jc
12/12/2020
[ Plus que jamais sur le divan ] [ Les références à Badiou sont tirées de "L'éloge des mathématiques". ]
Matheux de formation initiale je ne connais rien à l'histoire de la philosophie et n'ai lu que quelques lignes de la métaphysique d'Aristote, précisément celles où il illustre ses concepts de puissance et d'acte (puissance=énoncé du théorème -ouverture du problème-, acte=démonstration du théorème -fermeture du problème- et rangement du théorème démontré dans le grand cimetière des mathématiciens au fronton duquel on peut lire: "Que nul n'entre ici s'il n'est géomètre". J'ai lu (et relu) le passage où Timée expose sa cosmogonie, dans l'espoir de comprendre comment il lie la partie géométrique (l'univers initial est un animal à la forme de boule parfaite, l'important pour moi étant qu'il s'agisse d'un animal) à la partie arithmétique (sans grand succès jusqu'à présent), ma question récurrente étant : pourquoi pas l'arithmétique également au fronton de l'Académie ?
Je suis un philosophe autodidacte ayant débuté sur le tard, dont l'unique source d'inspiration est l'œuvre du philosophe-mathématicien René Thom pour qui c'est l'opposition discret/continu qui domine toute la pensée (l'opposition arithmétique/géométrie dominant les mathématiques, d'où mon interrogation insistante à propos du Timée). À la suite de Thom, je penche pour Héraclite et m'auto-classe pour cette raison parmi les philosophes progressistes, du côté du néo-progressiste (?) Finkielkraut (1) :
« Nous ne disposons plus aujourd’hui d’une philosophie de l’histoire pour accueilli les événements, les ranger et les ordonner. Le temps de l’hégéliano-marxisme est derrière nous. Il est donc nécessaire, inévitable de mettre la pensée à l’épreuve de l’événement et la tâche que je m’assigne, ce n’est plus la grande tâche métaphysique de répondre à la question “Qu’est-ce que ?” mais de répondre à la question “Qu’est-ce qu’il se passe ?”... » , citation dont le "Il est donc nécessaire, inévitable de mettre la pensée à l’épreuve de l’événement" me renvoie irrésistiblement à "L'être et l'évènement" de Badiou.
Pour moi Badiou est un atomiste -il est du côté du discret, de la logique formelle-, comme les illustres crètins (2) Cantor, Gödel et Boltzmann qui ont basculé dans la folie. J'ai personnellement basculé du logique au topologique, et donc du discret au continu en même temps que le millénaire, au moment où j'ai eu connaissance de l'œuvre de Thom, d'où le titre. Voici, par une citation thomienne, à quoi ressemble le basculement :
"(...) il y a une certaine opposition entre géométrie et algèbre. Le matériau fondamental de la géométrie, de la topologie, c'est le continu géométrique ;
étendue pure, instructurée, c'est une notion « mystique » par excellence. L'algèbre, au contraire, témoigne d'une attitude opératoire fondamentalement « diaïrétique ». Les topologues sont les enfants de la nuit ; les algébristes, eux, manient le couteau de la rigueur dans une parfaite clarté."
Le terme "logologue" existe, mais semble peu usité (sauf, peut-être, par les bègues…). Je lui préfère nettement celui de "logocrate" (κράτος : pouvoir), avec bien sûr, le sens que lui donne PhG, qui se dit lui-même logocrate, et, dans la foulée, je m'oppose à PhG en me décrétant topocrate (sans savoir ce que ce néologisme(?) recouvre exactement). Ainsi par exemple, si PhG est pour le Verbe, alors je suis pour la Chair, c'est-à-dire la matière vivante (je tiens au qualificatif, cf. ce que je dis plus haut à propos du Timée), c'est-à-dire la Matière majusculée pour me plier aux standards Dedefensa, et j'ai envie qu'il le soit parce que la position de Matérialiste (majusculé, j'y tiens) semble tout-à-fait me convenir.
