la Russie a endossé lhéritage dune civilisation dans laquelle elle na en fait jamais vécu. Paradoxalement, elle a donc endossé un héritage qui fut en partie répudié, ou oublié, au 17 ième et 18 ième siècle par lEurope des Lumières. De cet héritage revendiqué, elle a cependant fait fructifier depuis 1000 ans la dimension religieuse, que lon appelle lorthodoxie, qui est en réalité le christianisme originel.
Vouloir « européaniser » (quoique lexpression européaniser puisse avoir différents sens) la Russie cest comme vouloir à toute force que le Bourgogne soit du Bordeaux. Cest vain et inutile. Ce qui fait les qualités de ce peuple et de ce pays cest précisément quil ne soit ni « européen » occidental, ni asiatique, cest quil soit lhéritier de Byzance et non celui de la Renaissance. On pourrait, tout aussi bien, souhaiter que la Russie « russifie », un peu, par certains aspects, lOccident, et bien moins que ce dernier « européanise » la Russie.
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