Sebastien Antoine
08/09/2023
"De toute façon, dit Bordachev comme constat décisif, un ordre international qui ne sera pas vertical sera formé, que quelqu'un s'y intéresse ou non, y compris d'ailleurs les BRICS. C'est le développement naturel de la vie."
Cette référence à la "vie" semble tout de même aller à l'encontre de ce nouvel ordre horizontal que revendiquerait l'acronyme "BRICS" pour se référer davantage à un projet géopolitique d'inspiration germanique. Comme le dit Haushofer :
« Quand les forces du sang et du sol s’entremêlent (…) le rôle de la géopolitique est alors d’amener les forces à un état d’équilibre, de vaincre les oppositions en se servant du langage de l’esprit, de préserver l’élan et la continuité du globe terrestre. C’est uniquement pour cela qu’elle (la géopolitique) fut appelée à la vie : pour redonner à la terre son caractère sacré, pour porter bien haut le drapeau de son droit primordial, celui d’une aspiration sacrée à la croissance du sol et du respect devant ce qui est devenu, devant la vie. » In : Raffestin Claude, Géopolitique et histoire, Payot, 1995, Lausanne.
Jean-Claude Cousin
08/09/2023
Ce qu'on peut tirer de ces propos, c'est qu'au lieu d'un Empire de l'Anglosaxonnerie, les BRICS se révèlent non comme une Organisation, mais une Coopération horizontale, une fratrie où l'on s'entraide non sans se chamailler parfois.
.
Parmi les citoyens de ces pays, certains (sans doute assez peu) vont certainement regretter que si l'Anglosaxonnerie s'affaiblit, ce ne sera que de son seul fait, et que les autres vont la laisser se débrouiller. Il peut y avoir un inconvénient : bien que les armes de destruction massive de l'Empire s'enfoncent peu à peu dans l'obsolescence, lâcher tout le paquet, qui est gros, ferait encore bien du dommage à tout le monde.
.
Bien entendu, il est nécessaire que les pseudo-"règles" dont personne n'a vu la couleur (l'Empire se charge de les édicter au fur et à mesure selon son humeur) ne puissent plus se voir opposées aux accords internationaux – dont chacun a pu constater que l'Empire n'en respecte aucun – parce que précisément ces accords internationaux sont le fait d'une volonté horizontale et réciproque.
.
Il n'est pas certain que les BRICS aient la volonté commune de passer d'une mondialisation où risque toujours de se constituer un leader, à une internationalisation où disparaîtrait l'équivalent d'un Conseil de Sécurité avec des membres permanents. Comme on dit, « Ça se discute ! » Une proposition pourrait être que justement si membres permanents il y avait, ce ne soit plus les plus importants des États qui le soient, mais au contraire des participants plus effacés : les "grosses pointures" n'y feraient que des apparitions épisodiques, ce qui pourrait les rendre moins arrogantes.
.
Il me semble qu'un parti comme le Pardem (Parti de la Démondialisation) œuvre dans ce sens. C'est d'ailleurs pourquoi il est si peu connu du grand public : il dérange vraiment !
Jean-Claude Cousin
07/09/2023
Bonjour !
Il y a quelques jours, inspiré par les derniers article de Dedefensa, je me suis fendu sur l'un de mes blogs d'un petit commentaire. Je me permets de le soumettre ici.
http://ennemieurope.eklablog.com/le-neocapitalisme-l-ideologie-qui-veut-tout-tuer-y-compris-elle-meme-a214747023
Et encore merci pour ce site ! J'espère que mon virement automatique va reprendre, après changement de numéro de compte en banque….
mumen
06/09/2023
Vous donnez en introduction une excellente synthèse d’« Ukrisis » en peu de points rasés de près par Occam, de celles qui permettent de conduire une pensée. Je résume à ma façon et poursuis.
Votre question finale est quadruple selon Hermagoras lui-même : quoi, qui, où et quand.
- Quoi, c’est la guerre par les armes, l’économie, la communication, etc. Difficile de ne pas être d’accord, la guerre mondiale est en cours à travers celle d’Ukraine, quelles que soient les épithètes.
- Qui, c’est les Russes qui vont gagner en Ukraine contre l’Occident selon un pronostic déjà admis par les deux camps. A moins que ce « Qui » ne soit le reste du monde contre le même, sans changer le pronostic partagé.