II. Le Un et le Multiple
Parmi les bribes de "L'erreur et l'orgueil" qui me sont accessibles, Scruton dit en substance que le problème du Un et du Multiple est des plus ardus et cite le nom de Platon à cette occasion.
Thom pense les rapports du Un et du Multiple à la fois biologiquement et mathématiquement par une analogie pour moi génialissime qui est esquissée dans SSM, 2ème ed. p.32 :
"Expliquons de manière assez élémentaire le mécanisme formel qui, à mes yeux, commande toute morphogénèse par l'analogie suivante entre le développement d'un embryon d'une part, et une série de Taylor à coefficients indéterminés, d'autre part."
Selon moi Badiou pense "L'être et l'évènement" (que je n'ai pas lu) en "marxiste", le Multiple de Badiou étant indifférencié, pensé comme le prolétariat (il refuse énergiquement le Un, pour lui assimilé dans ce cas à Dieu). Son choix de la théorie des ensembles lui impose d'associer au prolétariat un ensemble non spécifié de cette théorie (il a choisi celle de Zermelo et Fraenkel), l'ensemble non spécifié étant à mettre en regard de la série de Taylor à coefficients indéterminés considérée par Thom.
Badiou dit p.93 que la théorie des ensembles est la théorie rationnelle des différentes formes du possible. Les matheux connaissent l'abîme qui sépare la richesse de la théorie des fonctions analytiques de la pauvreté de la théorie des ensembles (dont il faut signaler qu'elle a été jusqu'à présent extrêmement inféconde -qualificatif choisi à dessein), peut-être analogue à l'abîme qui sépare le vivant du non vivant. L'ensemble indifférencié qu'il a en vue est l'ensemble des prolétaires, gros lorsque considéré en extension (en France 65 millions d'individus), vide lorsque considéré en intention/compréhension : que dire de plus en effet de l'ensemble des prolétaires sinon que c'est l'ensemble des prolétaires puisqu'il est indifférencié. Par contre, remarque réservée aux scientifiques, une fonction analytique indifférenciée est indéfiniment différentiable, donc potentiellement très riche lorsqu'elle n'est pas différenciée (œuf totipotent).
Les habitués de mes commentaires ne seront pas surpris que je place ici ma citation thomienne favorite qui suggère aux politiciens de faire l'analogie sociologie/mathématique au lieu de l'analogie biologie/mathématique :
"Les situations dynamiques régissant l'évolution des phénomènes naturels sont fondamentalement les mêmes que ceux qui régissent l'évolution de l'homme et des sociétés."
III. Le Un et le Deux
Badiou refuse l'amour unificateur d'un Dieu qui permettrait le passage du Multiple (pour lui le prolétariat) à l'Unique mais accepte l'amour humain entre deux êtres, l'unificateur du Multiple en l'Unique (le ciment social) qu'il propose étant le bonheur, en lieu et place de Dieu (pp.110 et 111). Je reproduis ici la citation de la page 82, faite en (2) :
"Les vérités amoureuses portent sur la puissance dialectique contenue dans le fait d'expérimenter le monde non à partir de l'Un, de la singularité individuelle, mais à partir du Deux, et donc dans l'acceptation radicale de l'autre."
Comment penser ce rapport de Deux êtres qui sont en même temps Un ? C'est le classique problème des mixtes étudié par Platon dans Le Sophiste (je n'ai pas trouvé ça tout seul mais dans un article de Thom (3) ). L'exemple le plus typique est celui du drapeau multicolore qui est Un au fond (un seul tissu), mais Multiple sur la forme (plusieurs couleurs). Le drapeau multicolore est fait pour symboliser l'union d'êtres distincts et c'est bien entendu pour ça que beaucoup de nations les choisissent. Dans le monde naturel de tous les jours, personne n'est choqué de dire ou d'écrire qu'un drapeau est bleu et blanc, parce qu'il se le représente aussitôt spatialement, topologiquement. Mais dans le monde artificiel des logiciens un drapeau ne peut pas être à la fois bleu et blanc car cela viole leur principe de non-contradiction (4). Ce qui peut précède peut donner lieu à réflexion en ce qui concerne les rapports entre les intelligences naturelle et artificielle.
