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Article : Notes sur une guerre sans “après”

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L’OUROBOUROS GREC

Philippe Le Baleur

  01/09/2009

«Public support for the war should be bolstered by explaining that British soldiers were fighting to avoid a strategic defeat for Nato, shattering its credibility as a deterrent force.» (Liam Fox, shadow defense minister)

L’OUROBOUROS GREC,
OU « SERPENT QUI SE MANGE LA QUEUE »

Ce pourrait être un simple lapsus, mais plus sûrement la raison ultime d’un politicien à cours d’arguments. Nous voulons dire un mot sur cette jolie déclaration, faite par Liam Fox, conservateur britannique et probable futur ministre de la défense. Jugez-en.

« Le soutien du public à la guerre (en Afghanistan) devrait être encouragé en expliquant que les soldats britanniques se battent pour éviter une défaite stratégique de l’OTAN, qui casserait sa crédibilité en tant que force de dissuasion. »
Le philosophe aime ce genre de déclaration liminaire qui déclare la vérité nue, et résume tout un état d’esprit, au-delà de tout mensonge conformiste. A la limite, c’est joli – nous voulons dire, au second degré-.
Adonc, que nous dit cet estimable politicien anglais, non des moindres puisqu’il appartient au shadow government, ce gouvernement que l’opposition forme par anticipation, comme il est de coutume au Royaume-Uni.
En substance, dit-il, nous devons dire aux gens que nous avons une excellente raison de faire la guerre au peuple afghan. Cette raison est qu’il ne faut pas que nous perdions ; parce que si nous perdions, nous ne gagnerions pas. Et alors, si nous ne gagnons pas, nous y perdrions. Les autres nations que nous pourrions bien attaquer un jour se diraient que nous ne gagnons pas toujours, et elles riraient de nous.
Disons les choses comme elles sont, il y a là une justification de la philosophie de l’action, comme Alain, grand philosophe, lorsqu’il déclare qu’un homme court PARCE qu’il court. Il y a d’autres références, en particulier celle de l’Ourobouros des philosophes grecs, cette figure mythique du serpent qui se dévore la queue.
En bref, nous n’avons pas de raison objective de nous battre, d’envoyer nos garçons se faire tuer. Nous voulons juste qu’on nous prenne au sérieux. Donc, il nous faut attaquer régulièrement un plus faible que nous et le massacrer, afin de montrer au monde que nous pouvons attaquer un plus faible que nous quand cela nous convient, et le massacrer. C’est la logique fruste du bully, vous savez, la brute épaisse qui fait la loi sur la cour de récréation, à l’école.
Le seul problème, et c’est une loi infaillible des cours de récréation, c’est que le bully finit TOUJOURS par se faire casser la gueule un jour ou l’autre… C’est ici le cas, et l’envoi de forces supplémentaires n’y changera rien. Les autres nations rient déjà de toute façon : ne pas être capable, avec des crédits illimités et les deux armées les plus puissantes au monde, de mettre au pas une bande de résistants courageux est en soi une défaite.
Il ne reste plus qu’à tirer une gracieuse révérence, se retirer, et annoncer au monde que l’on a gagné… Par exemple en finançant une superproduction hollywoodienne où de beaux américains musclés en gymnase tuent plein de méchants talibans, au son d’une musique martiale, du genre « La Guerre Qui Devait Etre Gagnée Coûte Que Coûte ».

PLB

A propos de ACF...

Père Iclès

  02/09/2009

Voilà quelques mois, on pouvait lire sur le site de cette organisation dont BHL fut un des membres fondateurs, les noms de ses membres fondateurs ainsi qu’un historique dont j’ai conservé une version.

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L’organisation humanitaire Action contre la Faim, a été créée en 1979. Elle fait partie de la seconde génération des ONG (Organisations non gouvernementales), celle des “French Doctors”, ces médecins français qui en 1968, au moment de la guerre du Biafra, se sont révoltés contre le silence des humanitaires, liés par le secret et pourtant témoins des pires horreurs. Voulant forcer ce silence en dénonçant l’injustice, ces ONG ont ajouté le témoignage à l’action.