- Où, si c’est une question territoriale ukrainienne, alors la réponse généralement attendue à minima par les deux camps, c’est dans la conquête totale des six oblasts qui bordent la mer noire. Il y a une autre réponse qui donne une autre étoffe à ce conflit par les armes : la fin des bases US dans le monde entier.
- Quand est la vraie question, tout le monde est d’accord là aussi.
Quand nous parlons d’être d’accord, nous ne parlons pas de narrative surréaliste à l’usage des foules électrices. Même sur l’existence d’une narrative occidentale faussaire tout le monde conscient est d’accord, à l’exception des foules occidentales bien entendu.
Pensez-y : en fait tous ceux des deux bords qui sont attentifs sont d’accord sur tout. Et ça continue.
Il n’y a qu’une réponse décisive au Quand : quand l’Occident aura un pied en terre, du moins quand il s’en rendra compte. Le sort de l’Ukraine est anecdotique, ou disons symbolique : c'est le théatre où se joue actuellement la pièce dont on parle dans les salons. Avant c’était la Lybie, la Syrie, le Yémen, liste non exhaustive, tout le monde est d’accord ; après ce sera l’Afrique, la Chine, allez savoir, tout le monde est d’accord. L’Europe elle aussi est un théatre, moins célèbre, mais tout le monde est d’accord.
Autant que ce soit en Ukraine pour Poutine. Après tout c’est arrivé près de chez lui, c’est pratique pour la logistique. En plus c’est hautement symbolique et finalement cela peut sans doute attendre tranquillement, en y faisant bien attention, que tout soit prêt ailleurs. On se souvient qu’il a encore un mandat, des surprises plein les poches et tout un tas d’amis.
Les US ne peuvent ni avancer ni reculer. Ils sont mal, ils n’ont plus que des alliés un peu stupides à piller : Europe, Taiwan, Corée du Sud, Japon, Australie, etc., et même Ukraine en fait. Ca les arrangerait de pouvoir arrêter un peu de se vider de leurs ressources, surtout que la baguette magique du dollar va tomber en panne, tout le monde est d’accord, et de figer le conflit sans l’arrêter, mais ils seraient contraints d’en ouvrir un autre ailleurs, tout le monde est d’accord. Ukraine ou pas, l’hémorragie va continuer tant que le grand corps malade sera sous perfusion.
Autant que ce soit en Ukraine pour eux, tant que la ficelle tient le coup. La ficelle c’est l’OTAN, ses vieilles armes si génialement juteuses puisqu’il faut bien les remplacer par des neuves. Les hommes à sacrifier, on en trouvera toujours apparemment.
La fin des armes de l’OTAN en particulier et de l’Occident en général, c’est comme la fin du dollar, un genre d’arlésienne pris séparément, un destin ensemble. Tout le monde croit dans ce destin manifeste : les uns sans vouloir s’y résoudre et s’enivrant à mort de leurs propres racontars, les autres en œuvrant lentement mais sûrement.
Tout le monde est d’accord pour finir ça en Ukraine, mais tout peut changer selon une simple lubie de la narrative. Ceci dit, la Chine n’est pas une super option, d’autant plus que Taiwan n’est pas aussi sûrement manipulable que l’Ukraine.
Tout est effectivement une grande question sous-jacente d’ontologie des paquets humains en lice : monopolaire contre multipolaire, quantité contre qualité, compétition contre coopération, etc. Ceci avec une constante très occidentale : le premier veut écraser le second. Et une constante nouvelle et rafraichissante : le second veut convertir le premier. C’est une question normalement laissée aux philosophes, n’est-ce pas ? Tout le monde est d’accord ? Mais bon, on n’en trouve plus guère de disponibles en Occident. Trop occupés, ils cherchent encore à justifier un impératif à leur cacophonie.
La fin simultanée des armes Occidentales et du dollar donnera le « Quand » matériel, qui coïncidera peut-être avec celui de l’ukrainien, mais uniquement parce que c’est le théâtre courant de la guerre mondiale. Cette fin sera peut-être un commencement pour le « Quand » du spirituel. L’ordre inverse serait une bien surprenante bénédiction.
Jack V.