Thom examine en (5) ce problème des mixtes, qu'il modélise avec sa catastrophe "fronce", catastrophe qu'il associe par ailleurs à la prédation sous la forme paraconsistante (2) "le prédateur affamé est sa propre proie" qui est, selon lui, à la base de l'embryologie animale. Il cite à ce propos l'exemple de la langue samoyède "où les emplois du "ou" et du "et" sont pris en charge par une même conjonction, la distinction ultérieure se faisant par adjonction d'adverbes du type : un seul, resp. tous les deux."( En fouinant sur la toile pour voir ce qui se disait des samoyèdes, j'ai appris que samoyède signifiait "qui se mange soi-même"...)
On objectera immédiatement que, par manque de réciprocité, cette modélisation ne s'applique pas au problème posé : en effet si le chat affamé aime la souris plus que lui-même, ce n'est évidemment pas le cas de la souris pour le chat. Pour espérer modéliser correctement l'amour hétérosexuel entre un homme et une femme, il apparaît nécessaire de symétriser la fronce.
IV. Complément à l'attention des scientifiques.
Dans sa théorie des catastrophes, Thom associe la fronce à la fonction V(x)=x⁴ qui mesure le potentiel de prédation du sujet (un chat par exemple), potentiel qu'il utilise lorsqu'il passe à l'action (passage aristotélicien de la puissance à l'acte) lorsqu'il se lance à la poursuite de sa proie (et nous avons tous observé les puissances parfois prodigieuses que peut parfois développer le prédateur pour atteindre sa proie). Pour la fusion amoureuse (Deux en Un) il est naturel de tenter une modélisation en ajoutant les potentiels de prédation de chacun des partenaires, W(x,y)=V(x)+V(y)=x⁴+y⁴, et de conjecturer que W(x,y) est le potentiel d'accouplement de cette double fronce. Or ce n'est pas le cas, car il y a un effet de couplage (qui s'explique lorsqu'on maîtrise la difficile théorie dite du déploiement universel due à Thom) qui fait que le potentiel d'accouplement est considérablement plus élevé que la somme des deux potentiels de prédation. En effet la théorie associe au potentiel de prédation une dimension qui mesure qualitativement sa complexité, qui est ici 2. On s'attend donc à une dimension de 4 (2+2) pour le potentiel d'accouplement, alors qu'en fait la théorie donne 7. Justification théorique de l'expression "monter au septième ciel" ? Vérification expérimentale ?
Remarque terminale
La notion de généricité joue un rôle fondamental dans les modèles de Badiou et de Thom. Pour Thom c'est la notion de stabilité structurelle -essentielle pour élaborer ses modèles mathématiques de morphogenèse- qui formule mathématiquement le "Tout être tend à persévérer dans son être" bien connu des philosophes. Badiou utilise une notion mathématique de généricité un peu différente empruntée à P. Cohen (7). Mais les preuves de l'existence de ces notions utilisent le même théorème : ce n'est donc pas un hasard si la même racine se retrouve dans "générique" et "morphogénèse".
(1) En fouinant sur la toile, j'ai trouvé que Scruton connaissait Thom : "Many leading French intellectuals today – André Glucksmann, Alain Finkielkraut, Luc Ferry, Françoise Thom, Chantal Delsol – are happy to be counted as enemies of Marxism, even if not enemies of the intellectual left.".
https://www.roger-scruton.com/articles/284-confessions-of-a-sceptical-francophile
(2) Cf. "Éloge de Badiou par un crètin" en commentaire de https://www.dedefensa.org/article/trump-est-il-un-logocrate
(3) "Les mathématiques modernes : une erreur pédagogique et philosophique ?", AL pp.
(4) Le "En même temps" d'E. Macron…
(5) AL pp.575 et 576
(6) Cette notion a permis à Cohen de démontrer une célèbre conjecture qui lui a valu la médaille Fields.
jc
11/12/2020
[Je suis ici en psychanalyse sur mon divan et sous mon pseudo. Semper Psy vient de renouveler ma licence.]