Née dans le contexte de la crise afghane en 1979, Action internationale contre la Faim - dénomination de l’association à sa création - a été fondée par un groupe d’intellectuels français. Parmi eux, Françoise Giroud, Bernard-Henry Lévy, Marek Halter, Alfred Kastler (Prix Nobel de physique), Guy Sorman, Robert Sebbag, ainsi qu’un certain nombre de médecins, journalistes, écrivains. Alors que jusqu’ici, la lutte contre la faim était intégrée dans des combats plus généraux (lutte contre la pauvreté, lutte pour la santé, etc…), ils ont créé une organisation se consacrant exclusivement au problème de la faim dans le sens le plus large.

Voici quelques temps forts qui ont marqué notre association :

1979 : 1ère mission : Assistance aux réfugiés afghans au Pakistan

1982 : Mission d’urgence en Thaïlande auprès des réfugiés cambodgiens

1985 : Mission d’urgence en Ethiopie pour faire face à la famine

1990 : Aide au peuple kurde en exode pendant la guerre du Golfe

1992 : Ouverture d’une mission en Bosnie pour apporter une assistance médicale et nutritionnelle aux déplacés

1994 :
- AICF est reconnue d’Utilité Publique par le ministère de l’Intérieur
- Génocide au Rwanda : Aide nutritionnelle aux réfugiés

1995 : Ouverture de la mission Tchétchénie pendant la 1ère guerre russo-tchétchène

1996 : AICF devient Action contre la Faim

1999 : Distribution d’urgence au Kosovo

2000 : Action contre la Faim se retire de la Corée du Nord et dénonce la manipulation de l’aide

2003 : Ouverture de la mission en Irak

2005 : ACF déjà présente sur place répond à l’urgence suite au Tsunami en Indonésie et au Sri-Lanka

En parallèle de ces différentes urgences auxquelles ACF a répondu, notre histoire a également été marquée par des actions qui se poursuivent toujours malheureusement aujourd’hui au Soudan, en Ethiopie, en Somalie, au Honduras, en Afghanistan etc… Action contre la Faim est également présente dans certains pays moins “médiatisés” comme le Burundi, Haïti, la Mongolie, le Malawi etc.

Fin de citation
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Certains, au vu de la composition du comité fondateur, composé majoritairement de sionistes militants, se sont étonnés que cette organisation ait accès à la vaccination de populations musulmanes, pour lesquelles elle semble manifester un intérêt soutenu, notamment en Afghanistan alors que son silence à propos des conditions des palestiniens était assourdissant.

Curieusement, depuis, le site a changé de présentation et on n’y voit plus de référence à ses membres fondateurs les plus ouvertement sionistes. A-t-on eu peur que les talibans viennent voir de plus près ce que ACF fait aux populations afghanes ?

Quel après?

PEB

  04/09/2009

Paradoxalement, empêcher l’ennemi de se regrouper interdit, en guerre classique, la montée aux extrêmes qui débouche normalement sur la bataille décisive.

Pour maintenir l’unité de l’Union et de l’Alliance, son pendant international, il suffit d’en expulser la violence intrinsèque vers les marges. Arrêter les frais, c’est bloquer le mécanisme du bouc émissaire et donc priver la Grande Nation de sa soupape de sécurité. Une départ serait vécu comme une défaite en rase campagne, démontrant la vanité des aventures anglo-américaines et l’inutilité du complexe militaro-industriel.

Le plus surprenant est que la véritable victoire, conforme aux buts de guerre officiels, serait une sainte ligue nationaliste, menée par Karzaï ou un autre, des seigneurs de guerre et des religieux autochtones pour bouter les Américains et les Arabes hors des vallées perdues de la Bactriane.

Wallerstein à nouveau

geo

  05/09/2009

Commentaire n° 264, 1er septembre 2009

« L’embrasement qui vient »         

Immanuel Wallerstein

Fernand Braudel Center

Un embrasement guette le Moyen-Orient mais ni le gouvernement ni l’opinion publique américaine ne sont prêts pour l’affronter. C’est à peine s’ils semblent conscients à quel point son horizon est proche et à quel point il sera dévastateur. Le gouvernement américain (et donc presque inévitablement l’opinion publique avec) se berce complètement d’illusions sur sa capacité à gérer la situation dans les termes des objectifs déclarés. La tempête ira d’Irak en Afghanistan, d’Afghanistan au Pakistan, du Pakistan en Israël/Palestine, et comme le dit l’expression consacrée, « elle se répandra comme une traînée de poudre ».

