jc
13/11/2021
En prélude à un éventuel commentaire à venir sur l'article "Le charme discret de l'inversion".
[Pour introduire le présent commentaire je remarque l'inversion "Borrolé" au lieu de "Bolloré" dans les tags qui apparaissent lorsqu'on lance le moteur de recherche du site sur l'article ici commenté.]
Thom a écrit un article intitulé "Philosophie de la singularité" qui figure dans le recueil "Apologie du logos" dont je cite le dernier paragraphe car celui-ci indique la façon dont je vois l'inversion :
"Cette opposition entre une singularité créée comme un défaut d'une structure propagative ambiante, ou une singularité qui est source de l'effet propagatif lui-même pose un problème central qu'on retrouve pratiquement à l'intérieur de presque toutes les disciplines scientifiques. La Physique contemporaine admet plutôt le premier (1) aspect : la particule est source d'un champ qu'elle génère ; Einstein, en Relativité Générale, verra plutôt dans la particule la singularité d'une métrique de l'espace-temps. On
retrouve ici cette aporie fondamentale du continu et du discret qui est au cœur de la mathématique. On retrouvera cette même aporie jusqu'en psychologie : est-ce que nous parlons parce que nous pensons, ou au contraire est-ce que nous pensons parce que nous parlons ?"
Pour moi, avant de décider du bon sens, il faut s'efforcer d'inverser le sens que l'on a privilégié (instinctivement, intuitivement, culturellement, rationnellement ...) avant de décider lequel est le bon -ou le meilleur, ou le moins mauvais… -, sans perdre de vue que le bon sens est fluctuant, car pouvant s'inverser selon le lieu et l'époque, comme on le constate avec le phénomène des marées. Dans un conflit binaire Il faut selon moi systématiquement s'efforcer de se mettre successivement dans la peau de chacun des actants (2). Ainsi, en Physique moderne, Thom prend résolument le parti du Einstein de la relativité générale (3) et voit les corpuscules comme des singularités, des maladies de l'espace-temps initialement lisse et immaculé.
Pour moi la question est de savoir si le bon sens va de l'antériorité ontologique vers la postérité ontologique ou l'inverse:
- la forme vers la matière ou l'inverse (4) ?
- le Verbe avant la chair ou l'inverse (5) ?
- la puissance vers l'acte ou l'inverse ?
- le continu vers le discret ou l'inverse ?
Dans le dernier cas Thom a tranché en faveur du continu -et moi à sa suite- avec l'argument qu'on peut générer du discret à partir du continu grâce à la notion de singularité alors qu'il semble impossible de générer du continu à partir du discret (selon moi on peut tout au plus générer du contigu) (5).
(1) Il me semble qu'il s'agit plutôt du second (inversion thomienne inconsciente?).
(2) Thom : "L'intelligence est la capacité de s'identifier à autre chose, à autrui.".
(3) Cf. ES.
(4) Daniel-Rops (à propos du "Balzac" de Rodin) : "Dans cette lutte prodigieuse entre la matière rétive et la volonté créatrice." PhG a annoncé qu'il ferait de cette citation l'un des pôles du tome III de "La Grâce…".
(5) le pape François a édicté en principe: "La réalité est supérieure à l'idée".
(5) Pour Guénon le continu et le discret sont des quantités (cf. "Le règne de la quantité...", chap. II). Pour Thom c'est l'opposition discret/continu qui domine la pensée (et non l'opposition matière/forme comme il m'apparaît de ce que j'ai lu de l'œuvre de Guénon).
jc
13/11/2021
Je complète le .0 par deux citations qui illustrent la coupure galiléenne vue comme une opposition phusis vitaliste/physique mécaniste, et suggèrent le travail à accomplir -selon moi- par les philosophes de la nature pour refermer cette coupure qui recoupe(!) la coupure qui est en train de s'opérer entre le scientisme profane, technologiste et la transhumaniste d'une part et le cœur de la véritable Science, que je vois peut-être pas si éloignée que ça de la science sacrée dont parle Gguénon. J'ai déjà plusieurs fois reproduit ces citations en commentaires sur ce site, la première figurant en épigraphe d'un chapitre de SSM, la seconde due à l'acteur Bernard Giraudeau :
« Le mécanisme de n'importe quelle machine, une montre par exemple, est toujours construit de manière centripète, c'est à dire que toutes les parties de la montre, aiguilles, ressorts, roues, doivent d'abord être achevées pour être ensuite montées sur un support commun.
Tout au contraire la croissance d'un animal, tel le triton, est toujours organisée de manière centrifuge à partir de son germe; d'abord gastrula il s'enrichit ensuite de nouveaux bourgeons qui évoluent en organes différenciés.
Dans les deux cas, il existe un plan de construction; dans la montre, il régit un processus centripète, chez le triton, un processus centrifuge. Selon le plan les parties s'assemblent en vertu de principes opposés. » (J.V. Uexkull, Théorie de la signification) ;
"Il y a peu, une équipe de recherche plus hardie a voulu en savoir plus sur la pharmacopée amazonienne. Ils ont demandé aux shamans comment ils pouvaient reconnaître la bonne plante sans l'expérimenter sur les hommes et faire quelques dégâts. Les shamans ont répondu: on n'a pas besoin de tuer les animaux pour savoir si une herbe ou une racine est efficace. Alors comment faites-vous? Nous nous asseyons devant la plante choisie, en silence, le temps nécessaire, et elle nous parle. Les chercheurs sont repartis marris." (Cher amour, p.40) .
jc
13/11/2021
Après relecture du .0 je dois distinguer le cas cyclique (qu'indique la Tradition, au moins en ce qui concerne les civilisations) du cas non cyclique (la position de Thom).
Position de Thom.
Un entretien entre Paul Nimier et Thom (1) se termine par :
"- N: Et au cours de votre scolarité est-ce que c'était, sous une forme ou sous une autre, des problèmes [la théorie des singularités] qui vous intéressaient ?