I. Déclinaison du crétin.
Un crétin est, on le sait, quelqu'un atteint de crétinisme. Un crêtin est pour moi celui qui regarde de là où il est les crêtes situées sur la carte du sens de Thom (1), et un crètin désigne celui sous la touffe duquel il a le chaos - temporaire ou permanent -, par opposition au crétin, où il y a le néant. En lisant la légende, on remarque que la place naturelle du crêtin se situe dans "une sorte de croissant que l’on peut renverser, et que l’on peut voir comme un canot flottant sur le bouillonnement des forces naturelles". ( On pourra alors lire ou relire l'échappée en métaphysique extrême de Thom (2). ) Pour éclairer ce choix je remets ici l'une de mes citations thomiennes actuellement favorites :
"La voie de crête entre les deux gouffres de l'imbécillité d'une part et le délire d'autre part n'est certes ni facile ni sans danger, mais c'est par elle que passe tout progrès futur de l'humanité".
II Présentation des acteurs
J'ai été un peu étonné, c'est un euphémisme de bienséance, par la citation suivante du philosophe conservateur Roger Scruton concernant Alain Badiou, Grothendieck et les maths, tirée du livre "L'erreur et l'orgueil" :
"La théorie des catégories est associée en particulier au nom d'Alexandre Grothendieck, un ermite franco-allemand qui mena une carrière révolutionnaire en marge des évènements de 1968 avant de disparaître dans le Vide, et qui est, pour cette seule et unique raison, une figure importante du panthéon de Badiou. Mais ce qu'insinue la théorie des catégories n'est pas que les mathématiques se fondent sur le "vide" et la procédure du "compter comme un" (c'est-à-dire former un ensemble), mais que les mathématiques n'ont aucun fondement ontologique -on peut les construire comme bon nous semble, à condition que certaines transformations soient respectées."
J'ai découvert l'existence de Scruton tout récemment sur ce site. Je ne connais de son œuvre que quelques bribes de "L'erreur et l'orgueil" soutirées sur la toile par copie d'écran, la lecture de quelques critiques dont (3) m'apprenant que Scruton y cherche à se "faire" une partie de l'intelligentsia française contemporaine, à la façon de Sokal et Bricmont.
Je ne connais de l'œuvre de Badiou que son "Éloge des mathématiques" et quelques uns de ses cours sur les théories des ensembles et des catégories qu'il a prodigués à l'ENS pendant plusieurs années (jadis disponibles sur la toile). Badiou a eu ce courage d'essayer d'engager le dialogue avec la mathématique contemporaine, de se mettre dans la peau d'un mathématicien, mais il s'est vite aperçu combien il est difficile pour un philosophe de rentrer dans le monde des mathématiciens (l'inverse étant également sans doute vrai), il le dit explicitement à plusieurs reprises dans son Éloge des maths. Pour moi cela mérite déjà éloge. La dernière phrase de Scruton donne au contraire l'impression d'un crêtin qui décrête depuis sa crête que les mathématiques élaborées dans le cadre catégorique sont un jeu insignifiant. Je vois le philosophe-mathématicien Badiou, qui se dit "platonicien sophistiqué", dans la lignée de Cantor et de Gödel ( qui se disait lui aussi platonicien ), qui a visiblement passé beaucoup de temps dans sa vie, comme beaucoup d'autres philosophes - et, à ma connaissance, beaucoup moins de mathématiciens - à la poursuite de l'Être en soi, c'est-à-dire le graal des crêtins. L'être en soi de Badiou, dont il ne veut absolument pas que ce soit Dieu ( Badiou veut absolument une théorie du multiple -qui plus est indifférencié ) est pour moi complètement hors sol, nonsème, sans sens, insignifiant, quand je chausse mes lunettes thomiennes -ce que je fais de plus en plus fréquemment- ( mais affirmer que c'est un nonsème absolu c'est affirmer que Cantor, Gôdel (et Grothendieck, voir ci-dessous) ont bourdonné dans le vide, et je laisserai à d'autres la responsabilité d'aller jusque là ).
