jc
16/11/2021
En réécoutant l'interview de Frédéric Mathieu je me demande s'il n'y a pas en même temps un Newton à 70% analogiste (1) et un Newton à 30% naturaliste (1), un Newton à 70% herméneute pour qui il va de soi que l'homme de science fait partie d'une nature dans laquelle le surnaturel a sa place, et un Newton à 30% démiurge pour qui l'homme n'accepte plus le surnaturel (mort de Dieu) et pour qui la culture s'oppose à la nature, un Newton penseur du continu, intuitif et inductif, à 70% "cerveau droit d'abord" et un Newton penseur du discret, calculateur et déductif, à 30% "cerveau gauche d'abord". (Bien entendu je considère que "mon" Thom est 100% analogiste et 100% "cerveau droit d'abord", autrement dit qu'il est 100% véritable philosophe de la nature.)
Je ne sais pas si Newton s'exprime à ce sujet (la réponse est peut-être dans la malle d'inédits découverte dans les années 1930) mais je suis convaincu que c'est à partir de cette époque que le naturalisme a progressivement pris le pas sur l'analogisme, pour accoucher du matérialisme et du technologisme qui ont pris à leur tour de l'ampleur jusqu'à régner actuellement pratiquement en maîtres (en attendant le transhumanisme…). J'attends donc de voir avant de valider ce que PhG retient de ce que dit Mathieu :
" Newton, qu’on dit être au cœur de la révolution scientifique, l’architecte des sciences modernes, n’est pas l’inventeur de quelque chose mais le continuateur d’une tradition. [...] Ainsi, l’on pourrait dire que la véritable révolution newtonienne c’est un retour à la tradition ." .
Pour moi Kant exprime parfaitement l'idée que je me fais du naturalisme descolien dans la préface de la deuxième édition de sa "Critique de la raison pure" :
"Lorsque Galilée fit rouler sur un plan incliné des boules dont il avait lui-même déterminé la pesanteur, ou que Torricelli fit porter à l'air un poids qu'il savait être égal à une colonne d'eau à lui connue, ou que, plus tard, Stahl transforma des métaux en chaux et celle-ci à son tour en métal, en y retranchant ou en y ajoutant certains éléments, alors une nouvelle lumière vint éclairer tous les physiciens. Ils comprirent que la raison n'aperçoit que ce qu'elle produit elle-même d'après ses propres plans, qu'elle doit prendre les devants avec les principes qui déterminent ses jugements suivant des lois constantes, et forcer la nature à répondre à ses questions, au lieu de se laisser conduire par elle comme à la lisière; car autrement des observations accidentelles et faites sans aucun plan tracé d'avance ne sauraient se rattacher à une loi nécessaire, ce que cherche pourtant et ce qu'exige la raison. Celle-ci doit se présenter à la nature tenant d'une main ses principes, qui seuls peuvent donner à des phénomènes concordants l'autorité de lois, et de l'autre les expériences qu'elle a instituées d'après ces mêmes principes. Elle lui demande de l'instruire, non pas comme un écolier qui se laisse dire tout ce qui plaît au maître, mais comme un juge qui a le droit de contraindre les témoins à répondre aux questions qu'il leur adresse. La physique est donc redevable de l'heureuse révolution qui s'est opérée dans sa méthode à cette simple idée, qu'elle doit, je ne dis pas imaginer, mais chercher dans la nature, conformément aux idées que la raison même y transporte, ce qu'elle veut en apprendre, mais ce dont elle ne pourrait rien savoir par elle-même. C'est ainsi qu'elle est entrée dans le véritable chemin de la science, après n'avoir fait pendant tant de siècles que marcher à tâtons.".
Je ne suis pas du tout convaincu que l'approche démiurgique choisie par la physique moderne puisse permettre de fournir des preuves de l'existence de Dieu.
(1) au sens de l'anthropologue Descola.
jc
15/11/2021
1 L'inversion deleuzienne
À la lecture de cet article duquel je retire une sorte de volonté déconstructrice de l'UE qui peut être perçue comme une volonté suicidaire, j'ai aussitôt pensé à "nos" philosophes déconstructeurs et, en premier lieu, à Derrida. Actionnant le moteur de recherche du site j'ai retrouvé l'article où je cherchais la citation derridienne que j'avais en vue, mais suis d'abord tombé sur Deleuze (1), son nom étant accolé à celui d'inversion, le sujet du jour:
"Voici ce passage, qui vaut témoignage d’une belle pensée, où Mattei démonte l’inversion opérée par Deleuze (dito, le “nain haineux”) de l’Eternel Retour de Nietzsche :
«Le parasite ontologique utilise alors sans vergogne l’Eternel Retour nietzschéen afin de simuler la philosophie de la maîtrise et faire triompher les fantasmes. Très remarquable à cet égard apparaît la vision deleuzienne de l’Eternel Retour, qui dénature complètement l’intuition de l’auteur de “Zarathoustra” pour en faire un instrument de combat contre la maîtrise elle-même. Désormais l’Eternel Retour (répétition vêtue, verticale, asymétrique) n’affirme plus un oui sacré à l’existence mais un “non” haineux à tout ce qui se hausse, à tout ce qui s’élève ; il ne chante plus le retour du Même mais son errance. Que Nietzsche parle nommément de l’“Eternel Retour du Même” demeure indifférent au nain qui aplatit toutes choses, expulse et dépèce l’esquisse d’une simple identité… ».
J'ai retrouvé Derrida ailleurs (2) :
"« …Chaque fois que j’écris quelque chose … Que j’avance dans des espaces où je ne m’étais pas aventuré, ce qui implique des actes qui peuvent sembler agressifs à l’égard de penseurs, ou de collègues… C’est déjà arrivé… Je ne suis pas “polémiqueur” [sic] mais il est vrai que les gestes de type déconstructif ont souvent l’apparence de gestes qui vont déstabiliser, ou angoisser les autres, ou même blesser les autres quelquefois…
» Alors, chaque fois que j’ai fait ce geste là, il y a eu des moments de peur… Pas au moment où j’écris, parce qu’au moment où j’écris, il y a une espèce de nécessité, une espèce de force, plus forte que moi, qui fait que ce que je dois écrire, je l’écris, quelles que soient les conséquences … Je n’ai jamais renoncé à écrire quoi que ce soit parce que conséquences me faisaient peur. Rien ne m’intimide quand j’écris. Je dis ce que je pense qui doit être dit. Bon…
» Cela dit, quand je n’écris pas, quand je ne suis pas en train d’écrire, et à un moment très particulier qui est le moment où je m’endors… When I have a nap and I fall asleep … A ce moment-là, dans un demi-sommeil, je suis effrayé par ce que je suis en train de faire, et je me dis “mais tu es fou, tu es fou d’écrire ça, tu es fou de t’attaquer à ça, tu es fou de critiquer telle ou telle personne, tu es fou de contester telle ou telle autorité, que ce soit une autorité textuelle, une autorité institutionnelle, une autorité personnelle”... Et il y a une sorte de panique , dans un subconscient, comme ça, une sorte de panique, comme si … comme si, à quoi est-ce que je peux comparer ça ? Imaginez un enfant qui fait une chose honteuse, il a fait une chose honteuse, bon… Il y a les rêves d’enfant de Freud, où l’enfant se promène nu, vous savez les rêves où l’on se promène tout nu, et puis l’on est effrayé parce que tout le monde voit que vous êtes nu … Bon… Dans ce demi-sommeil, j’ai l’impression que j’ai fait une chose criminelle, honteuse, inavouable, quelque chose que je n’aurais jamais du faire… Et quelqu’un est en train de me dire : “Mais tu es fou de faire ça !” … Et c’est l’évidence même, je le crois dans mon demi-sommeil, je le crois… Et donc, l’ordre qui est évident dans cela, c’est “Arrête tout, retire ça, brûle tes papiers… Ce que tu viens de faire est i-na-dmi-ssible !” Mais dès que je me réveille, c’est fini.