- T: Oh ! à ce moment-là, j'étais beaucoup plus scolaire, je pense. Je ne me souviens pas d'avoir pensé des choses sous cette forme '.
Mais je me souviens que vers dix-sept ans, j'ai commencé à m'intéresser à la dynamique. Je ne me souviens plus à quelle occasion j'avais remis un papier à mon professeur de math-élem, où je parlais de l'éternel retour vu d'un point de vue dynamique, les théories de l'éternel retour ...
C'était l'idée qu'on pouvait avoir un espace-temps, un univers dans lequel il y aurait l'éternel retour, c'est-à-dire où la dynamique serait périodique, mais je crois que c'est à peu près la première fois que j'ai réellement pensé les choses en terme de dynamique ...".
Il ne fait guère de doute pour moi que l'adulte a évolué par rapport à l'adolescent. Deux citations vont pour moi dans ce sens:
1. "Aristote a dit du germe, à la naissance, qu'il est inachevé. On peut dès lors se demander si tout en haut du graphe on n'a pas quelque chose comme un fluide homogène indistinct, ce premier mouvant indifférencié décrit dans sa Métaphysique; que serait la rencontre de l'esprit avec ce matériau informe dont sortira le monde? Une nuit mystique, une parfaite plénitude, le pur néant? Mais la formule d'Aristote suggère une autre réponse, théologiquement étrange: peut-être Dieu n'existera-t-il pleinement qu'une fois sa création achevée: "Premier selon l'être, dernier selon la génération"." (ES, p.216) ;
2. "(...) il m'est difficile de voir pourquoi un être pleinement différencié ne pourrait être immortel." .
Mais Thom a, je crois, conscience que cet perfection n'est atteinte qu'au bout d'un temps infini, à la fin d'un nombre infini de cycles dont la répétition donne l'impression d'un éternel retour mais qui progresse vers un état cosmique parfait fait d'ordre, d'harmonie et d'équilibre. Citation allant dans ce sens:
"(...) il y a une certaine incompatibilité entre l'immortalité de l'individu et les possibilités évolutives ultérieures de l'espèce. La mort serait alors le prix à payer pour préserver toutes les possibilités de perfectionnement futur de l'espèce.".
Position traditionnelle (selon ce que j'ai tiré de la lecture de Guénon)
C'est, je crois, plutôt la position d'un éternel retour. Dans ce cas l'état cosmique d'ordre, d'harmonie et d'équilibre ne peut être atteint à la fin du cycle car la fin du cycle est la fin de "l'âge de fer. cosmique". Si on fait l'hypothèse d'une respiration au cours du cycle, d'abord expansion-régularisation qui s'achève à mi-cycle par un acmé cosmique d'ordre, d'harmonie et d'équilibre (relatifs car imparfaits), suivi par une contraction-singularisation qui se termine à la toute fin de l'âge de fer par une implosion qui devient quasi instantanément une explosion (quand les morceaux se croisent!), explosion qui ouvre un nouveau cycle d'expansion/contraction. C'est en gros, je crois, le modèle civilisationnel que propose François Roddier(1), modèle qui s'accorde bien, selon moi, avec le modèle thomien du lacet de prédation impliquant la catastrophe fronce.
En ce qui concerne les sociétés humaines Thom dit à Jean-Luc Godard -qui l'interviewe (volontairement?) horriblement mal (2)- qu'il ne fait pas de doute que dans les sociétés c'est la fonction qui crée l'organe. Personnellement je tempère en : dans les sociétés jeunes, en cours d'organisation, c'est la fonction qui crée l'organe. Car je pense que plus les sociétés vieillissent plus elles se rigidifient, plus c'est la structure qui s'impose à la fonction, ce qui gêne l'adaptation et se termine inéluctablement par la rigidification ultime, cadavérique : la mort (3).
(1) https://www.dedefensa.org/article/vers-un-effondrement-de-civilisation
(2) https://www.youtube.com/watch?v=B1t_o_CMA_E (40') . Thom fera du film le compte-rendu suivant : « Quand Jean-Luc Godard est venu me filmer à mon Institut, je m’attendais à être traité selon l’hagiographie traditionnellement en usage à l’égard des célébrités de la science. Il n’en fut rien et je fus fort déconcerté ; les questions posées étaient d’une grande platitude et ne prêtaient à aucun développement (…). Quinze mois plus tard, j’eus enfin l’occasion de visionner René(e). Ce fut pour découvrir, sous un habillage irrévérencieux et souvent étonnant, une sorte de fidélité profonde à ce qui aurait pu être mon message. »
(3) L'irruption du e-commerce illustre mon propos : Amazon en pleine jeunesse met en faillite les anciennes formes de commerce par correspondance (La Redoute, Les trois Suisses) et les anciennes entreprises de transport des lettres et paquets (typiquement La Poste) peinent à s'adapter face aux nouvelles entreprises nées avec l'apparition du e-commerce. L'athée Michel Onfray fait ce genre d'analyse pour le catholicisme. À ce propos il m'apparaît de plus en plus nettement que l'ordinateur a sur notre société de plus en plus mondialisée un énorme pouvoir rigidifiant.
jc
12/11/2021
Au début de son entrevue avec Charles Robin Frédéric Mathieu commence par rappeler ce qu'on entendait par philosophie naturelle à l'époque de Newton et, à la façon dont il parle de ses études de philosophie, on peut se demander s'il ne regrette pas l'absence de cursus de théoréticien/métaphysicien qui couvrirait à la fois les mathématiques et la physique théorique actuelle, la physique aristotélicienne -la phusis- et la théologie (1).