Thom s'exprime souvent en philosophe sur sa discipline d'origine. Pour lui les mathématiques sont un jeu ( c'est ce que dit Scruton ), mais pas n'importe quel jeu, c'est "le jeu signifiant par excellence, par lequel l'homme se délivre des servitudes biologiques qui pèsent sur son langage et sa pensée et s'assure les meilleures chances de l'humanité.", et " la mathématique, science de l'imaginaire, est fille de la liberté humaine, peut-être son plus splendide rejeton ". Dans sa classification "lacanienne" des sciences et des techniques, il considère qu'elle est la première technologie de l'imaginaire ( alors que langage, mythologies, institutions sociales en sont pour lui seulement des techniques ) (4). Thom voit les mathématiciens comme des perpétuels nourrissons qui babillent devant Mère Nature, seuls ceux sachant écouter sa réponse pouvant alors engager un dialogue avec elle, les autres bourdonnant perpétuellement dans le vide, bombinans in vacuo (5). Thom, collègue de Grothendieck à l'IHES, le Princeton français, avait une piètre opinion de la théorie des catégories dans le cadre duquel se plaçait Grothendieck. J'ai en effet lu et/ou entendu que Thom s'était opposé à la nomination à l'IHES de Pierre Deligne, élève de Grothendieck et futur médaille Fields, arguant que les travaux figurant au dossier étaient de simples exercices (6); autrement dit que, pour Thom, Grothendieck -médaille Fields- et ses élèves bombinaient dans le vide.
Quid de Grothendieck ? On sait qu'il s'est retiré de la collectivité mathématique peu après 1968, ce que mentionne Scruton. Mais il n'a pas disparu dans le Vide scrutonien, car on sait qu'il a écrit jusqu'à sa mort des dizaines de milliers de pages philosophico-mathématiques, les seules dont j'ai connaissance étant "Récoltes et semailles" et "La clef des songes". Peut-être saura-t-on, quand l'énorme production inédite de Grothendieck aura été rendue accessible, s'il s'est ou non intéressé au "graal des crêtins" ( ce qui me semble très plausible ), et pourra-ton alors y voir plus clair ?
III. L'éloge
Je suis élogieux essentiellement sur deux points :
1: son "Les mathématiques, c'est l'ontologie" (p.83 et suivantes), que je lis comme le "Dieu toujours, fait de la géométrie" de Platon, mais sans Dieu ni géométrie ;
2: son triptyque : "... la logique de l'être pur, de l'être en tant qu'être, est classique, la logique de l'apparaître est intuitionniste, et la logique de l'évènement et des vérités qui en dépendent, du point de vue du Sujet, est paraconsistante." (pp. 71 et 72) .
Pour moi Badiou fait là parfaitement son travail de philosophe métaphysicien qui dit aux matheux : "Eh! les gars, posez un peu la craie ! Au lieu de buter sur vos démonstrations, faites une pose et levez la tête !", tout en illustrant parfaitement l'injonction de PhG: " La sagesse, aujourd'hui, c'est l'audace de la pensée ". Car il faut de l'audace, beaucoup d'audace, pour dire aux matheux que la vérité est du côté de la paraconsistance, aucune preuve n'étant possible dans une telle logique à cause du principe dit d'explosion : dans une telle logique il n'y a pas d'autre choix que celui d'avoir l'intuition des théorèmes et la foi en leur validité, un théorème étant, suivant une étymologie aujourd'hui bien oubliée, l'objet d'une vision ( le théo de théorème se retrouvant dans celui de théologie ? ). Cette voie, au moins un matheux-philosophe s'y est engouffré, d'ailleurs longtemps avant Badiou, c'est René Thom qui nous présente sa propre vision du graal des crêtins (7).