» Ca veut dire que… Je l’interprète comme ça, ça veut dire que quand je suis éveillé, conscient, au travail, etc., je suis d’une certaine manière plus inconscient que dans un demi-sommeil… Dans un demi-sommeil, je, je… il y a une certaine vigilance qui me dit la vérité, à savoir que ce que je fais c’est très grave, d’une certaine manière … Mais quand je suis éveillé et au travail, cette vigilance-là est en sommeil. Elle n’est pas la plus forte, et donc je fais ce qui doit être fait… »
(Je retrouve ici un des mes thèmes favoris : celui du khaos néguentropique d'Héraclite qui, pour moi, mène à la singularité de l'harmonie suprême des contraires -reconstitution du centre organisateur, de la lignée germinale-, qui s'oppose à son inverse qui est le chaos entropique où les conflits s'éteignent dans l'insignifiance de la régularité du néant.)
2. Le bon sens paysan.
C'est qu'avant de reconstruire, il faut d'abord déconstruire. Mais pourquoi déconstruire quand, visiblement, "nos" dirigeants (et"nos" wokenistes) n'ont aucune idée de ce qu'il faut reconstruire derrière?
Peut-être apprendra-t-on un jour que les principaux dirigeants de l'UE sont "subventionnés" par d'autres qui, tapis dans l'ombre, savent eux ce qu'ils font et pourquoi ils le font?
Peut-être les socio-psychologues nous donneront-ils une explication plausible?
Peut-être sera-t-on amenés à tirer la conclusion que ces dirigeants sont des sots?
Peut-être que les dirigeants européens (et français) sont-ils agis plus qu'ils n'agissent, comme l'a observé Maistre à propos de notre grande révolution -citation qui revient sporadiquement sous la plume de PhG-?
“On a remarqué, avec grande raison, que la Révolution française mène les hommes plus que les hommes la mènent. Cette observation est de la plus grande justesse… [...] Les scélérats mêmes qui paraissent conduire la révolution, n'y entrent que comme de simples instruments; et dès qu'ils ont la prétention de la dominer, ils tombent ignoblement.”.
Nos dirigeants dans cette grande crise : marionnettes d'un jeu qui les dépasse? Thom :
"Les situations dynamiques régissant l'évolution des phénomènes naturels sont fondamentalement les mêmes que celles qui régissent l'évolution de l'homme et des sociétés."
(1) : https://www.dedefensa.org/article/inconnaissance-et-climat-derrida-deleuze-cie-1
(2) : https://www.dedefensa.org/article/la-revelation-de-jacques-derrida
Auguste Vannier
15/11/2021
Note étonnante de la part de Ph.Grasset qui nous a habitué à plus de hauteur et de lucidité. Ce passage dans le "Mélenchon-bashing" est-elle le signe d'une entrée dans une campagne électorale qui s'avère si peu relever du débat de fond?
L'accusation de "Wokenisme" est en passe de jouer le même rôle que celle de "Complotisme": éviter les questionnements légitimes et le vrai débat sur les problèmes qui font le quotidien des citoyens.
S'il vous plaît, Ph.Grsset ne tombez pas là dedans, ou alors restez-en à l'ironie que vous maniez si bien à l'égard ds américanistes.
jc
15/11/2021
Frédéric Mathieu :
"Newton est un philosophe, au même titre que Platon, Socrate, qui étaient à la fois des philosophes, des physiciens, des moralistes.".
Autrement dit, du temps de Newton, un philosophe était alors quelqu'un qui était perçu par ses contemporains pour sa capacité à dominer la pensée de son époque. Avec l'augmentation des connaissances (1) cette prétention à dominer la pensée de son temps devient évidemment de plus en plus difficile à réaliser. Ainsi il me semble que, déjà à l'époque de Kant, ce n'était plus le cas, la coupure galiléenne commençant à faire son effet par un divorce de plus en plus prononcé entre science -au sens moderne- et philosophie traditionnelle, divorce actuellement assez béant. Pour moi, sans surprise pour ceux qui ont le courage de parcourir mes commentaires, René Thom est l'un des rares (des rarissimes?) tels penseurs contemporains. Quelques citations de penseurs contemporains (étiquetés philosophes ou non):
- Hawking;
"Hawking soutient dans une conférence en 2011 que la philosophie est morte, et que : « Les philosophes n'ont pas suivi les développements modernes de la science. Particulièrement la physique » (en anglais : Philosophers have not kept up with modern developments in science. Particularly physics). Les philosophes ont été selon lui remplacés par les scientifiques pour répondre aux grandes questions sur l'univers et le temps : « Les scientifiques sont devenus les porteurs du flambeau de la découverte dans notre quête de la connaissance » (Scientists have become the bearers of the torch of discovery in our quest for knowledge)." (Wiki) :
- Lévi-Strauss:
"En 1934, lassé de plusieurs années d'engagement politique autant que de la philosophie institutionnelle, Lévi-Strauss abandonne son activité militante et recherche activement un poste d'ethnologue, qu'il obtient au Brésil au début de 1935. Il conservera toute sa vie de ce basculement de carrière une double aversion, pour la politique autant que pour la philosophie. Ce « compte à régler » avec les philosophes reviendra en force dans le « Finale » de l’Homme Nu (tome IV des Mythologiques) où Lévi-Strauss affirmera ne pas avoir « de philosophie qui mérite qu'on s'y arrête […]. Contraire à toute exploitation philosophique qu'on voudrait faire de mes travaux, je me borne à signifier que, à mon goût, ils ne pourraient, dans la meilleure des hypothèses, contribuer qu'à une abjuration de ce qu'on entend aujourd'hui par philosophie ». (https://fr.wikipedia.org/wiki/Claude_L%C3%A9vi-Strauss#Le_rejet_pr%C3%A9coce_de_la_philosophie_classique) ;
-Onfray:
1. "La philosophie est une activité urbaine; (...) Toute la philosophie? Non, la philosophie dominante essentiellement. car les marges philosophiques qui me plaisent et me nourrissent montrent que la pensée peut aussi être une quintessence des champs." (Cosmos, conclusion)
[2. "Il s'agit de permettre à chacun de se mettre au centre de lui-même - tout en sachant que le cosmos s'y trouve déjà" (dernière phrase de la conclusion de Cosmos) (2).]