Thom se revendique explicitement comme philosophe de la nature, très certainement, selon moi, au sens où Newton concevait la chose. Il a écrit à ce sujet un article qui figure dans son "Apologie du logos" intitulé "La philosophie naturelle : une quête de l'intelligible" et est revenu à maintes reprises sur le sujet. Un point pour lui fondamental est que le philosophe de la nature tel qu'il le conçoit ne saurait être démarcationniste car il s'agit pour lui de refermer la coupure galiléenne qui a séparé la science moderne de la philosophie :
"Le « philosophe de la nature » que j'envisage aura un point de vue résolument anti-démarcationniste. On peut imaginer un spectre quasi continu joignant les assertions les plus solidement établies (par exemple un théorème de mathématique) aux affirmations les plus délirantes. La pratique de notre épistémologue peut être ainsi décrite. Partant des points de contact obligés entre science et philosophie, il s'efforcera d'épaissir l’interface entre science et philosophie ; il sera donc philosophe en sciences, et scientifique en philosophie." ;
"C'est plutôt dans ce rôle du gardien de l’intelligible que je verrais essentiellement sa fonction [de notre philosophe de la nature]. Lutter continuellement contre les dérapages pragmatistes qui tendent à gauchir nos prégnances et à créer des significations abusives ou factices, telle est, je crois, la fonction centrale de notre philosophe. Fonction à coup sûr difficile, car elle l'oblige à se mettre constamment à contre-courant des flux locaux d'intérêts qui agitent la communauté des savants. Avoir raison trop tôt, c'est bien souvent avoir tort dans l'immédiat. Il lui faudra accepter une fois pour toutes les conséquences de ce choix"."
À mon niveau de formaté-scientifique il s'agit de renouer les liens brisés à la coupure galiléenne entre la démiurgique physique moderne et l'antique physique aristotélicienne, c'est-à-dire l'herméneutique phusis telle que Thom la conçoit. Dans mon précédent commentaire sur les singularités j'ai noté des analogies entre les points de vue de Thom et de Hawking. Je rajoute ici une autre passerelle possible entre la théorie du tout qui a essentiellement occupé Hawking à la fin de sa vie et la théorie des catastrophes, qui pourraient se retrouver dans la classification ADE des systèmes de racines , le système E8, lié au dodécaèdre régulier (solide que Platon associe à sa quinte essence) étant peut-être pas trop éloigné de la solution cherchée par Hawking (2), alors que, par un théorème du mathématicien russe Arnold, les sept catastrophes élémentaires thomiennes sont liées à A2, A3, A4, A5, D4 (+ et -) et D5 (3).
Les points de contact avec la philosophie ne sont pas mon rayon mais les appels de Thom en direction des philosophes ne manquent pas dans son œuvre (7).
Avec cette idée en tête de philosophie naturelle, je me demande, à la lecture de son "Cosmos", si ce n'est pas ce que recherche également Michel Onfray, résolument matérialiste tendance vitaliste -et non mécaniste- (l'existence implique pour lui l'essence), nominaliste et atomiste, à peu près exactement l'opposé de là où j'essaye de me maintenir (matérialiste tendance vitaliste, conceptualiste tendance réaliste-platonicien et continuiste). Dans la partie 4 intitulée Cosmos il adopte le point de vue de son ami Jean-Pierre Luminet et de ses multivers "chiffonnés" qui, renseignements pris en fouillant sur la toile, me semblent assez proches de E8 puisqu'y apparaît un dodécaèdre (et donc potentiellement solutions du problème que se posait Hawking) (4)(5).
Peut-être que dans un temps pas trop lointain se constituera un noyau de philosophes de la nature médiatiquement visibles qui réussiront à capter l'attention des grands médias et les gens pour briser le plafond de verre qui fait écrire à PhG : "l’on pourrait faire l’hypothèse que nombre de forces scientifiques en place ne tiennent en aucun cas qu’un tel phénomène (l'existence de philosophes de la nature comme le Newton ésotérique] soit mis en pleine lumière.".
Frédéric Mathieu écrivant sur Thom un bouquin dans le ton de la thèse qu'il est en train d'écrire sur Newton? Michel Onfray se convertissant à la philosophie naturelle et au continuisme -tel Paul sur le chemin de Damas- pour en faire autant (6)?
(1) :Mathieu "Je me suis approché de la philosophie plus par défaut que par réel choix parce que je pensais que ceci me permettrait de faire des synthèses entre les différentes branches de la connaissance. Je pensais que la philosophie avait cette qualité, en fait, de se pencher par dessus les disciplines et de tirer des généralités dont on pourrait tirer, dans un ordre supérieur, des enseignements pour une vie, pour l'existence, etc. Cela n'a pas tout-à-fait été ce que j'ai vécu lorsque j'ai fait mes premières études de philosophie."
(2) Cf. plus loin à propos de Jean-Pierre Luminet.
(3) Cf. la fin du chapitre 5 de http://www.entretemps.asso.fr/maths/ecole.pro.pdf
(4) https://en.wikipedia.org/wiki/Root_system
(5) Tout ce qui est dit ici déborde largement et ma partie et mon niveau…
(6) J'en doute un peu mais sait-on jamais.
(7) J'ai été étonné (c'est un euphémisme) que Régis Debray ne parle pas dans son "Éloge des frontières" des axiomes thomiens ABP (l'Acte est le bord de la Puissance) et FBM (la Forme est le Bord de la Matière).
jc
12/11/2021
[ À ceux qui croient en leurs intuitions -éventuellement hautes-, je prolonge ici mon commentaire sur l'infini en citant la conclusion de l'exposé de Dehornoy (à partir de 58'20), citation qui, selon moi, conforte en quelque sorte l'option du pari pascalien :
"Même si on ne croit pas à l'existence de l'infini (...) il serait regrettable de se priver des intuitions qu'il apporte.".
Cette version de l'exposé n'est pas si courte que ça -contrairement à ce que j'ai annoncé- car l'auteur s'y met en scène (contrairement aux versions antérieures, beaucoup plus concises, mais moins vivantes ).]