Le programme badiousien ( points 1 et 2 ci-dessus ) progresse dans le milieu philosophico-mathématique traditionnel (milieu dont j'exclus Thom, et dont je crois qu'il s'exclut lui-même). Ainsi on trouve chez les philosophes des sciences belges Lambert et Hespel le triptyque logique du point 2 dans leur article " De la topologie de la conciliation à la logique de la contradiction ", avec un déploiement du triptyque badiousien en un diagramme très parlant, article au titre superbement choisi, car il indique la voie à suivre - celle de la topologie - pour sortir du bourbier de la logique paraconsistante, voie choisie depuis longtemps par Thom.
[ Je profite de l'occasion pour faire une remarque à propos de Lacan, qui fait partie des crêtins visés par Scruton (3). Pour moi Lacan a compris très tôt (mais après Thom) la nécessité de passer du logique au topologique (noeud borroméen, bande de Moëbius, etc., faute de pouvoir interpréter logiquement sa formule de sexuation.]
Outre Lambert et Hespel, il y aussi Olivia Caramello, dont je suis convaincu que la théorie des ponts qu'elle cherche à mettre sur pied est en fait une quête du Graal des crêtins, sous forme d'un topos universel, qu'elle représente souvent sous forme d'un soleil éclairant tous les autres topos (8).
Je ne sais pas si Badiou connaît les travaux grothendieckiens d'Olivia Caramello, mais, bien que je n'aie lu ni "Logiques des mondes" ni "L'être et l'évènement", j'ai de bonnes raisons de croire (voir plus loin) qu'il a une connaissance suffisamment approfondie de la théorie des topoî pour manier des topoî plus compliqués que le basique topos des ensembles et en tirer des conséquences philosophiques (je n'ai lu ni "Logiques des mondes" ni "L'être et l'évènement").
IV. Conclusion
Je tiens tout d'abord à redire que, du point de vue thomien auquel je me range, le travail de Badiou est insignifiant - n'a pas de sens - ( parce que la topologie telle que la conçoit Thom est absente de son discours ), ce qui rejoint le point de vue de Scruton. Mais le travail de Badiou me semble au premier abord tout-à-fait cohérent et intelligible du point de vue de Grothendieck.
Y aurait-il deux visions du monde des mathématiciens, irréductibles l'une à l'autre, l'une symbolique et l'autre diabolique ? Choc de titans, Thom contre Grothendieck ? La réponse dépasse à cette question très largement mon niveau. Mais, en ce qui concerne Badiou, peut-être se trouve-t-elle p. 82 ci-après, qui suggère que son choix est diabolique (9) (dédouanant alors complètement les théories des ensembles et des catégories, Cantor, Gödel et Grothendieck) :
"Les vérités amoureuses portent sur la puissance dialectique contenue dans le fait d'expérimenter le monde non à partir de l'Un, de la singularité individuelle, mais à partir du Deux, et donc dans l'acceptation radicale de l'autre."
Cela donnerait raison à René Guénon dont la citation suivante tomberait alors pile-poil :
« On dit même que le diable, quand il veut, est fort bon théologien ; il est vrai, pourtant, qu’il ne peut s'empêcher de laisser échapper toujours quelque sottise, qui est comme sa signature… »
J'ai noté plus haut que Badiou veut absolument une théorie du multiple - qui plus est indifférencié -, ce qui justifie son choix de la théorie des ensembles avec égalité égalitariste (10) comme Être en soi (pp.89 à 91). J'en tire la conséquence qu'il ne serait pas, me semble-t-il, opposé à la devise politique Multiplicité-Égalité-Unité, l'unité apparaissant non pas comme une donnée mais un but à atteindre ( une conquête amoureuse, en référence à la page 82). Ce qui le séparerait alors essentiellement de mon propre choix, qui est Unité-Harmonie-Diversité, c'est l'harmonie (11), chère également à PhG.
J'ai d'abord "fait mon Scruton" quand j'ai lu la chute de sa démonstration du théorème de Cantor (p.101) :
"En prime vous avez un schéma politique : le fait qu'il y ait plus de parties que d'éléments dans un ensemble quelconque signifie que la richesse, la ressource profonde, de ce qui est collectif (les parties) l'emporte sur celles des individus. Le théorème de Cantor réfute, à un niveau abstrait, le règne contemporain de l'individualisme."