- Thom :
1. "Il était de bon ton – il l'est encore sans doute – dans les milieux scientifiques, de dauber sur la philosophie. Et cependant, qui pourrait nier que les seuls problèmes réellement importants pour l'homme sont des problèmes philosophiques ? Mais voilà, les problèmes philosophiques, étant les plus importants, sont aussi les plus difficiles ; dans ce domaine faire preuve d'originalité est très difficile, a fortiori découvrir une nouvelle vérité. C'est pourquoi la société, fort sagement, a renoncé à subventionner les recherches sur des sujets philosophiques, où le rendement est trop aléatoire,
pour consacrer son effort à la recherche scientifique, où, Dieu merci, il n'est pas besoin d'être un génie pour faire « œuvre utile »." ;
2. "(...) si la science progresse, c'est en quelque sorte par définition. Alors que l'art et la philosophie ne progressent pas nécessairement, une discipline qui ne peut que progresser est dite scientifique. De là on conclura que le progrès scientifique, s'il est inévitable, ne peut être le plus souvent qu'illusoire." ;
3. C'est dans cette voie de l'élaboration de nouvelles formes d'intelligibilité que je verrais la tâche essentielle d'un philosophe de la nature. On a peut-être trop vite condamné la Naturphilosophie allemande dont l'acquis scientifique n'a pas été aussi négligeable que les tenants de l'expérimentalisme au 19ème siècle (à la suite de Helmholtz) ont voulu nous le faire croire ; c'est dans le rôle d'élaboration et de justification de l'intelligibilité en Science que je verrais volontiers la fonction essentielle d'un tel philosophe." ;
4. "Finalement, le problème de la démarcation entre scientifique et non scientifique n'est plus guère aujourd'hui qu'une relique du passé ; on ne le trouve plus guère cité que chez quelques épistémologues attardés – et quelques scientifiques particulièrement naïfs ou obtus." ;
5. "(...) Les Philosophes ont abandonné aux savants la Phusis et se sont repliés dans la forteresse de la subjectivité. Il leur faut réapprendre la leçon des Présocratiques, rouvrir les yeux grands sur le monde, et ne pas se laisser impressionner par l'expertise souvent dérisoire d'insignifiance de l'expérimentateur. Inversement la science doit réapprendre à penser." ,
6. J.-A. Miller : — Pouvez-vous différencier l'accueil fait à votre théorie selon les disciplines ?
R. Thom : — Jusqu'à présent, il n'y a pas eu réellement d'application par des professionnels. Le seul modèle est celui de la dénaturation des protéines en biologie, et ce n'est pas tout à fait de la biologie. Tout l'aspect philosophique a été jusqu'à présent laissé de côté, et d'ailleurs largement incompris. Ce qu'il en sortira, je n'en sais rien. J'ai personnellement beaucoup d'espoir que cela permettra une renaissance de la philosophie naturelle, et que l'on pourra de nouveau spéculer dans les sciences. Jusqu'à présent on n'a pas pu, parce qu'il y a ce tabou qu'il faut toujours trouver des choses vérifiables par l'expérience. On n'ose pas spéculer en science, c'est considéré comme irrelevant, et stupide, et dangereux. Qu'on accepte l'idée qu'une certaine forme de spéculation est possible il y aura un effet libérateur considérable. Et en même temps, ça permettra de lisser un peu la distinction entre science et philosophie." .
(1) Étymologiquement: des sciences.
(2) Phrase que j'ai aussitôt rapprochée de la fin de l'épilogue de SSM : "... en écrivant ces pages j'ai acquis une conviction; au cœur même du patrimoine génétique de notre espèce, au fond insaisissable du logos héraclitéen de notre âme, des structures simulatrices de toutes les forces extérieures agissent, ou en attente, sont prêtes à se déployer quand ce deviendra nécessaire. La vieille image de l'Homme microcosme reflet du macrocosme garde toute sa valeur: qui connaît l'Homme connaîtra l'univers. Dans cet essai d'une Théorie générale des modèles [sous-titre de SSM], qu'ai-je fait d'autre, sinon de dégager et d'offrir à la conscience les prémisses d'une méthode que la vie semble avoir pratiquée dès son origine?"
jc
13/11/2021
En prélude à un éventuel commentaire à venir sur l'article "Le charme discret de l'inversion".
[Pour introduire le présent commentaire je remarque l'inversion "Borrolé" au lieu de "Bolloré" dans les tags qui apparaissent lorsqu'on lance le moteur de recherche du site sur l'article ici commenté.]
Thom a écrit un article intitulé "Philosophie de la singularité" qui figure dans le recueil "Apologie du logos" dont je cite le dernier paragraphe car celui-ci indique la façon dont je vois l'inversion :
"Cette opposition entre une singularité créée comme un défaut d'une structure propagative ambiante, ou une singularité qui est source de l'effet propagatif lui-même pose un problème central qu'on retrouve pratiquement à l'intérieur de presque toutes les disciplines scientifiques. La Physique contemporaine admet plutôt le premier (1) aspect : la particule est source d'un champ qu'elle génère ; Einstein, en Relativité Générale, verra plutôt dans la particule la singularité d'une métrique de l'espace-temps. On
retrouve ici cette aporie fondamentale du continu et du discret qui est au cœur de la mathématique. On retrouvera cette même aporie jusqu'en psychologie : est-ce que nous parlons parce que nous pensons, ou au contraire est-ce que nous pensons parce que nous parlons ?"
Pour moi, avant de décider du bon sens, il faut s'efforcer d'inverser le sens que l'on a privilégié (instinctivement, intuitivement, culturellement, rationnellement ...) avant de décider lequel est le bon -ou le meilleur, ou le moins mauvais… -, sans perdre de vue que le bon sens est fluctuant, car pouvant s'inverser selon le lieu et l'époque, comme on le constate avec le phénomène des marées. Dans un conflit binaire Il faut selon moi systématiquement s'efforcer de se mettre successivement dans la peau de chacun des actants (2). Ainsi, en Physique moderne, Thom prend résolument le parti du Einstein de la relativité générale (3) et voit les corpuscules comme des singularités, des maladies de l'espace-temps initialement lisse et immaculé.
Pour moi la question est de savoir si le bon sens va de l'antériorité ontologique vers la postérité ontologique ou l'inverse:
- la forme vers la matière ou l'inverse (4) ?
- le Verbe avant la chair ou l'inverse (5) ?
- la puissance vers l'acte ou l'inverse ?
- le continu vers le discret ou l'inverse ?
Dans le dernier cas Thom a tranché en faveur du continu -et moi à sa suite- avec l'argument qu'on peut générer du discret à partir du continu grâce à la notion de singularité alors qu'il semble impossible de générer du continu à partir du discret (selon moi on peut tout au plus générer du contigu) (5).
(1) Il me semble qu'il s'agit plutôt du second (inversion thomienne inconsciente?).