Le mot est à la mode mais polysémique : la singularité des technologues est "l'hypothèse selon laquelle l'invention de l'intelligence artificielle déclencherait un emballement de la croissance technologique qui induirait des changements imprévisibles dans la société humaine. " (Wiki). Ce n'est pas celle de philosophes comme Chantal Delsol (1) ni celle des mathématiciens et des physiciens sur lesquels je concentre la suite de ce commentaire.
En physique théorique il y a singularité soit lorsqu'une quantité devient infinie ou indéfinie. C'est également le cas en mathématiques mais les matheux -Thom en particulier- considèrent également comme singulières les valeurs de fonction dérivable -ou, plus généralement, différentiable- pour lesquelles la dérivée s'annule -plus généralement où la différentielle n'est pas de rang maximal- (2). Les valeurs singulières sont des valeurs au voisinage desquelles il y a en général changement qualitatif de la fonction (3).
À la lecture de la fiche Wiki de S. Hawking je découvre que celui-ci a élaboré avec Penrose des théorèmes sur l'existence de singularités gravitationnelles puis cosmologiques conduisant à l'inéluctabilité d'une singularité primordiale de l'univers à l'origine des temps ou à l'origine d'un cycle "universel" (4). Cela me conforte dans l'idée d'un Dieu-Khaos-yin singulier tout-en-puissance (tout-puissant) à l'origine des temps (ou d'un cycle) qui s'actualise progressivement (comme la graine germe pour devenir fleur) au cours des temps (ou du cycle) par mise en ordre progressif du chaos initial -autrement dit par régularisation de la singularité initiale-pour aboutir à la fin des temps (ou du cycle) à un Dieu-Cosmos-yang (5) tout-en-acte, comme le pense -je crois- Thom : "Aristote a dit du germe, à la naissance, qu'il est inachevé. On peut dès lors se demander si tout en haut du graphe [de Porphyre] on n'a pas quelque chose comme un fluide homogène indistinct, ce premier mouvant indifférencié décrit dans sa Métaphysique; que serait la rencontre de l'esprit avec ce matériau informe dont sortira le monde? Une nuit mystique, une parfaite plénitude, le pur néant? Mais la formule d'Aristote suggère une autre réponse, théologiquement étrange: peut-être Dieu n'existera-t-il pleinement qu'une fois sa création achevée: "Premier selon l'être, dernier selon la génération"." (ES p.216)
(1) Cf. le résumé de son "Éloge de la singularité".
(2) Les autres valeurs sont bien naturellement qualifiées de régulières.
(3) Les plus allergiques aux mathématiques n'ont sans doute pu éviter dans leur cursus les tableaux qui expriment les changements de variation d'une fonction (croissance ou décroissance) au voisinage d'un point où la dérivée s'annule.
(4) Puisque Frédéric Mathieu parle des intuitions/analogies érotiques du Newton ésotérique (théologien et alchimiste), je ne peux m'empêcher de citer ici l'origine du monde selon Courbet.
(5) Une étymologie couramment acceptée de cosmos est : ordre (voire ordre, harmonie, équilibre…).
jc
12/11/2021
L'infini n'effraie plus les mathématiciens et les physiciens théoriciens contemporains (les querelles philosophiques lors de l'apprarition du calcul infinitésimal ayant été oubliées…).
Cependant, bien que le calcul infinitésimal soit à la base de la topologie différentielle, de la théorie des singularités et de la théorie ds catastrophes Thom l'herméneute répugne à l'utilisation de l'infini (1) et insiste sur le fait que le seul calcul infinitésimal ne suffit pas pour résoudre les paradoxes de Zénon et donc pour comprendre le mouvement et le changement alors qu'au contraire les physiciens démiurges -c'est-à-dire les physiciens théoriciens- en raffolent (2). Citation thomienne à l'attention des mathématiciens et physiciens démiurges:
"En plaquant ainsi sur le monde l'infini mathématique, l'homme ne fait-il pas preuve de la même présomption inconsciente que le magicien primitif qui commandait aux Dieux… ?
Le protoptype du mathématicien démiurge est pour moi Cantor qui a postulé pour sa théorie des ensembles l'existence "en acte" d'un nombre entier infini, plus grand que tous les nombres entiers usuels et en quelque sorte dieu transcendant car inaccessible à partir d'eux par les opérations usuelles (addition, multiplication, exponentiation, etc.). J'ai du mal à me sortir de la tête que Cantor et Gödel -qui a passé beaucoup de temps à la fin de sa vie à tenter de prouver formellement l'existence de Dieu- ont tous deux sombré dans la folie parce qu'il ont eu la présomption de vouloir commander aux dieux. À ce propos il est pour moi piquant de voir le philosophe résolument athée Alain Badiou, platonicien selon ses dires, est fasciné par la théorie des ensembles en général et la théorie des grands cardinaux -euphémisme pour ne pas parler de grands dieux- en particulier (3), (4).
(1) Thom insiste sur le fait que le seul calcul infinitésimal ne suffit pas pour résoudre les paradoxes de Zénon et donc pour comprendre le mouvement et le changement, un atomiste ne peut résoudre le problème, il faut être continuiste : "Et peut-être faudra-t-il renverser l'interprétation traditionnelle des paradoxes des Eléates. Ce n'est pas le continu qui fait problème, mais bien le continu, dans sa réalisation d'infini actuel, qui justifie l'infini dénombrable : car, n'est-ce pas, Achille finit par dépasser la tortue…". Pour moi le Guénon des deux derniers chapitres de "Les principes du calcul infinitésimal" est à ranger parmi les très rares penseurs du continu.
(2) L'espace de Hilbert (espace hermitien -euclidien complexe- de dimension infinie) est un prérequis des postulats de la mécanique quantique.