Commençons par l’Irak. Les Etats-Unis ont signé avec ce pays un Accord sur le statut des forces (Status of Forces Agreement, SOFA) entré en vigueur le 1er juillet. Cet accord prévoyait de rendre au gouvernement irakien la responsabilité de la sécurité intérieure ainsi que, en théorie et pour l’essentiel, de cantonner les forces américaines au périmètre de leurs bases et à un rôle limité de formation des troupes irakiennes. Certaines de ses formulations sont ambiguës. Ce qui est délibéré puisque c’était la seule façon d’aboutir à sa signature par les deux parties.

Les premiers mois d’application de cet accord montrent déjà combien il fonctionne mal. Les forces irakiennes l’interprètent de façon très stricte en interdisant formellement des patrouilles conjointes mais aussi toute action militaire unilatérale des Etats-Unis qui se ferait sans une autorisation détaillée préalablement établie avec le gouvernement. On en est arrivé au point que les forces irakiennes empêchent les forces américaines de passer les postes de contrôle avec des approvisionnements pendant les heures de journée.

Les forces américaines s’en irritent. Elles ont cherché à interpréter la clause qui leur garantit le droit à l’autodéfense de manière bien plus souple que ce que souhaitent les forces irakiennes. Elles pointent du doigt le regain de violence dans le pays et donc implicitement l’incapacité des forces irakiennes à garantir l’ordre.

Le général qui commande les forces américaines, Ray Odierno, est évidemment extrêmement mécontent et, de toute évidence, il intrigue pour trouver les prétextes qui permettraient le rétablissement d’un rôle direct des Américains. Récemment, il a rencontré le Premier ministre irakien Nouri al-Maliki et le Président du gouvernement régional kurde, Masoud Barzani. Il s’est efforcé de les convaincre d’autoriser des patrouilles conjointes tripartites (irakiennes/kurdes/américaines) dans Mossoul et d’autres zones du nord de l’Irak afin de prévenir ou de minimiser les violences. Ils ont poliment accepté de prendre sa proposition en considération. Hélas pour Odierno, son projet réclamerait une révision formelle de l’accord SOFA.

A l’origine, un référendum était censé avoir lieu début juillet pour une approbation par le peuple de l’accord SOFA. Les Etats-Unis craignait de perdre ce scrutin, ce qui aurait eu pour conséquence le départ d’Irak de toutes les forces américaines au 31 décembre 2010, douze mois plus tôt que la date théorique prévue par l’accord.

Les Etats-Unis ont trouvé très astucieux de convaincre al-Maliki de repousser ce référendum à janvier 2010. Il aura lieu désormais conjointement avec les élections nationales. Lors de celles-ci, tout le monde cherchera à obtenir des voix. Personne ne va faire campagne en faveur du « Oui » au référendum. S’il y avait encore un doute à ce sujet, al-Maliki soumet actuellement un projet au parlement irakien qui permettrait d’annuler l’accord par une simple majorité de voix en faveur du « Non ». Il y a aura une majorité de voix pour le « Non ». Il se peut même qu’il y ait une majorité écrasante de voix pour le « Non ». Odierno devrait faire ses bagages dès maintenant. Je suis prêt à parier qu’il s’imagine pouvoir encore éviter ce départ de feu. Il se trompe.

Que se passera-t-il après ? Pour l’instant, mais cela pourrait changer entre maintenant et janvier, al-Maliki semble bien parti pour gagner cette élection. Il y arrivera en se faisant le champion du nationalisme irakien. Il passera des accords avec tout le monde sur cette base. Le nationalisme irakien, pour le moment, ne se soucie guère de l’Iran, de l’Arabie saoudite, d’Israël ou de la Russie. Avant toute chose, il veut libérer l’Irak des derniers vestiges de la domination coloniale américaine, puisque c’est ainsi que presque tous les Irakiens définissent le régime sous lequel ils ont vécu depuis 2003.

Y aura-t-il des violences internes en Irak ? Probablement, bien que peut-être moins que ce qu’Odierno et d’autres espèrent. Alors quoi ? La « libération » irakienne, puisque que ce sera l’interprétation que fera l’ensemble du Moyen-Orient d’un vote « Non » au référendum, aura immédiatement un gros impact sur l’Afghanistan. Les gens se diront : « si les Irakiens peuvent le faire, nous aussi ».