(2) Thom : "L'intelligence est la capacité de s'identifier à autre chose, à autrui.".
(3) Cf. ES.
(4) Daniel-Rops (à propos du "Balzac" de Rodin) : "Dans cette lutte prodigieuse entre la matière rétive et la volonté créatrice." PhG a annoncé qu'il ferait de cette citation l'un des pôles du tome III de "La Grâce…".
(5) le pape François a édicté en principe: "La réalité est supérieure à l'idée".
(5) Pour Guénon le continu et le discret sont des quantités (cf. "Le règne de la quantité...", chap. II). Pour Thom c'est l'opposition discret/continu qui domine la pensée (et non l'opposition matière/forme comme il m'apparaît de ce que j'ai lu de l'œuvre de Guénon).
jc
13/11/2021
Je complète le .0 par deux citations qui illustrent la coupure galiléenne vue comme une opposition phusis vitaliste/physique mécaniste, et suggèrent le travail à accomplir -selon moi- par les philosophes de la nature pour refermer cette coupure qui recoupe(!) la coupure qui est en train de s'opérer entre le scientisme profane, technologiste et la transhumaniste d'une part et le cœur de la véritable Science, que je vois peut-être pas si éloignée que ça de la science sacrée dont parle Gguénon. J'ai déjà plusieurs fois reproduit ces citations en commentaires sur ce site, la première figurant en épigraphe d'un chapitre de SSM, la seconde due à l'acteur Bernard Giraudeau :
« Le mécanisme de n'importe quelle machine, une montre par exemple, est toujours construit de manière centripète, c'est à dire que toutes les parties de la montre, aiguilles, ressorts, roues, doivent d'abord être achevées pour être ensuite montées sur un support commun.
Tout au contraire la croissance d'un animal, tel le triton, est toujours organisée de manière centrifuge à partir de son germe; d'abord gastrula il s'enrichit ensuite de nouveaux bourgeons qui évoluent en organes différenciés.
Dans les deux cas, il existe un plan de construction; dans la montre, il régit un processus centripète, chez le triton, un processus centrifuge. Selon le plan les parties s'assemblent en vertu de principes opposés. » (J.V. Uexkull, Théorie de la signification) ;
"Il y a peu, une équipe de recherche plus hardie a voulu en savoir plus sur la pharmacopée amazonienne. Ils ont demandé aux shamans comment ils pouvaient reconnaître la bonne plante sans l'expérimenter sur les hommes et faire quelques dégâts. Les shamans ont répondu: on n'a pas besoin de tuer les animaux pour savoir si une herbe ou une racine est efficace. Alors comment faites-vous? Nous nous asseyons devant la plante choisie, en silence, le temps nécessaire, et elle nous parle. Les chercheurs sont repartis marris." (Cher amour, p.40) .
jc
13/11/2021
Après relecture du .0 je dois distinguer le cas cyclique (qu'indique la Tradition, au moins en ce qui concerne les civilisations) du cas non cyclique (la position de Thom).
Position de Thom.
Un entretien entre Paul Nimier et Thom (1) se termine par :
"- N: Et au cours de votre scolarité est-ce que c'était, sous une forme ou sous une autre, des problèmes [la théorie des singularités] qui vous intéressaient ?
- T: Oh ! à ce moment-là, j'étais beaucoup plus scolaire, je pense. Je ne me souviens pas d'avoir pensé des choses sous cette forme '.
Mais je me souviens que vers dix-sept ans, j'ai commencé à m'intéresser à la dynamique. Je ne me souviens plus à quelle occasion j'avais remis un papier à mon professeur de math-élem, où je parlais de l'éternel retour vu d'un point de vue dynamique, les théories de l'éternel retour ...
C'était l'idée qu'on pouvait avoir un espace-temps, un univers dans lequel il y aurait l'éternel retour, c'est-à-dire où la dynamique serait périodique, mais je crois que c'est à peu près la première fois que j'ai réellement pensé les choses en terme de dynamique ...".
Il ne fait guère de doute pour moi que l'adulte a évolué par rapport à l'adolescent. Deux citations vont pour moi dans ce sens:
1. "Aristote a dit du germe, à la naissance, qu'il est inachevé. On peut dès lors se demander si tout en haut du graphe on n'a pas quelque chose comme un fluide homogène indistinct, ce premier mouvant indifférencié décrit dans sa Métaphysique; que serait la rencontre de l'esprit avec ce matériau informe dont sortira le monde? Une nuit mystique, une parfaite plénitude, le pur néant? Mais la formule d'Aristote suggère une autre réponse, théologiquement étrange: peut-être Dieu n'existera-t-il pleinement qu'une fois sa création achevée: "Premier selon l'être, dernier selon la génération"." (ES, p.216) ;
2. "(...) il m'est difficile de voir pourquoi un être pleinement différencié ne pourrait être immortel." .
Mais Thom a, je crois, conscience que cet perfection n'est atteinte qu'au bout d'un temps infini, à la fin d'un nombre infini de cycles dont la répétition donne l'impression d'un éternel retour mais qui progresse vers un état cosmique parfait fait d'ordre, d'harmonie et d'équilibre. Citation allant dans ce sens:
"(...) il y a une certaine incompatibilité entre l'immortalité de l'individu et les possibilités évolutives ultérieures de l'espèce. La mort serait alors le prix à payer pour préserver toutes les possibilités de perfectionnement futur de l'espèce.".
Position traditionnelle (selon ce que j'ai tiré de la lecture de Guénon)
C'est, je crois, plutôt la position d'un éternel retour. Dans ce cas l'état cosmique d'ordre, d'harmonie et d'équilibre ne peut être atteint à la fin du cycle car la fin du cycle est la fin de "l'âge de fer. cosmique". Si on fait l'hypothèse d'une respiration au cours du cycle, d'abord expansion-régularisation qui s'achève à mi-cycle par un acmé cosmique d'ordre, d'harmonie et d'équilibre (relatifs car imparfaits), suivi par une contraction-singularisation qui se termine à la toute fin de l'âge de fer par une implosion qui devient quasi instantanément une explosion (quand les morceaux se croisent!), explosion qui ouvre un nouveau cycle d'expansion/contraction. C'est en gros, je crois, le modèle civilisationnel que propose François Roddier(1), modèle qui s'accorde bien, selon moi, avec le modèle thomien du lacet de prédation impliquant la catastrophe fronce.
En ce qui concerne les sociétés humaines Thom dit à Jean-Luc Godard -qui l'interviewe (volontairement?) horriblement mal (2)- qu'il ne fait pas de doute que dans les sociétés c'est la fonction qui crée l'organe. Personnellement je tempère en : dans les sociétés jeunes, en cours d'organisation, c'est la fonction qui crée l'organe. Car je pense que plus les sociétés vieillissent plus elles se rigidifient, plus c'est la structure qui s'impose à la fonction, ce qui gêne l'adaptation et se termine inéluctablement par la rigidification ultime, cadavérique : la mort (3).