06/09/2023
Il me semble que du côté russe on avait expliqué la démarche suivie. Il est hors de question de s'emparer de la partie occidentale de l'Ukraine car elle ne sera jamais pacifiée, ses habitants étant farouchement anti-russes.Il vaudrait d'ailleurs, peut-être mieux qu'elle soit répartie entre ses trois voisins du côté ouest, ce qui règlerait définitivement la question ukrainienne. Par ailleurs, il n'est pas non plus question de la laisser s'installer dans le rôle de tête de pont de l'OTAN. Le mieux, pour les Russes, c'est de laisser pourrir la situation en attendant que sa population locale, finisse par en avoir assez de cette situation et se mette à regretter franchement le temps où les deux pays s'entendaient. Un autre facteur est à prendre en compte : l'Ukraine est un merveilleux terrain d'entraînement pour les armées russes qui trouvent là le terrain idéal pour parfaire les techniques militaires qu'elles auraient à appliquer en cas de conflit avec l'OTAN sur leur propre territoire, aussi bien à l'ouest qu'à l'est de ce dernier.Les Russes savent que tant que les néoconservateurs existeront, leur pays sera susceptible de subir des attaques et ils ont intérêt à garder leurs forces armées totalement opérationnelles et toujours à la recherche de moyens de s'imposer sur le terrain.
Par ailleurs, les Occidentaux tablaient sur une guerre courte au bout de laquelle, les Russes se coucheraient. Ces derniers résistent et aujourd'hui, ce sont les populations occidentales qui commencent à en avoir assez cette aventure qui leur coûte de plus en plus cher, notamment en terme de niveau de vie. Ce sentiment, s'il se généralise pourrait provoquer en Occident ce que l'OTAN voulait obtenir en Russie.
Jean-Claude Cousin
04/09/2023
Cette fois-ci, je serai bref. Notre auteur préféré utilise le terme "américanisme", là où j'élargirais peut-être le panorama, en utilisant le mot "anglosaxonnerie", qui sonne peut-être de façon plus péjorative, tout en englobant DC et son maître la City de Londres. A chacun de juger.
jc
04/09/2023
PhG : "On s’attardera également à la très intéressante dernière question sur les capacités de la Russie et de la Chine d’adapter la modernité dont il se sont saisis à leurs traditions, de façon à ne compromettre en aucune façon les seconds. Pour l’Occident, le problème n’existe quasiment plus, ayant disparu avec les traditions. Bien qu’on ne s’y attarde pas, car l’on a très peu d’éléments pour le traiter, c’est de loin le principal problème de cette gigantesque tragédie."
En ce qui concerne la Chine PhG a posé le problème dans https://www.dedefensa.org/article/glossairedde-crisis-la-crise-de-la-raison-subvertie (fin 2014):
"Nous avons cité l’intervention de l’officiel chinois avec une intention à l’esprit, ne doutant pas un instant de la sincérité de son propos, et de la véracité de sa propre conviction, dans l’exposé qu’il fit des intentions de la Chine, de l’Asie, et de l’antique sagesse de cette partie du monde. Nous reconnaissons d’autant plus tout cela que nous pouvons dire notre conviction que l’intervenant se trompait, qu’il se trompe en croyant qu’un modèle de civilisation asiatique rénové s’imposera rapidement, à côté du modèle occidentaliste, éventuellement pour le concurrencer et le remplacer.
Ce n’est nullement que ses arguments de fond ne soient pas justifiés et excellents; ils le sont, ceci et cela, et plus qu’à leur tour. Mais l’intervenant ignore deux choses: combien le modèle occidentaliste est, à la fois, plus puissant qu’il ne croit et plus proche de l’effondrement catastrophique qu’il ne croit.".
Il me semble que, "grâce" à la quincaillerie électronique, la Chine a plutôt de l'avance sur l'Occident en ce qui concerne le contrôle social de sa population. Quid de la Russie ? Pour moi la question est : la Tradition arrivera-t-elle à s'imposer à ce dernier -mais pas le moindre- rejeton de la modernité ? Toujours pour moi je vois l'organisation sociale traditionnelle comme un inconvénient plus que comme un avantage ; car l'organisation traditionnelle du pouvoir temporel est top-down (le pouvoir vient d'en haut), avec un pouvoir rigidifiant actuellement décuplé -voire centuplé- par "notre" dernier rejeton qui nous emmène dans une cavalcade de plus en plus folle vers la rigidification cadavérique de l'humanité (cf."les signes des temps" de Guénon).
C'est peut-être la Russie qui tirera le mieux de ce conflit tradition/modernité car la chrétienté d'Orient a -ou a eu- une tradition d'un pouvoir spirituel moins top-down (églises orthodoxes auto-céphales) que l'Occident (église catholique "universelle").