(3) Les curieux de ces choses pourront consulter le bref exposé de Patrick Dehornoy : "À quoi sert l'infini en mathématiques?" ( https://streaming.univ-rouen.fr/videos/a-quoi-sert-linfini-conference-de-patrick-dehornoy/ ). On notera que la première citation de l'exposé due à Kronecker s'oppose diamétralement à la citation thomienne de (1). (Thom a d'ailleurs ironisé sur cette citation de Kronecker dans un passage de son article "Les mathématiques modernes : une erreur pédagogique et philosophique?" (Apologie du logos), passage où, précisément, il se pose en penseur du continu face à un mathématicien -banquier à ses heures- penseur du discret.)
(4) Bien que je sois complètement opposé aux idées politiques de Badiou, je lui suis reconnaissant de tenter de renouer avec les traditions pythagoricienne* et platonicienne en considérant que les mathématiques sont partie intégrantes de la philosophie. Ceci dit, je lui reproche une philosophie où je ne perçois aucune naturalité (au sens de la philosophie naturelle de Newton et de Thom). (* Guénon rappelle que le terme de philosophe est apparu pour désigner Pythagore.)
Nicolas Piot
11/11/2021
aucune envie de rentrer dans le débat climatique, où il me semble que la posture de l'inconnaissance reste la plus sage. Et puis Dimitri Orlov me fait bien rire avec ça façon de parler, même si j'ai toujours l'impression de me faire balader en le lisant.
Cependant, annoncer que la glace de l'arctique n'a pas réduit ces dernières années, sans citer de source autre que cette affimation gratuite m'a un peu surpris. J'ai pris le temps de chercher et n'ai rien trouvé qui confirme ceci, au contraire
A part d'entendre parler régulièrement que la fonte des glaces arctiques est une oportunité pour la marine marchande et arrange bien les russes, les données que je trouve sont les suivantes, dont je n'ai pas de raisons de douter :
https://nsidc.org/data/seaice_index
se baser sur des données visiblement fausses pour batir un raisonnement décrédibilise ce dernier, même si par ailleurs il peut être pertinent. Si quelqu'un a des données contraires au miennes qui montent effectivement un accroissemnt de la glace arctique, je suis preneur.
Merci
jc
11/11/2021
La modernité nous présente la coupure galiléenne comme le passage du géocentrisme à l'héliocentrisme. Cette présentation est peut-être intéressée, autrement dit la remarque que fait PhG à propos de la face cachée de l'œuvre de Newton ("l’on pourrait faire l’hypothèse que nombre de forces scientifiques en place ne tiennent en aucun cas qu’un tel phénomène soit mis en pleine lumière") vaut aussi peut-être -voire sans doute- pour la coupure galiléenne.
A la suite de Thom je défends ici l'idée que la véritable coupure galiléenne concerne le passage de l'étude traditionnelle -prégaliléenne- de la nature-phusis, traitée comme vivante (la nature se disait φύσις en grec ancien (1)), à l'étude moderne postgaliléenne, où la nature-physique est traitée comme inerte.
Pour moi Newton a participé activement à cette coupure avec son œuvre majeure (selon la modernité) qui est Philosophiæ naturalis principia mathematica, œuvre qui va dans le sens de la célèbre citation de Galilée selon laquelle le livre de la nature est écrit en langue mathématique (2). Il y a clairement pour moi une coupure entre le Newton 70% phusicien-herméneute, s'intéressant à la qualité et à l'explication, et le Newton 30% physicien-démiurge lançant son orgueilleux "Hypotheses non fingo", s'intéressant à la quantité et à la prédiction.
L'un des buts que se fixe Thom dans son œuvre philosophique est de refermer cette coupure. Citations :
"(...) une vision plus claire du programme métaphysique de la théorie des catastrophes : fonder une théorie mathématique de l'analogie, qui vise à compléter la lacune ouverte par Galilée entre quantitatif et qualitatif." :
"L'ambition ultime de la théorie des catastrophes, en fait, est d'abolir la distinction langage mathématique-langage naturel qui sévit en science depuis la coupure galiléenne." .
Pour ce faire Thom mathématise le concept spinozien d'être structurellement stable ("tout être se doit de persévérer dans son être"), ce qui le conduit à opposer à la "dureté" de la calculabilité une certaine flexibilité qui permet d'espérer pénétrer les sciences "molles" (biologie, sociologie, linguistique en particulier) :
"La physique (avec ses grandes lois classiques) nous a donné l'exemple d'une théorisation « dure », fondée sur le prolongement analytique et permettant le calcul numérique explicite, donc la prédiction. Tout récemment, l'introduction de la théorie dite des catastrophes suggère un autre usage des mathématiques en science : une théorisation « molle », à caractère uniquement local. Une telle modélisation se réduit pratiquement à une théorie des analogies.".
Mais Thom prévient :
"(...) on est fondé à affirmer que stabilité structurelle et «calculabilité» sont, dans une certaine mesure, des exigences contradictoires ; (...) la physique actuelle a sacrifié la stabilité structurelle à la calculabilité ; je veux croire qu'elle n'aura pas à se repentir de ce choix.";
"Le miracle des lois physiques est un miracle isolé, et l'on a payé fort cher en croyant que comprendre les phénomènes était un luxe dont on pouvait fort bien se dispenser, du moment qu'on avait la formule qui permet la prédiction." .
(Il me semble clair que Thom a un faible pour l'approche aristotélicienne, vue généralement comme plutôt matérialiste (3), étant bien entendu qu'il s'agit de phusis traditionnelle, herméneutique et qualitative, et non de physique actuelle, démiurgique et quantitative. Cette approche permet d'entrevoir pour les siècles à venir (dès maintenant?) un matérialisme vitaliste qui viendrait succéder au matérialisme mécaniste qui a cours en Occident depuis la coupure galiléenne (et qui semble gagner l'Orient si on en juge par l'évolution actuelle de l'extrême-orient). Il me semble non moins clair que la voie du transhumanisme est le prolongement "naturel" au XXIème siècle de la voie démiurgique ouverte par la physique mécaniste et que lui opposer une autre approche (celle de Thom) c'est poser les premiers jalons pour la mettre en échec.)