(1) https://www.dedefensa.org/article/vers-un-effondrement-de-civilisation
(2) https://www.youtube.com/watch?v=B1t_o_CMA_E (40') . Thom fera du film le compte-rendu suivant : « Quand Jean-Luc Godard est venu me filmer à mon Institut, je m’attendais à être traité selon l’hagiographie traditionnellement en usage à l’égard des célébrités de la science. Il n’en fut rien et je fus fort déconcerté ; les questions posées étaient d’une grande platitude et ne prêtaient à aucun développement (…). Quinze mois plus tard, j’eus enfin l’occasion de visionner René(e). Ce fut pour découvrir, sous un habillage irrévérencieux et souvent étonnant, une sorte de fidélité profonde à ce qui aurait pu être mon message. »
(3) L'irruption du e-commerce illustre mon propos : Amazon en pleine jeunesse met en faillite les anciennes formes de commerce par correspondance (La Redoute, Les trois Suisses) et les anciennes entreprises de transport des lettres et paquets (typiquement La Poste) peinent à s'adapter face aux nouvelles entreprises nées avec l'apparition du e-commerce. L'athée Michel Onfray fait ce genre d'analyse pour le catholicisme. À ce propos il m'apparaît de plus en plus nettement que l'ordinateur a sur notre société de plus en plus mondialisée un énorme pouvoir rigidifiant.
jc
12/11/2021
Au début de son entrevue avec Charles Robin Frédéric Mathieu commence par rappeler ce qu'on entendait par philosophie naturelle à l'époque de Newton et, à la façon dont il parle de ses études de philosophie, on peut se demander s'il ne regrette pas l'absence de cursus de théoréticien/métaphysicien qui couvrirait à la fois les mathématiques et la physique théorique actuelle, la physique aristotélicienne -la phusis- et la théologie (1).
Thom se revendique explicitement comme philosophe de la nature, très certainement, selon moi, au sens où Newton concevait la chose. Il a écrit à ce sujet un article qui figure dans son "Apologie du logos" intitulé "La philosophie naturelle : une quête de l'intelligible" et est revenu à maintes reprises sur le sujet. Un point pour lui fondamental est que le philosophe de la nature tel qu'il le conçoit ne saurait être démarcationniste car il s'agit pour lui de refermer la coupure galiléenne qui a séparé la science moderne de la philosophie :
"Le « philosophe de la nature » que j'envisage aura un point de vue résolument anti-démarcationniste. On peut imaginer un spectre quasi continu joignant les assertions les plus solidement établies (par exemple un théorème de mathématique) aux affirmations les plus délirantes. La pratique de notre épistémologue peut être ainsi décrite. Partant des points de contact obligés entre science et philosophie, il s'efforcera d'épaissir l’interface entre science et philosophie ; il sera donc philosophe en sciences, et scientifique en philosophie." ;
"C'est plutôt dans ce rôle du gardien de l’intelligible que je verrais essentiellement sa fonction [de notre philosophe de la nature]. Lutter continuellement contre les dérapages pragmatistes qui tendent à gauchir nos prégnances et à créer des significations abusives ou factices, telle est, je crois, la fonction centrale de notre philosophe. Fonction à coup sûr difficile, car elle l'oblige à se mettre constamment à contre-courant des flux locaux d'intérêts qui agitent la communauté des savants. Avoir raison trop tôt, c'est bien souvent avoir tort dans l'immédiat. Il lui faudra accepter une fois pour toutes les conséquences de ce choix"."
À mon niveau de formaté-scientifique il s'agit de renouer les liens brisés à la coupure galiléenne entre la démiurgique physique moderne et l'antique physique aristotélicienne, c'est-à-dire l'herméneutique phusis telle que Thom la conçoit. Dans mon précédent commentaire sur les singularités j'ai noté des analogies entre les points de vue de Thom et de Hawking. Je rajoute ici une autre passerelle possible entre la théorie du tout qui a essentiellement occupé Hawking à la fin de sa vie et la théorie des catastrophes, qui pourraient se retrouver dans la classification ADE des systèmes de racines , le système E8, lié au dodécaèdre régulier (solide que Platon associe à sa quinte essence) étant peut-être pas trop éloigné de la solution cherchée par Hawking (2), alors que, par un théorème du mathématicien russe Arnold, les sept catastrophes élémentaires thomiennes sont liées à A2, A3, A4, A5, D4 (+ et -) et D5 (3).
Les points de contact avec la philosophie ne sont pas mon rayon mais les appels de Thom en direction des philosophes ne manquent pas dans son œuvre (7).
Avec cette idée en tête de philosophie naturelle, je me demande, à la lecture de son "Cosmos", si ce n'est pas ce que recherche également Michel Onfray, résolument matérialiste tendance vitaliste -et non mécaniste- (l'existence implique pour lui l'essence), nominaliste et atomiste, à peu près exactement l'opposé de là où j'essaye de me maintenir (matérialiste tendance vitaliste, conceptualiste tendance réaliste-platonicien et continuiste). Dans la partie 4 intitulée Cosmos il adopte le point de vue de son ami Jean-Pierre Luminet et de ses multivers "chiffonnés" qui, renseignements pris en fouillant sur la toile, me semblent assez proches de E8 puisqu'y apparaît un dodécaèdre (et donc potentiellement solutions du problème que se posait Hawking) (4)(5).
Peut-être que dans un temps pas trop lointain se constituera un noyau de philosophes de la nature médiatiquement visibles qui réussiront à capter l'attention des grands médias et les gens pour briser le plafond de verre qui fait écrire à PhG : "l’on pourrait faire l’hypothèse que nombre de forces scientifiques en place ne tiennent en aucun cas qu’un tel phénomène (l'existence de philosophes de la nature comme le Newton ésotérique] soit mis en pleine lumière.".
Frédéric Mathieu écrivant sur Thom un bouquin dans le ton de la thèse qu'il est en train d'écrire sur Newton? Michel Onfray se convertissant à la philosophie naturelle et au continuisme -tel Paul sur le chemin de Damas- pour en faire autant (6)?
(1) :Mathieu "Je me suis approché de la philosophie plus par défaut que par réel choix parce que je pensais que ceci me permettrait de faire des synthèses entre les différentes branches de la connaissance. Je pensais que la philosophie avait cette qualité, en fait, de se pencher par dessus les disciplines et de tirer des généralités dont on pourrait tirer, dans un ordre supérieur, des enseignements pour une vie, pour l'existence, etc. Cela n'a pas tout-à-fait été ce que j'ai vécu lorsque j'ai fait mes premières études de philosophie."
(2) Cf. plus loin à propos de Jean-Pierre Luminet.
(3) Cf. la fin du chapitre 5 de http://www.entretemps.asso.fr/maths/ecole.pro.pdf
(4) https://en.wikipedia.org/wiki/Root_system
(5) Tout ce qui est dit ici déborde largement et ma partie et mon niveau…
(6) J'en doute un peu mais sait-on jamais.