Comment inverser cette tendance à la rigidification de la société ? Alain de Benoist examine la question dans "Jacobinisme ou fédéralisme ?" :
"Avec Hobbes, en revanche, l’Etat devient la seule forme d’organisation sociale légitime. Quant au souverain, il détient plus que jamais le monopole de la représentation. « Une multitude devient une seule personne, écrit Hobbes, quand ces hommes sont représentés par un seul homme ou une seule personne [...] Car c’est l’unité de celui qui représente, non l’unité du représenté, qui rend une la personne ». Précurseur du libéralisme, Hobbes affirme par ailleurs que l’individu doit être regardé comme un être complet et autosuffisant. Le seul mode d’association qu’il puisse reconnaître est donc le contrat passé volontairement entre individus autonomes. Les corps intermédiaires sont du même coup appelés à s’effacer devant les prérogatives de l’individu ou l’omnipotence du Léviathan.".
Alain de Benoist et Carlos Blanco ( http://euro-synergies.hautetfort.com/archive/2023/09/01/9-11-origines-et-developpement-du-neoliberalisme.html ) : même combat.
Remarque finale.
La citation de Hobbes ( « Une multitude devient une seule personne quand ces hommes sont représentés par un seul homme ou une seule personne [...] Car c’est l’unité de celui qui représente, non l’unité du représenté, qui rend une la personne » ) indique pour moi clairement que la démocratie représentative est rigidifiante (et n'est pas -et de très loin- la véritable démocratie). Je la rapproche des citations faites par les philosophes belges Dominique Lambert et Bertrand Hespel dans leur article "De la topologie de la conciliation à la logique de la contradiction" que j'ai souvent cité ici en commentaires:
- "« Pour ce qui est de savoir absolument en quelle manière les choses se lient les unes aux autres, et s’accordent avec leur tout, je n’ai pas cette science; elle requerrait la connaissance de la Nature toute entière et de toutes ses parties. Je m’applique en conséquence à montrer quelle raison m’oblige à affirmer que cet accord et cette liaison existent » (Spinoza)
- « Ce qui n’est pas véritablement "un" être n’est pas non plus véritablement un "être" » (Leibniz)
- "On peut bien rassembler différents objets, on ne formera pas pour autant un être, mais tout au plus un « être de raison » [ce que font les faisceaux de Grothendieck]. Rendre compte de quoi que ce soit qui est exige donc de rendre compte de son unité [ce que font les conciliations de L&H]." (Lambert et Hespel)
Et, pour moi, cette dernière citation vaut encore quand on remplace "objets" par "êtres".
Pour Baudelaire et Maistre le seul progrès qui vaille est la recherche de l'unité perdue. (cf. "La Grâce de l'Histoire").
Dominique Muselet
03/09/2023
Je considère que le renversement promis par Roddier n'est plus à attendre, pour moi il a eu lieu au sommet des Brics. Le début de la fin de l'empire du mal a commencé avec la guerre en Ukraine. La victoire russe a été couronnée en 2023, donc l'année charnière dont parle Roddier, par le sommet des Brics, avec le basculement du monde civilisé (hors Occident) vers les Brics, l'entrée de 6 pays dans les Brics avec en liste d'attente un grand nombre d'autres pays et les révoltes africaines contre la néocolonisation française. Les années qui viennent verront la continuation et le développement de la société multipolaire, plus saine, plus pacifique et plus égalitaire, que les Brics veulent mettre en place. Evidemment l'empire du mensonge et de pillage et ses sbires vont essayer de les en empêcher et cela suscitera pas mal de troubles. Mais comme je l'ai dit à mes amis, en leur envoyant ma dernière revue de presse, les jeux sont faits… L'empire a raté sa mondialisation (j'ai cru au moment du Covid et le dévoilement triomphant de leur projet par Schwab qu'ils avaient réussi et que nous étions cuits).
On peut dire que Poutine nous a sauvés. Et maintenant les Brics triomphent en Ukraine et dans la majorité mondiale.
Le salut vient toujours de l'est….
jc
03/09/2023
Je découvre le philosophe souverainiste espagnol Carlos Blanco grâce à Dedefensa. Comparé à Michel Onfray, ça m'a fait un choc !