Ce commentaire concernant essentiellement la partie "Newton l'alchimiste", je termine par deux citations thomiennes que l'on peut, selon moi, voir considérer comme "alchimiques", voire théologiques:
"De même qu'on commence à se rendre compte que le génome des Eukariotes est très différent de celui des Prokariotes, parce qu'il ne remplit pas les mêmes fonctions, on pourrait bien un jour s'apercevoir que ce ne sont pas les molécules qui font la vie, mais au contraire la vie qui façonne les molécules." ;
"(...) la science veut construire la vie à partir de la mécanique, et non la mécanique à partir de la vie." (4 ) .
(1) En anglais moderne un physician est un médecin (Wiki : "Around the world the term physician refers to a specialist in internal medicine").
(2) Je ne suis donc pas d'accord avec la formulation de Frédéric Mathieu : « Newton, qu’on dit être au cœur de la révolution scientifique, l’architecte des sciences modernes, n’est pas l’inventeur de quelque chose mais le continuateur d’une tradition. [...] Ainsi, l’on pourrait dire que la véritable révolution newtonienne c’est un retour à la tradition » .
(3) Dans la préface de "Apologie du logos", le philosophe Jean Largeault parle d'un Thom "plutôt matérialiste" (cité de mémoire).
(4) Wiki : "L'intérêt de Newton pour l'alchimie résiderait [selon Richard Westfall] dans une « rébellion » contre les limites restrictives imposées par la philosophie mécaniste ainsi que par la volonté de dépasser le mécanisme de René Descartes." .
Théo Ter-Abgarian
10/11/2021
Quand la sage dit que la surpopulation est LE problème, le fou répond on pourra nourrir, loger tout le monde.
Peu importe la qualité de la vie, qui passe par les paysages, la présence de la faune, de la flore…
jc
10/11/2021
C'est la question que je me pose après la découverte coup sur coup d'une conférence du mathématicien Patrick Popescu-Pampu sur le dynamisme des formes instables (https://www.youtube.com/watch?v=OUerqZrDd_k), conférence dont le moteur est la théorie thomienne des singularités d'une part, et, d'autre part, l'interview du philosophe Charles Robin sur les centres d'intérêt de Newton où l'on découvre un Newton ésotérique s'intéressant à l'explication qualitative bien différent du Newton exotérique s'intéressant à la prédiction quantitative que la modernité tient à nous présenter (1).
Dans l'interview de Robin j'ai noté plusieurs passerelles Newton/Thom, dont :
11'10 : analogies règne animal/règne minéral: sexualité, dévorations, ensemencements, embryologie chtonienne dans le règne minéral. Vision de la nature où, finalement, des phénomènes que l'on va observer dans certains règnes vaudront dans d'autres règnes, et dans certaines échelles vaudront pour des échelles supérieures (analogies microcosme/macrocosme). Je rappelle à ce propos la citation thomienne : "La synthèse ici entrevue des pensées "vitaliste" et "mécaniste" en Biologie n'ira pas sans un profond remaniement de notre conception du monde inanimé" (Une théorie dynamique de la morphogenèse, conclusion, MMM). Je rappelle aussi que la théorie thomienne des catastrophes est une théorie de l'analogie ("la première depuis Aristote", écrit Thom).
13'00 : "Pour Newton Dieu interagit avec la matière avec une interface qui est l'espace pour lui donner son animation.". Thom : "En dépit de mon admiration pour Aristote je reste platonicien en ce que je crois à l'existence séparée (« autonome ») des entités mathématiques, étant entendu qu'il s'agit là d'une région ontologique différente de la « réalité usuelle » (matérielle) du monde perçu. (C'est le rôle du continu — de l'étendue — que d'assurer la transition entre les deux régions.). (Je rappelle que pour Thom "selon de nombreuses philosophies Dieu est géomètre; il serait peut-être plus logique de dire que le géomètre est Dieu.")
20'. "Pour Newton le monde n'est pas animé seulement par une seule force mécanique, il y a aussi une vie qui organise la matière qui s'explique par des esprits actifs qui vont devenir des forces.". Thom échafaude sa Biologie théorique sur le postulat de l'existence de champs morphogénétiques dont les singularités structurellement stables seraient les êtres vivants ; il écrit à ce propos : "La nature ultime dudit champ, savoir s'il peut s'expliquer en fonction des champs connus de la matière inerte, est une question proprement métaphysique ; seule importe au départ la description géométrique du champ, et la détermination de ses propriétés formelles, de ses lois d'évolution ensuite.".
De la conférence de Popescu j'apprends que Newton a fait une classification qualitative des courbes planes cubiques à la façon de la classification connue depuis l'antiquité des courbes quadratiques (en trois classes : ellipse, parabole et hyperbole). Newton trouve plus de 70 classes (il en oublie, paraît-il quelques unes), ce qui montre l'augmentation considérable de la difficulté du problème (problème que l'on retrouve dans les classifications des singularités et des catastrophes élémentaires qu'étudie Thom). On trouve ainsi déjà chez Newton la singularité "bec à bec" (deux fronces face à face) -et Popescu fait l'analogie biologique de la becquée chez les oiseaux- et la singularité "lèvre" (deux fronces -les commissures- dos à dos réunies par deux lignes de plis (les lèvres supérieure et inférieure) privilégiées par Thom car structurellement stables. Thom s'est fait prendre en photo en train d'examiner les singularités de l'écorce d'un tronc d'arbre (chêne ?) où l'on trouve à profusion des "lèvres" et des "bec à bec".