(7) J'ai été étonné (c'est un euphémisme) que Régis Debray ne parle pas dans son "Éloge des frontières" des axiomes thomiens ABP (l'Acte est le bord de la Puissance) et FBM (la Forme est le Bord de la Matière).
jc
12/11/2021
[ À ceux qui croient en leurs intuitions -éventuellement hautes-, je prolonge ici mon commentaire sur l'infini en citant la conclusion de l'exposé de Dehornoy (à partir de 58'20), citation qui, selon moi, conforte en quelque sorte l'option du pari pascalien :
"Même si on ne croit pas à l'existence de l'infini (...) il serait regrettable de se priver des intuitions qu'il apporte.".
Cette version de l'exposé n'est pas si courte que ça -contrairement à ce que j'ai annoncé- car l'auteur s'y met en scène (contrairement aux versions antérieures, beaucoup plus concises, mais moins vivantes ).]
Le mot est à la mode mais polysémique : la singularité des technologues est "l'hypothèse selon laquelle l'invention de l'intelligence artificielle déclencherait un emballement de la croissance technologique qui induirait des changements imprévisibles dans la société humaine. " (Wiki). Ce n'est pas celle de philosophes comme Chantal Delsol (1) ni celle des mathématiciens et des physiciens sur lesquels je concentre la suite de ce commentaire.
En physique théorique il y a singularité soit lorsqu'une quantité devient infinie ou indéfinie. C'est également le cas en mathématiques mais les matheux -Thom en particulier- considèrent également comme singulières les valeurs de fonction dérivable -ou, plus généralement, différentiable- pour lesquelles la dérivée s'annule -plus généralement où la différentielle n'est pas de rang maximal- (2). Les valeurs singulières sont des valeurs au voisinage desquelles il y a en général changement qualitatif de la fonction (3).
À la lecture de la fiche Wiki de S. Hawking je découvre que celui-ci a élaboré avec Penrose des théorèmes sur l'existence de singularités gravitationnelles puis cosmologiques conduisant à l'inéluctabilité d'une singularité primordiale de l'univers à l'origine des temps ou à l'origine d'un cycle "universel" (4). Cela me conforte dans l'idée d'un Dieu-Khaos-yin singulier tout-en-puissance (tout-puissant) à l'origine des temps (ou d'un cycle) qui s'actualise progressivement (comme la graine germe pour devenir fleur) au cours des temps (ou du cycle) par mise en ordre progressif du chaos initial -autrement dit par régularisation de la singularité initiale-pour aboutir à la fin des temps (ou du cycle) à un Dieu-Cosmos-yang (5) tout-en-acte, comme le pense -je crois- Thom : "Aristote a dit du germe, à la naissance, qu'il est inachevé. On peut dès lors se demander si tout en haut du graphe [de Porphyre] on n'a pas quelque chose comme un fluide homogène indistinct, ce premier mouvant indifférencié décrit dans sa Métaphysique; que serait la rencontre de l'esprit avec ce matériau informe dont sortira le monde? Une nuit mystique, une parfaite plénitude, le pur néant? Mais la formule d'Aristote suggère une autre réponse, théologiquement étrange: peut-être Dieu n'existera-t-il pleinement qu'une fois sa création achevée: "Premier selon l'être, dernier selon la génération"." (ES p.216)
(1) Cf. le résumé de son "Éloge de la singularité".
(2) Les autres valeurs sont bien naturellement qualifiées de régulières.
(3) Les plus allergiques aux mathématiques n'ont sans doute pu éviter dans leur cursus les tableaux qui expriment les changements de variation d'une fonction (croissance ou décroissance) au voisinage d'un point où la dérivée s'annule.
(4) Puisque Frédéric Mathieu parle des intuitions/analogies érotiques du Newton ésotérique (théologien et alchimiste), je ne peux m'empêcher de citer ici l'origine du monde selon Courbet.
(5) Une étymologie couramment acceptée de cosmos est : ordre (voire ordre, harmonie, équilibre…).
jc
12/11/2021
L'infini n'effraie plus les mathématiciens et les physiciens théoriciens contemporains (les querelles philosophiques lors de l'apprarition du calcul infinitésimal ayant été oubliées…).
Cependant, bien que le calcul infinitésimal soit à la base de la topologie différentielle, de la théorie des singularités et de la théorie ds catastrophes Thom l'herméneute répugne à l'utilisation de l'infini (1) et insiste sur le fait que le seul calcul infinitésimal ne suffit pas pour résoudre les paradoxes de Zénon et donc pour comprendre le mouvement et le changement alors qu'au contraire les physiciens démiurges -c'est-à-dire les physiciens théoriciens- en raffolent (2). Citation thomienne à l'attention des mathématiciens et physiciens démiurges:
"En plaquant ainsi sur le monde l'infini mathématique, l'homme ne fait-il pas preuve de la même présomption inconsciente que le magicien primitif qui commandait aux Dieux… ?
Le protoptype du mathématicien démiurge est pour moi Cantor qui a postulé pour sa théorie des ensembles l'existence "en acte" d'un nombre entier infini, plus grand que tous les nombres entiers usuels et en quelque sorte dieu transcendant car inaccessible à partir d'eux par les opérations usuelles (addition, multiplication, exponentiation, etc.). J'ai du mal à me sortir de la tête que Cantor et Gödel -qui a passé beaucoup de temps à la fin de sa vie à tenter de prouver formellement l'existence de Dieu- ont tous deux sombré dans la folie parce qu'il ont eu la présomption de vouloir commander aux dieux. À ce propos il est pour moi piquant de voir le philosophe résolument athée Alain Badiou, platonicien selon ses dires, est fasciné par la théorie des ensembles en général et la théorie des grands cardinaux -euphémisme pour ne pas parler de grands dieux- en particulier (3), (4).
(1) Thom insiste sur le fait que le seul calcul infinitésimal ne suffit pas pour résoudre les paradoxes de Zénon et donc pour comprendre le mouvement et le changement, un atomiste ne peut résoudre le problème, il faut être continuiste : "Et peut-être faudra-t-il renverser l'interprétation traditionnelle des paradoxes des Eléates. Ce n'est pas le continu qui fait problème, mais bien le continu, dans sa réalisation d'infini actuel, qui justifie l'infini dénombrable : car, n'est-ce pas, Achille finit par dépasser la tortue…". Pour moi le Guénon des deux derniers chapitres de "Les principes du calcul infinitésimal" est à ranger parmi les très rares penseurs du continu.
(2) L'espace de Hilbert (espace hermitien -euclidien complexe- de dimension infinie) est un prérequis des postulats de la mécanique quantique.
(3) Les curieux de ces choses pourront consulter le bref exposé de Patrick Dehornoy : "À quoi sert l'infini en mathématiques?" ( https://streaming.univ-rouen.fr/videos/a-quoi-sert-linfini-conference-de-patrick-dehornoy/ ). On notera que la première citation de l'exposé due à Kronecker s'oppose diamétralement à la citation thomienne de (1). (Thom a d'ailleurs ironisé sur cette citation de Kronecker dans un passage de son article "Les mathématiques modernes : une erreur pédagogique et philosophique?" (Apologie du logos), passage où, précisément, il se pose en penseur du continu face à un mathématicien -banquier à ses heures- penseur du discret.)