[ Michel Onfray fait une revue de presse hebdomadaire dans "Front Populaire" sous-titré "La revue des souverainistes" (dont il est co-créateur). Cette semaine c'est : "Interdiction de l'abaya à l'école, Libération enquête sur « l'extrême droite », troisième soldat français mort en Irak, implants neuronaux, manque de diversité dans un hommage à Martin Luther King." ]
mumen
02/09/2023
"né de rien du tout et poursuivant le but du Rien qui doit verser dans le Néant" on dirait du Parménide… Vous savez, l'auteur fétiche d'un certain Descartes…
jc
01/09/2023
I. "Optimisme eschatologique" de Daria Douguina.
Pour moi, à la suite de Guénon et de Garaudy, eschatologique renvoie à la fin d''un monde (et non à la fin du monde, position du Wiktionnaire). Il suit que l'eschatologie est -toujours à mon avis- indissociable de l'apocalysologie, dit plus simplement que la fin d'un monde est indissociable du dévoilement (étymologie du mot apocalypse) du monde suivant. J'imagine que dans "Optimisme eschatologique" il est question d'un monde suivant meilleur que celui que nous sommes inéluctablement en train de quitter (ce que répète inlassablement Michel Maffesoli -cf. ses nombreuses vidéos-). En ce sens mon gourou Thom est lui aussi un optimiste eschatologique "quand ce deviendra nécessaire" :
"Dans le domaine des sciences humaines, il m'est difficile de me rendre compte si ma tentative présente quelque intérêt; mais en écrivant ces pages j'ai acquis une conviction; au cœur même du patrimoine génétique de notre espèce, au fond insaisissable du logos héraclitéen de notre âme, des structures simulatrices de toutes les forces extérieures agissent, ou en attente, sont prêtes à se déployer quand ce deviendra nécessaire. La vieille image de l'Homme microcosme reflet du macrocosme garde toute sa valeur : qui connaît l'homme connaîtra l'univers. Dans cet essai d'une théorie générale des modèles, qu'ai-je fait d'autre, sinon de dégager et d'offrir à la conscience les prémisses d'une méthode que la vie semble avoir pratiqué dès son origine?
Ce n'est pas sans quelque mauvaise conscience qu'un mathématicien s'est décidé à aborder des sujets apparemment si éloignés de ses préoccupations habituelles. Une grande partie de mes affirmations relèvent de la pure spéculation; on pourra sans doute les traiter de rêveries… J'accepte le qualificatif; la rêverie n'est-elle pas la catastrophe virtuelle en laquelle s'initie la connaissance? Au moment où tant de savants calculent de part le monde, n'est-il pas souhaitable que d'aucuns, qui le peuvent, rêvent?" (Dernières phrases de "Stabilité structurelle et morphogénèse")
—————————————————-
II. Qualité et quantité.
PhG nous rappelle qu'il n'est pas un prévisionniste quantitatif : "Quant à la forme, les moyens, les caractères physiques de l’événement, c’est une autre affaire, et c’est pourquoi j’ai cru devoir continuellement me garder d’un prévisionnisme évènementiel, notamment par le moyen de l’inconnaissance.".
À l'opposé de F. Roddier dont la carrière (Physique, Astrophysique, Thermodynamique) laisse penser qu'il a baigné toute sa vie professionnelle dans le quantitatif, sa carrière tardive (retraite) lui offrant la possibilité de tenter d'audacieuses analogies entre sciences dures et sciences molles, comme on le voit dans le billet 120 (qui, pour moi, résume une bonne partie de sa pensée tardive) : http://francois-roddier.fr/Mines-2018.pdf .
PhG : "Roddier, et quelques autres, avait largement développé cette approche catastrophique-nécessaire dans son travail théorique. Il s’était ainsi retrouvé, avec certains de ces “quelques autres” venus d’autres horizons et sans consultations d’aucune sorte, à estimer que l’évolution thermodynamique de la civilisation aux abois conduirait à une période effectivement catastrophique dont il fixa l’émergence à l’année 2023.".
Je trouve les analogies thermodynamique/biologie/économie qu'il fait à la fin d'autant plus convaincantes que leur dynamique évolutive est celle que Thom associe à la catastrophe "fronce", Thom dont je rappelle à ce propos l'une de mes citations préférées :
"Les situations dynamiques régissant l'évolution des phénomènes naturels sont fondamentalement les mêmes que celles qui régissent l'évolution de l'homme et des sociétés [et des espèces, c'est moi qui rajoute]".
Ceci dit les approches de Roddier et de Thom sont fondamentalement différentes (et c'est tant mieux car susceptibles de convaincre un plus large public) : il suffit de parcourir le billet 120 de Roddier et le début de la conférence de Thom "Déterminisme et innovation" pour s'en convaincre ( disponible sur internet ).