Thom : un nouveau Newton? C'est ce qu'un grand quotidien a titré en 1972 à la sortie de "Stabilité structurelle et morphogenèse", essentiellement à la biologie. Thom un Newton de la biologie? Il se pourrait bien, selon moi, que l'on s'aperçoive un jour (encore lointain…) que c'est effectivement le cas.
En attendant c'est Darwin qui est décrété par la modernité comme étant l'actuel "Newton de la biologie" (Thom a ironisé à ce sujet dans sa préface du livre de Jacques Costagliola "Faut-il brûler Darwin?" (http://j-costagliola.over-blog.com/article-un-programme-pour-la-biologie-theorique-par-rene-thom-medaille-fields-preface-a-faut-il-bruler-darwin-l-harmattan-1995-52930252.html) : "On ne pourra reprocher à notre auteur d’avoir fait preuve de la moindre clémence vis-à-vis d'un « Newton de la biologie ». Son livre est un réquisitoire sans faille de l’Origine des espèces… ", ce qui, selon moi, renvoie à la citation (1) ci-dessous (car que devient le Système si le darwinisme s'écroule?)
(1) Pour moi la citation suivante de PhG concernant Newton vaut également pour Thom, peut-être pour les mêmes raisons (je rappelle à ce propos que Stabilité structurelle et morphogenèse a mis cinq ans avant d'être publié -en 1972 chez Benjamin-) :
"Nombre des documents alchimistes de Newton que mentionne Mathieu sont disponibles en ligne (lui-même, Mathieu, les étudie, préparant un livre sur cette question). Pour autant, l’“image” officielle de Newton n’a changé en rien ; l’on pourrait faire l’hypothèse que nombre de forces scientifiques en place ne tiennent en aucun cas qu’un tel phénomène soit mis en pleine lumière."
patrice sanchez
09/11/2021
Courage fuyons le ciel qui ne devrait pas tarder à nous tomber sur la tête par la grâce des cycles cosmologiques de l'univers !
Cela fait des milliers d'années que ces immondes saigneurs de l'humanité nous maintiennent enchainés dans la caverne de notre ignorance, et avec le moyen de contrôle technologique outrancier des populations ils nous font accroire que nous pourrions nous révolter ! Soyons sérieux, la seule révolte ne peut être qu'individuelle et spirituelle, comme tant d'esprits éclairés l'avaient pronostiqué.
Je me rappelle qu'étant jeune adolescent, j'avais acheté un livre qui m'aura marqué, son titre : La révolte des dauphins !
Eh bien, il faudrait que les humains éclairés fassent comme les dauphins du livre, et qu'ils activent leurs glande Pinéale, cette si divine-humaine glande dont Descartes connaissait l'existence et les propriétés, un mystère d'éternité qui nous viendrait des présocratiques avec le témoignage lumineux de Pythagore, de Platon ... ce qui ouvrirait et offrirait la voie à toutes les espérances de pensées éternelles inspirées par l'univers en partenariat avec nos âmes soeurs éternelles, en même temps qu'une ascension des consciences avec le principe d'intrication " psychologique " quantique qui n'aura pas fini d'émerveiller l'humanité du futur !
jc
08/11/2021
Je retombe sur cet article que j'avais rapidement parcouru et que je n'avais pas commenté pour ne pas ressortir ma sempiternelle ritournelle thomienne à la suite des deux commentaires plutôt opposés aux thèses que je défends ici -et ailleurs- sans guère de succès apparent, mais peu m'importe.
PhG distingue ici la science (s minuscule)-et les scientistes qui vont avec- de la Science majusculée, et c'est la première fois que je note cette différence soulignée sous sa plume :
"Ce que nous nommons “la Science” (majusculée pour l’occasion)",
distinction qui me renvoie immédiatement à la guénonienne distinction science sacrée/science profane.
À la toute fin de Esquisse d'une sémiophysique (1988) Thom classifie comme suit (je cite de mémoire) les façons d'appréhender le monde :
1. Approche globale du monde global, la philosophie sous-jacente étant démiurgique; c'est celle de la Physique théorique contemporaine;
2. Approche globale du monde local, la philosophie sous-jacente étant herméneutique; c'est celle de la Théorie Générale des Systèmes, celle de la Théorie des singularités et celle de la Théorie (thomienne) des Catastrophes;
3. Approche locale du monde global; c'est la découverte du monde au petit bonheur la chance, à la petite cuiller, sans philosophie sous-jacente, sans principes ni idées préconçues, où on se contente d'accumuler "données" et "faits"; approche très en vogue à l'ère des puissants ordinateurs actuels qui les "traitent" -voire les génèrent… -;
4. Approche locale du monde local, la philosophie sous-jacente étant le réductionnisme; approche encore très en vogue (quoique, peut-être, avec son acmé derrière elle -cf. la Biologie moléculaire…), priorité étant encore donnée à l'analyse (indéfinie?) sur la synthèse.
Pour moi seules les deux premières approches méritent l'appellation de Science majusculée.
La démiurgie de la Physique moderne me fait considérer celle-ci comme une théonomie, théonomie profane car la science moderne (s minuscule) n'accepte que les lois (nomos) vérifiables expérimentalement -ce qui exige des appareillages de plus en plus considérables et coûteux-. Thom donne son point de vue sur cette Science démiurgique à la fin de sa vidéo intitulée "La théorie des catastrophes" -que je qualifie de testament- (de 37'55 à 40'35) : https://www.youtube.com/watch?v=fUpT1nal744 .