(4) Bien que je sois complètement opposé aux idées politiques de Badiou, je lui suis reconnaissant de tenter de renouer avec les traditions pythagoricienne* et platonicienne en considérant que les mathématiques sont partie intégrantes de la philosophie. Ceci dit, je lui reproche une philosophie où je ne perçois aucune naturalité (au sens de la philosophie naturelle de Newton et de Thom). (* Guénon rappelle que le terme de philosophe est apparu pour désigner Pythagore.)
Nicolas Piot
11/11/2021
aucune envie de rentrer dans le débat climatique, où il me semble que la posture de l'inconnaissance reste la plus sage. Et puis Dimitri Orlov me fait bien rire avec ça façon de parler, même si j'ai toujours l'impression de me faire balader en le lisant.
Cependant, annoncer que la glace de l'arctique n'a pas réduit ces dernières années, sans citer de source autre que cette affimation gratuite m'a un peu surpris. J'ai pris le temps de chercher et n'ai rien trouvé qui confirme ceci, au contraire
A part d'entendre parler régulièrement que la fonte des glaces arctiques est une oportunité pour la marine marchande et arrange bien les russes, les données que je trouve sont les suivantes, dont je n'ai pas de raisons de douter :
https://nsidc.org/data/seaice_index
se baser sur des données visiblement fausses pour batir un raisonnement décrédibilise ce dernier, même si par ailleurs il peut être pertinent. Si quelqu'un a des données contraires au miennes qui montent effectivement un accroissemnt de la glace arctique, je suis preneur.
Merci
jc
11/11/2021
La modernité nous présente la coupure galiléenne comme le passage du géocentrisme à l'héliocentrisme. Cette présentation est peut-être intéressée, autrement dit la remarque que fait PhG à propos de la face cachée de l'œuvre de Newton ("l’on pourrait faire l’hypothèse que nombre de forces scientifiques en place ne tiennent en aucun cas qu’un tel phénomène soit mis en pleine lumière") vaut aussi peut-être -voire sans doute- pour la coupure galiléenne.
A la suite de Thom je défends ici l'idée que la véritable coupure galiléenne concerne le passage de l'étude traditionnelle -prégaliléenne- de la nature-phusis, traitée comme vivante (la nature se disait φύσις en grec ancien (1)), à l'étude moderne postgaliléenne, où la nature-physique est traitée comme inerte.
Pour moi Newton a participé activement à cette coupure avec son œuvre majeure (selon la modernité) qui est Philosophiæ naturalis principia mathematica, œuvre qui va dans le sens de la célèbre citation de Galilée selon laquelle le livre de la nature est écrit en langue mathématique (2). Il y a clairement pour moi une coupure entre le Newton 70% phusicien-herméneute, s'intéressant à la qualité et à l'explication, et le Newton 30% physicien-démiurge lançant son orgueilleux "Hypotheses non fingo", s'intéressant à la quantité et à la prédiction.
L'un des buts que se fixe Thom dans son œuvre philosophique est de refermer cette coupure. Citations :
"(...) une vision plus claire du programme métaphysique de la théorie des catastrophes : fonder une théorie mathématique de l'analogie, qui vise à compléter la lacune ouverte par Galilée entre quantitatif et qualitatif." :
"L'ambition ultime de la théorie des catastrophes, en fait, est d'abolir la distinction langage mathématique-langage naturel qui sévit en science depuis la coupure galiléenne." .
Pour ce faire Thom mathématise le concept spinozien d'être structurellement stable ("tout être se doit de persévérer dans son être"), ce qui le conduit à opposer à la "dureté" de la calculabilité une certaine flexibilité qui permet d'espérer pénétrer les sciences "molles" (biologie, sociologie, linguistique en particulier) :
"La physique (avec ses grandes lois classiques) nous a donné l'exemple d'une théorisation « dure », fondée sur le prolongement analytique et permettant le calcul numérique explicite, donc la prédiction. Tout récemment, l'introduction de la théorie dite des catastrophes suggère un autre usage des mathématiques en science : une théorisation « molle », à caractère uniquement local. Une telle modélisation se réduit pratiquement à une théorie des analogies.".
Mais Thom prévient :
"(...) on est fondé à affirmer que stabilité structurelle et «calculabilité» sont, dans une certaine mesure, des exigences contradictoires ; (...) la physique actuelle a sacrifié la stabilité structurelle à la calculabilité ; je veux croire qu'elle n'aura pas à se repentir de ce choix.";
"Le miracle des lois physiques est un miracle isolé, et l'on a payé fort cher en croyant que comprendre les phénomènes était un luxe dont on pouvait fort bien se dispenser, du moment qu'on avait la formule qui permet la prédiction." .
(Il me semble clair que Thom a un faible pour l'approche aristotélicienne, vue généralement comme plutôt matérialiste (3), étant bien entendu qu'il s'agit de phusis traditionnelle, herméneutique et qualitative, et non de physique actuelle, démiurgique et quantitative. Cette approche permet d'entrevoir pour les siècles à venir (dès maintenant?) un matérialisme vitaliste qui viendrait succéder au matérialisme mécaniste qui a cours en Occident depuis la coupure galiléenne (et qui semble gagner l'Orient si on en juge par l'évolution actuelle de l'extrême-orient). Il me semble non moins clair que la voie du transhumanisme est le prolongement "naturel" au XXIème siècle de la voie démiurgique ouverte par la physique mécaniste et que lui opposer une autre approche (celle de Thom) c'est poser les premiers jalons pour la mettre en échec.)
Ce commentaire concernant essentiellement la partie "Newton l'alchimiste", je termine par deux citations thomiennes que l'on peut, selon moi, voir considérer comme "alchimiques", voire théologiques:
"De même qu'on commence à se rendre compte que le génome des Eukariotes est très différent de celui des Prokariotes, parce qu'il ne remplit pas les mêmes fonctions, on pourrait bien un jour s'apercevoir que ce ne sont pas les molécules qui font la vie, mais au contraire la vie qui façonne les molécules." ;
"(...) la science veut construire la vie à partir de la mécanique, et non la mécanique à partir de la vie." (4 ) .
(1) En anglais moderne un physician est un médecin (Wiki : "Around the world the term physician refers to a specialist in internal medicine").
(2) Je ne suis donc pas d'accord avec la formulation de Frédéric Mathieu : « Newton, qu’on dit être au cœur de la révolution scientifique, l’architecte des sciences modernes, n’est pas l’inventeur de quelque chose mais le continuateur d’une tradition. [...] Ainsi, l’on pourrait dire que la véritable révolution newtonienne c’est un retour à la tradition » .
(3) Dans la préface de "Apologie du logos", le philosophe Jean Largeault parle d'un Thom "plutôt matérialiste" (cité de mémoire).
(4) Wiki : "L'intérêt de Newton pour l'alchimie résiderait [selon Richard Westfall] dans une « rébellion » contre les limites restrictives imposées par la philosophie mécaniste ainsi que par la volonté de dépasser le mécanisme de René Descartes." .