[ Aparté. En reparcourant la fin du billet 120, je découvre l'importance du rôle des colonies pour le fonctionnement thermodynamiquement correct d'un monnaie d'échanges ( monnaie chaude) et d'une monnaie de services (monnaie froide) selon Roddier. Question peut-être pas stupide au moment où la France semble être en train de perdre ce qu'il reste de son empire colonial africain (franc CFA). Pour moi la décolonisation en cours va imposer aux nations coloniales (actuellement typiquement les USA -avec l'UE comme principale colonie-) de repenser leur organisation sociale en opposant à la toute puissante et unique organisation top-down (jacobine pour nous français) une organisation bottom-up (girondine pour nous). Je viens de lire "Jacobinisme ou fédéralisme?" d'Alain de Benoist qui parle de ça en des termes qui me conviennent ( https://s3-eu-west-1.amazonaws.com/alaindebenoist/pdf/jacobinisme_ou_federalisme.pdf ). Ceci posé il ne faut pas s'attendre à une partie de plaisir pour arriver à mettre sur pied une telle réorganisation sociale :
"En ce qui me concerne, je préfère croire à un réel – non globalement accessible parce que de structure stratifiée – dont l'herméneutique de la TC [Théorie des Catastrophes] permettrait de dévoiler progressivement les « fibres » et les « strates ». Mais tout progrès dans la détermination d'une telle ontologie stratifiée en « couches » d'être exigera : i) L'emploi de mathématiques pures spécifiques – parfois bien difficiles – dans les théories jusqu'ici purement conceptuelles des sciences de la signification ; ii) La reprise d'une réflexion philosophique sur la nature de l'être que les divers positivismes et pragmatismes ont depuis bien longtemps occultée." (René Thom)
Je rappelle à propos des la fin de la citation que Thom ne fait pas grand cas du pragmatisme et du positivisme :
- "La science moderne a eu tort de renoncer à toute ontologie en ramenant tout critère de vérité au succès pragmatique. Certes, le succès pragmatique est source de prégnance, donc de signification. Mais il s'agit alors d'un sens immédiat, purement local. Le pragmatisme -en ce sens- n'est que la forme conceptualisée d'un certain retour à l'animalité. Le positivisme a vécu de la peur de l'engagement ontologique. Mais dès qu'on reconnaît aux autres l'existence on s'engage ontologiquement.". ]
——————————————————————————
jc
24/08/2023
PhG : "Le monstre est vulnérable, la Bête est blessée, sa surpuissance est devenue l’aliment même de sa bêtise et de son aveuglement (surpuissance = autodestruction) ; son autodestruction l’attend mais il lui reste sa surpuissance.".
Les combats d'arrière-garde sont les plus violents.
jc
23/08/2023
Les théories de l'analogie engendrent des êtres de raison. Ainsi la théorie des proportions d'Eudoxe a engendré les nombres de raison (les actuels nombres rationnels), théorie dont Aristote s'est aussitôt emparé pour l'étendre :
"L'écaille est au poisson ce que la plume est à l'oiseau", "L'âme est au corps ce que la vue est à l'œil".
Cette théorie de l'analogie date de plus de deux mille ans. René Thom en a produit une autre, dont il dit dans ce que j'appelle sa vidéo testament ( "La théorie des catastrophes", 1995(?) avec Émile Noël) que sa théorie des catastrophes (qui est une théorie de l'analogie), vieille pourtant maintenant d'un demi-siècle, sort trop des sentiers battus pour être actuellement comprise. On peut cependant l'aborder d'un point de vue platonicien, celui de "Stabilité Structurelle et Morphogénèse", sous-titré "Essai d'une théorie générale des modèles" ou d'un point de vue aristotélicien, celui de "Esquisse d'une Sémiophysique", sous-titré "Physique aristotélicienne et théorie des catastrophes" : le verbe qui se fait chair* ou la chair qui se fait verbe* ? (* : Un chapitre de SSM est épigraphé "Et le verbe s'est fait chair" et "Esquisse d'une Sémiophysique", épigraphé : "Ayant pris un autre départ…", Aristote, Physique I, se termine (p.253 à 270) par une discussion par l'aristotélicien Bruno Pinchard des idées de Thom sur Aristote :
"Il y est soutenu que, loin de constituer une entrave à la pensée de l'être, la schématisation mathématique des formes permet de redonner un contenu à la grande voie d'accession à l'être, celle qui passe par la substance (et la multiplicité des substances particulières et sensibles). Demander à une science axiomatisable de vérifier qu' "entre toutes les acceptations de l'être, l'être au sens premier est le "ce qu'est la chose", c'est-à-dire ce que signifie la substance" (MET VII), c'est faire jouer à une science, particulière mais exemplaire, le rôle d'une nouvelle isagogè au système métaphysique, introduction non plus logiciste, comme celle de Porphyre, mais objective et physique.".