Bien entendu, la situation en Afghanistan est différent, très différente de celle de l’Irak. Mais regardez ce qui s’y passe actuellement avec les élections. On a un gouvernement mis au pouvoir pour contenir et détruire les talibans. Les talibans se sont révélés plus tenaces et militairement efficaces que quiconque n’avait jamais pu l’anticiper. Même le solide commandant américain sur place, Stanley McChrystal, l’a reconnu. L’armée américaine parle maintenant de « réussir » dans peut-être une décennie. Des soldats qui pensent disposer d’une décennie pour remporter une guerre contre des insurgés n’ont manifestement pas lu l’histoire militaire.

Remarquez les politiciens afghans eux-mêmes. Trois gros candidats à la présidence, y compris le Président Hamid Karzaï, ont débattu à la télévision de l’actuelle guerre interne. Ils se sont accordés sur une chose. Il faut une forme de négociation politique avec les talibans. Ils ont divergé sur les détails. Les forces américaines (et otaniennes) sont sur place ostensiblement pour anéantir les talibans. Et les politiciens afghans les plus importants débattent sur la façon de s’entendre politiquement avec eux. Cela témoigne d’un sérieux décalage d’appréciation des réalités ou peut-être est-ce des objectifs politiques.

Les sondages, pour ce qu’ils valent, montrent que la majorité des Afghans veulent voir partir les forces de l’OTAN et la majorité des électeurs américains souhaitent la même chose. Maintenant, projetez-vous en janvier 2010 lorsque les Irakiens votent le départ des Etats-Unis d’Irak. Souvenez-vous qu’avant que les talibans n’arrivent au pouvoir, le pays était le lieu d’impitoyables et féroces combats entre seigneurs de guerre rivaux, tous dotés de bases ethniques différentes, pour le contrôle du pays.

Les Etats-Unis furent en réalité soulagés quand, soutenus par le Pakistan, les talibans s’emparèrent du pouvoir. Enfin de l’ordre. Ils s’avérèrent être un problème mineur. Les talibans prirent la charia au sérieux et eurent de la sympathie à l’égard d’un al-Qaïda naissant. Aussi, après le 11-Septembre, les Etats-Unis, avec l’assentiment des Européens de l’Ouest et le consentement des Nations Unies, lancèrent l’invasion. Les talibans furent chassés du pouvoir pour un petit bout de temps.

Que va-t-il arriver maintenant ? Les Afghans retourneront probablement aux sales et incessants conflits inter-ethniques entre seigneurs de guerre rivaux, avec des talibans formant juste une faction de plus. La tolérance de l’opinion publique américaine pour cette guerre s’évaporera entièrement. Toutes les factions internes et beaucoup de voisins (Russie, Iran, Inde et Pakistan) resteront pour se disputer les morceaux.

Etape trois enfin, le Pakistan. C’est encore une autre situation compliquée. Mais aucun des acteurs n’y fait confiance aux Etats-Unis. Et les sondages montrent que l’opinion publique pakistanaise pense que le plus grand danger pour Pakistan, ce sont les Etats-Unis, et ceci à une majorité écrasante. L’ennemi traditionnel, l’Inde, est loin derrière dans les sondages. Quand l’Afghanistan sombrera dans une guerre civile à part entière, l’armée pakistanaise sera très occupée à soutenir les talibans. Ils ne peuvent soutenir les talibans en Afghanistan tout en les combattant au Pakistan. Ils ne pourront plus se permettre d’accepter que des drones américains bombardent le Pakistan.

Puis vient l’étape quatre de l’embrasement, Israël/Palestine. Le monde arabe observera l’effondrement des projets américains en Irak, en Afghanistan et au Pakistan. Le projet des Etats-Unis en Israël/Palestine est un accord de paix entre les Israéliens et les Palestiniens. Les Israéliens ne vont pas bouger d’un pouce. Mais les Palestiniens non plus, ni maintenant ni en particulier après le reste de l’incendie. La seule conséquence sera l’énorme pression que d’autres Etats arabes mettront sur le Fatah et le Hamas pour qu’ils joignent leurs forces. Ce qui se fera sur le cadavre de Mahmoud Abbas, ce qui pourrait être le cas au sens littéral.

L’intégralité du programme d’Obama sera parti en fumée. Et les Républicains en feront leur miel. Ils qualifieront la défaite américaine au Moyen-Orient de « trahison » et il est évident qu’il existe un groupe important de personnes aux Etats-Unis très réceptives à ce thème.

Soit on anticipe les incendies et alors on fait quelque chose d’utile, soit ils vous happent.

Immanuel Wallerstein