Théo Ter-Abgarian
10/11/2021
Quand la sage dit que la surpopulation est LE problème, le fou répond on pourra nourrir, loger tout le monde.
Peu importe la qualité de la vie, qui passe par les paysages, la présence de la faune, de la flore…
jc
10/11/2021
C'est la question que je me pose après la découverte coup sur coup d'une conférence du mathématicien Patrick Popescu-Pampu sur le dynamisme des formes instables (https://www.youtube.com/watch?v=OUerqZrDd_k), conférence dont le moteur est la théorie thomienne des singularités d'une part, et, d'autre part, l'interview du philosophe Charles Robin sur les centres d'intérêt de Newton où l'on découvre un Newton ésotérique s'intéressant à l'explication qualitative bien différent du Newton exotérique s'intéressant à la prédiction quantitative que la modernité tient à nous présenter (1).
Dans l'interview de Robin j'ai noté plusieurs passerelles Newton/Thom, dont :
11'10 : analogies règne animal/règne minéral: sexualité, dévorations, ensemencements, embryologie chtonienne dans le règne minéral. Vision de la nature où, finalement, des phénomènes que l'on va observer dans certains règnes vaudront dans d'autres règnes, et dans certaines échelles vaudront pour des échelles supérieures (analogies microcosme/macrocosme). Je rappelle à ce propos la citation thomienne : "La synthèse ici entrevue des pensées "vitaliste" et "mécaniste" en Biologie n'ira pas sans un profond remaniement de notre conception du monde inanimé" (Une théorie dynamique de la morphogenèse, conclusion, MMM). Je rappelle aussi que la théorie thomienne des catastrophes est une théorie de l'analogie ("la première depuis Aristote", écrit Thom).
13'00 : "Pour Newton Dieu interagit avec la matière avec une interface qui est l'espace pour lui donner son animation.". Thom : "En dépit de mon admiration pour Aristote je reste platonicien en ce que je crois à l'existence séparée (« autonome ») des entités mathématiques, étant entendu qu'il s'agit là d'une région ontologique différente de la « réalité usuelle » (matérielle) du monde perçu. (C'est le rôle du continu — de l'étendue — que d'assurer la transition entre les deux régions.). (Je rappelle que pour Thom "selon de nombreuses philosophies Dieu est géomètre; il serait peut-être plus logique de dire que le géomètre est Dieu.")
20'. "Pour Newton le monde n'est pas animé seulement par une seule force mécanique, il y a aussi une vie qui organise la matière qui s'explique par des esprits actifs qui vont devenir des forces.". Thom échafaude sa Biologie théorique sur le postulat de l'existence de champs morphogénétiques dont les singularités structurellement stables seraient les êtres vivants ; il écrit à ce propos : "La nature ultime dudit champ, savoir s'il peut s'expliquer en fonction des champs connus de la matière inerte, est une question proprement métaphysique ; seule importe au départ la description géométrique du champ, et la détermination de ses propriétés formelles, de ses lois d'évolution ensuite.".
De la conférence de Popescu j'apprends que Newton a fait une classification qualitative des courbes planes cubiques à la façon de la classification connue depuis l'antiquité des courbes quadratiques (en trois classes : ellipse, parabole et hyperbole). Newton trouve plus de 70 classes (il en oublie, paraît-il quelques unes), ce qui montre l'augmentation considérable de la difficulté du problème (problème que l'on retrouve dans les classifications des singularités et des catastrophes élémentaires qu'étudie Thom). On trouve ainsi déjà chez Newton la singularité "bec à bec" (deux fronces face à face) -et Popescu fait l'analogie biologique de la becquée chez les oiseaux- et la singularité "lèvre" (deux fronces -les commissures- dos à dos réunies par deux lignes de plis (les lèvres supérieure et inférieure) privilégiées par Thom car structurellement stables. Thom s'est fait prendre en photo en train d'examiner les singularités de l'écorce d'un tronc d'arbre (chêne ?) où l'on trouve à profusion des "lèvres" et des "bec à bec".
Thom : un nouveau Newton? C'est ce qu'un grand quotidien a titré en 1972 à la sortie de "Stabilité structurelle et morphogenèse", essentiellement à la biologie. Thom un Newton de la biologie? Il se pourrait bien, selon moi, que l'on s'aperçoive un jour (encore lointain…) que c'est effectivement le cas.
En attendant c'est Darwin qui est décrété par la modernité comme étant l'actuel "Newton de la biologie" (Thom a ironisé à ce sujet dans sa préface du livre de Jacques Costagliola "Faut-il brûler Darwin?" (http://j-costagliola.over-blog.com/article-un-programme-pour-la-biologie-theorique-par-rene-thom-medaille-fields-preface-a-faut-il-bruler-darwin-l-harmattan-1995-52930252.html) : "On ne pourra reprocher à notre auteur d’avoir fait preuve de la moindre clémence vis-à-vis d'un « Newton de la biologie ». Son livre est un réquisitoire sans faille de l’Origine des espèces… ", ce qui, selon moi, renvoie à la citation (1) ci-dessous (car que devient le Système si le darwinisme s'écroule?)
(1) Pour moi la citation suivante de PhG concernant Newton vaut également pour Thom, peut-être pour les mêmes raisons (je rappelle à ce propos que Stabilité structurelle et morphogenèse a mis cinq ans avant d'être publié -en 1972 chez Benjamin-) :
"Nombre des documents alchimistes de Newton que mentionne Mathieu sont disponibles en ligne (lui-même, Mathieu, les étudie, préparant un livre sur cette question). Pour autant, l’“image” officielle de Newton n’a changé en rien ; l’on pourrait faire l’hypothèse que nombre de forces scientifiques en place ne tiennent en aucun cas qu’un tel phénomène soit mis en pleine lumière."
patrice sanchez
09/11/2021
Courage fuyons le ciel qui ne devrait pas tarder à nous tomber sur la tête par la grâce des cycles cosmologiques de l'univers !
Cela fait des milliers d'années que ces immondes saigneurs de l'humanité nous maintiennent enchainés dans la caverne de notre ignorance, et avec le moyen de contrôle technologique outrancier des populations ils nous font accroire que nous pourrions nous révolter ! Soyons sérieux, la seule révolte ne peut être qu'individuelle et spirituelle, comme tant d'esprits éclairés l'avaient pronostiqué.
Je me rappelle qu'étant jeune adolescent, j'avais acheté un livre qui m'aura marqué, son titre : La révolte des dauphins !
Eh bien, il faudrait que les humains éclairés fassent comme les dauphins du livre, et qu'ils activent leurs glande Pinéale, cette si divine-humaine glande dont Descartes connaissait l'existence et les propriétés, un mystère d'éternité qui nous viendrait des présocratiques avec le témoignage lumineux de Pythagore, de Platon ... ce qui ouvrirait et offrirait la voie à toutes les espérances de pensées éternelles inspirées par l'univers en partenariat avec nos âmes soeurs éternelles, en même temps qu'une ascension des consciences avec le principe d'intrication " psychologique " quantique qui n'aura pas fini d'émerveiller l'humanité du futur !
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