L'approche herméneutique par la théorie thomienne des catastrophes est pour moi également une théonomie -et même une théogonie puisqu'il y est question de morphogenèse-. Dans "une échappée en métaphysique extrême que le lecteur me pardonnera peut-être" (Esquisse d'une Sémiophysique p.216) Thom écrit que "le métaphysicien doit en principe parvenir à ce point originel de l'ontologie [l'Être en soi], d'où il pourra redescendre par paliers jusqu'à nous, individus d'en bas. Son programme, fort immodeste, est de réitérer le geste du Créateur". Cette échappée suggère avec insistance ("hormis les considérations tirées de la régulation biologique") l'analogie Dieu tout puissant/œuf totipotent, analogie qui renvoie à l'analogie œuf totitpotent/fonction indéfiniment différentiable non spécifiée et non différentiée (Thom fait l'analogie développement de l'embryon/développement de Taylor d'une fonction, analogie qui est -selon moi- au principe de sa tentative de théorisation de la Biologie -SSM p.32-). L'analogie Dieu/fonction différentiable conduit à voir "au commencement des temps" Dieu tout puissant comme une fonction différentiable indifférentiée dont toutes les variables (en nombre infini puisqu'il s'agit de Dieu…) sont cachées, donc comme un Dieu Janus qui nous montre (ou plutôt nous cache) sa face obscure, sa face yin, féminine, sa face Khaos. Puis, progressivement, ces variables apparaissent à la lumière ("et lux in tenebris lucet"), les premières à apparaître étant celles qui varient le plus lentement -à tel point qu'elles paraissent constantes (ainsi la constante de gravitation universelle de Newton)-, les autres -les variables rapides selon la terminologie thomienne- restant cachées "dans la boîte noire". À la "fin des temps" on a, si l'on suit -je crois…- Thom, on a un Dieu "en acte et en pleine lumière" entièrement différencié/différentié, un Dieu Cosmos : "la formule d'Aristote "Premier selon l'être, dernier selon la génération". suggère une autre réponse, théologiquement étrange: peut-être Dieu n'existera-t-il pleinement qu'une fois sa création achevée."(ES p.216). (Je tire de ces audacieuses spéculations thomiennes que la mathématique est une théologie, le théo de théorème ayant, pour moi qui ne suis pas helléniste, même étymologie que le théo de théologie…)
Peut-être verra-t-on un jour des considérations de ce genre dans un article du Figaro? Dans sa vidéo-testament précitée Thom pense que ce n'est pas demain la veille de ce jour (de 49'55 à 50'10) : "Quand j'ai écrit Stabilité structurelle et morphogenèse je pensais avoir un demi-siècle d'avance sur la biologie de mon temps. Je crois que j'étais encore optimiste.". Je crois qu'il faudra subir beaucoup d'articles sur le transhumanisme (alias la métaphysique zuckerienne) avant de s'apercevoir qu'il est peut-être temps de passer à autre chose.
Yves Limoge
06/11/2021
Par delà l'interrêt de votre commentaire, votre article nécessite une correction. Lorsque vous écrivez que seuls trois candidats soutiennent la sortie de la France de l'OTAN, simple ou double, peu importe, vous omettez Asselineau, que vous connaissez pourtant. Or le président de l'UPR a été candidat en 2017, contrairement à M. Zemmour. Votre refus de le citer contribue à l'omerta qui a été prononcée contre lui par le "Système", "Système" que vous semblez souvent vouloir combattre. Quelle que soit votre opinion sur Asselineau votre formulation relève de la désinformation. Elle doit être corrigée.
jc
03/11/2021
PhG : "Crooke emprunte à l’analyste Paul McCulley le concept de “stabilité du déséquilibre”... Selon notre point de vue, ce concept fonctionne selon une dynamique de “stabilité dans le déséquilibre” jusqu’à ce que le déséquilibre l’emporte par l’une ou l’autre crise échappant à cette “stabilité” ; entraînant alors le tout dans une sorte d’étrange phénomène de ce “déséquilibre stable” perdant sa stabilité et redevenant lui-même, pur déséquilibre. Le phénomène agit alors avec une force décuplée qui s’est constituée dans cette contrainte de stabilité et, libérée, se détendant brutalement, comme un ressort." (https://www.dedefensa.org/article/poutine-danse-avec-le-dollar), renvoyant à l'instabilité du tas de sable (https://www.mauldineconomics.com/frontlinethoughts/ubiquity-complexity-and-sandpiles).
Je ne suis pas du tout convaincu que le modèle du tas de sable soit le plus adéquat pour représenter les cracks économiques et financiers car il n'y a pour moi aucun effet ressort dans l'effondrement d'un tas de sable. Je préfère les modèles de Roddier avec sa falaise de Sénèque (1) et, surtout, le modèle "catastrophique" de Zeeman, la catastrophe utilisée dans ce modèle étant la fronce thomienne, où la brutalité de la déstabilisation est représentée par le saut depuis la partie supérieure de la fronce sur la partie inférieure (crack boursier, émeutes dans les prisons, agressivité du chien, maniaco-dépression, etc.). (La différence entre les deux approches, celle de Roddier, Prigogine, Per Bak d'une part, et celle de Zeeman et Thom d'autre part est que la première est quantitative alors que la seconde est qualitative (2) ).
Thom considère la catastrophe de prédation (le chat mange la souris) comme la catastrophe à typiquement modéliser par la fronce : dans ce cas l'énergie potentielle du chat (δύναμις) se convertit brutalement, comme un ressort, en énergie active (ἐνέργεια) lorsque le chat affamé (qui rêve de manger une souris) en rencontre une dans son champ de vision. Pour lui l'assertion "Le prédateur affamé est sa propre proie" est à la base de l'embryologie animale", ce qu'il précise ailleurs: "Par exemple, la neurulation est l'absorption par l'animal d'une proie symbolique, qui deviendra son système nerveux, justifiant ainsi l'affirmation que le prédateur est sa proie."
(1) http://www.francois-roddier.fr/?p=804
(2) Thom : "La Physique actuelle a sacrifié la stabilité structurelle à la calculabilité; je veux croire qu'elle n'aura pas à se repentir de ce choix".
siulo darba lietuvoje
03/11/2021
Nice article, a lot of useful info!
_____________________________
darbas lietuvoje ir uzsienyje
Pour poster un commentaire, vous devez vous identifier