jc
23/08/2023
PhG : "Partons du premier agacement (Korybko) et de la première surprise (Bhadrakumar). Les deux ne parlent pas pour les mêmes (Korybko parle en général, Bhadrakumar pour l’Inde) mais ils disent la même chose. Leur démarche et leurs arguments sont extrêmement structurées et logiques, au point qu’il paraît impossible de les contredire… En fait, ils ont raison, sauf qu’ils parlent pour un monde qui n’existe pas. Ils parlent en expert compétent et réaliste (Korybko) et en diplomate expérimenté et de jugement sûr (Bhadrakumar) mais il nous est impossible d’embrasser l’espace, le temps, la communication et la stratégie où ils évoluent pour les mettre en place dans la situation réelle du monde.".
Selon Michel Maffesoli le tripode sur lequel repose l'actuel Système est : Individualisme, Rationalisme, Progressisme (c'est, grosso modo, le TINA de Margaret Thatcher). Dans ce qui suit c'est de rationalisme et de progressisme (les évolutions rationnelles de Korybko et Bhadrakumar) dont il est question.
Ce qui suit est extrait de la conclusion métaphysique de l'article "De la topologie de la conciliation à la logique de la contradiction" (2011) des philosophes belges Dominique Lambert et Bertrand Hespel à l'adresse des mathématiciens grothendieckiens (jusqu'à présent, à ma connaissance, classé sans suite par ces derniers) :
"On peut bien rassembler différents objets, on ne formera pas pour autant un être, mais tout au plus un « être de raison ». Rendre compte de quoi que ce soit qui est exige donc de rendre compte de son unité. Or — nous le savons — c’est justement ce à quoi parvient une conciliation.".
Citation qui renvoie à celle d'un certain Daniel Vouga, citée par PhG dans "La Grâce de l'Histoire" :
"Progresser, pour eux [Baudelaire et Maistre], ce n’est pas avancer, ni conquérir, mais revenir et retrouver… [...] Le progrès donc, le seul progrès possible, consiste à vouloir retrouver l’Unité perdue…”»
Thom (qui -en l'occurrence- est du côté des philosophes belges, contre celui de Grothendieck): "La rationalité n'est guère qu'une déontologie dans l'usage de l'imaginaire".
Voici le contexte d'où est extraite la citation des deux philosophes belges :
"Enfin, on notera — et ce n’est pas la moindre des constatations que l’on peut faire — que le concept de conciliation a un portée ontologique. Dès lors qu’on place ce concept en regard de celui de faisceau [concept-clé dans la théorie des topos de Grothendieck], s’adjoint en effet à l’hypothèse de cet enrichissement de l’épistémologie celle d’un éclaircissement du projet de la métaphysique. Car poser l’existence d’un faisceau se fait dans l’espoir de former, tandis que poser celle d’une conciliation se fait avec celui de fonder. Nous l’avons en effet suffisamment répété: lorsqu’on suppose l’existence d’un faisceau, on espère se donner le moyen de reconstruire un objet global à partir d’objets locaux consistants, alors que, quand on suppose l’existence d’une conciliation, on espère au contraire se donner le moyen de trouver au moins un objet local sur lequel repose un objet global consistant. Et ce qu’il importe cette fois de remarquer, ce n’est pas tant que, d’un cas à l’autre, le global et le local soient inversés, mais que les sens de ces deux démarches le soient aussi. Dans un cas, on commence en effet par acter que cet objet est, pour postuler ensuite qu’il doit donc pouvoir être tel qu’il est; tandis que, dans l’autre, on commence par postuler que l’objet est, pour acter ensuite qu’il doit donc être tel qu’il puisse être. Ce qui est très différent: d’un côté, l’être de l’objet n’est absolument pas interrogé, tandis qu’il l’est explicitement de l’autre. Aussi étrange que cela puisse paraître, personne peut-être n’a mieux distingué ces deux démarches que Spinoza, qui écrivait au président de la Royal Society:
« Pour ce qui est de savoir absolument en quelle manière les choses se lient les unes aux autres, et s’accordent avec leur tout, je n’ai pas cette science; elle requerrait la connaissance de la Nature toute entière et de toutes ses parties. Je m’applique en conséquence à montrer quelle raison m’oblige à affirmer que cet accord et cette liaison existent ».
Ce que nous pourrions en effet traduire par « le métaphysicien que je suis abandonne aux scientifiques la tâche de trouver le faisceau qui permettrait de reconstituer cet objet global qu’est la Nature pour se donner celle de découvrir la conciliation qui en rendrait compte ». Outre que cette reformulation occulte certains éléments de la citation, on relèvera, bien sûr, que Spinoza tenait pour désespéré d’appliquer la première démarche à cet objet qu’est la Nature. Mais ceci n’est pas essentiel. Ce qui l’est, en revanche, c’est de noter qu’il entendait bien appliquer la seconde à ce même objet, c’est-à-dire, non pas à un objet seulement suspecté d’être, mais à celui dont il n’y certainement pas lieu de douter qu’il est. Car — et c’est là un point crucial — tout ce qui est doit résulter d’une conciliation. Tout ce qui est se trouve, en effet, doué d’unité. Il n’est rien qui ne soit un tout. Pour le dire autrement, l’unité est une condition nécessaire de tout être, même multiple. Ou, comme l’énonçait cet autre métaphysicien qu’était Leibniz,
« Ce qui n’est pas véritablement "un" être n’est pas non plus véritablement un "être" ».
On peut bien rassembler différents objets, on ne formera pas pour autant un être, mais tout au plus un « être de raison ». Rendre compte de quoi que ce soit qui est exige donc de rendre compte de son unité. Or — nous le savons — c’est justement ce à quoi parvient une conciliation. Songeons une dernière fois aux exemples dont nous sommes partis: une nation qui pouvait cesser d’exister, une image dont on se demandait comment elle pouvait être, le Moi fichtéen menacé de scission. Et l’on se souviendra que chacun de ces objets ne devait effectivement d’être qu’au fait d’être un parce qu’il résultait d’une conciliation. Processus dont la description mathématique que nous avons proposée permet de comprendre comment cela se peut, puisqu’elle montre qu’un tel processus consiste très précisément à fonder le global; et à le fonder, de surcroît, sur le local, c’est-à-dire sur ce qui n’a plus à l’être.
Même s’il convient bien évidemment de toujours se montrer prudent, il ne nous paraît donc pas complètement déplacé de prétendre que l’on pourrait ne serait-ce que faiblement éclairer la région de l’être en considérant sérieusement le concept de conciliation et la notion mathématique que nous avons cru devoir lui associer. Et, d’autant moins, à la vérité, que cela expliquerait les autres utilités que nous leur avons trouvées ou entrevues, puisque toutes concernent forcément l’une ou l’autre chose qui est — qu’il s’agisse de la logique, de la nature, de la connaissance ou de la communauté des humains.".
Denis Monod-Broca
22/08/2023
L'alternative est celle-ci : soit la tribu des nations sacrifie son hégémon sacré actuel et le remplace par un nouvel hégémon sacré, soit elle est capable, bannissant le sacrifice et la violence, de se donner des institutions lui permettant de se gouverner, à la manière d'une nation dotée d'institutions.
Enjeu considérable !
Les hommes se sont regroupés en tribus qui, avant d'être capables de se donner des institutions dûment réfléchies, tenaient ensemble grâce à des interdits, mythes et rituels sacrificiels évoluant au gré de la sélection naturelle. Le roi sacré, victime en instance de sacrifice, et ancêtre du monarque de droit divin, est ainsi apparu et il a donné une grande stabilité à ces tribus de naguère. Il finissait le plus souvent à la casserole.
Ces tribus devenues nations forment à leur tour, ensemble, une tribu d'un nouveau genre, une métatribu. Métatribu qui s'est donnée, de la même manière, un roi sacré, ou hégémon sacré, les USA. Il se pourrait bien qu'il passe bientôt à la casserole, c'est son inéluctable destinée.
La tentation est grande de nous donner un nouvel hégémon sacré. Un candidat est en lisse, la Chine bien sûr, la Russie aussi peut-être… Serons-nous capables de suivre une autre voie, une voie rationnelle, consciente ? Difficile à envisager.
Quels soubresauts sont devant nous !!...
Pour poster un commentaire, vous devez vous identifier