Mais il me semble maintenant que ce théorème ouvre la voie à la possibilité esquissée plus haut (cohérence du travail de Badiou du point de vue de Grothendieck) de rechercher un topos "politique" dont le classificateur de sous-objets (12) est plus structuré que celui du topos des ensembles (qui est trivial), d'étudier cet objet qu'il me semble naturel d'associer au pouvoir central de l'organisation politique décrite par le topos. (Au moment où j'écris ces lignes, il me semble me souvenir que c'est effectivement ce que fait Badiou dans "L'être et l'évènement.". Si c'est le cas alors les propos que tient Scruton sur Badiou sont scandaleux.)
La partie consacrée à l'amour (p.111) suggère qu'Il suffit peut-être se limiter aux deux situations amoureuses antagonistes suivantes : le Un à partir du Deux (position de Badiou) ? ou le Deux à partir du Un ? Il ressort de ma lecture d'un paragraphe de SSM ( 2ème ed., pp.190 et 191 ) consacré à la formation des parties génitales que Thom serait pour la deuxième solution (c'est pour cette raison que j'ai choisi ma devise).
En lisant beaucoup plus attentivement "Éloge des mathématiques" (125 pages en gros caractères) que je ne l'avais fait jusqu'à présent, j'ai trouvé un Badiou d'une grand honnêteté intellectuelle, exactement conforme à ce qu'il dit de la discussion politique idéale (p.114) et qu'il reproche au discours politique actuel (p.115), si bien que mes seules objections éventuelles se retrouvent dans les prémisses idéologiques dont j'ai repéré d'une part celle évoquée plus haut (le Un à partir de Deux) et d'autre part l'hypothèse du multiple indifférencié évoquée encore plus haut : je n'ose pas croire que les idées de Badiou puissent avoir un rapport avec les actuels mouvements wokenistes (13) (préparation du prolétariat aux conditions d'indifférenciation prescrites par sa théorie).
IV Épilogue
Pour notre président nous sommes en guerre. Je suis d'accord en ce sens que nous ne sommes pas psychologiquement en paix. À la demande du Général de Gaulle Simone Weil a écrit à Londres "L'enracinement", dans des conditions psychologiques autrement difficiles pour la France occupée. On y trouve cette citation qui, selon moi, vient à point nommé et mérite d'être ruminée :
"Un gouvernement qui emploie des paroles, des pensées trop élevées pour lui, loin d'en recevoir un éclat quelconque, les discrédite et se ridiculise. C'est ce qui s'est produit pour les principes de 1789 et la formule « Liberté, Égalité, Fraternité » au cours de la IIIème République.".
[ Article en projet : Le Un et le Deux : de Badiou à Thom ]
(1) http://strangepaths.com/forum/viewtopic.php?t=4
(2) ES, p.216 ou commentaire Badiou.3, article lié : Trump est-il un logocrate ?
(3) https://www.atlantico.fr/decryptage/3572539/-l-erreur-et-l-orgueil-de-roger-scruton—si-vous-cherchez-les-meilleures-munitions-contre-l-intellectuellement-correct
(4) AL p.537
(5) MMM, conclusion de "De l'icône au symbole".
(6) "Récoltes et semailles", p. 540 https://www.quarante-deux.org/archives/klein/prefaces/Romans_1965-1969/Recoltes_et_semailles.pdf
(7) Voir (2) pour le point 1 et AL, pp.560 et 561 pour le point 2
(8) Il y a de nombreuses vidéos accessibles sur la toile.
(9) Le mot "diabolique", du grec διαβάλλειν, marque la division. Il est antonyme de "symbolique" qui marque la réunion.
(10) https://www.dedefensa.org/article/au-diable-legalite commentaire "L'égalité est-elle diabolique ?"
(11) https://www.dedefensa.org/article/au-diable-legalite commentaire "L'égalitarisme est-il diabolique ?"
(12) Je ne serai pas étonné d'apprendre que le "marxiste" Badiou a été attiré par ces classificateurs -lutte des classes oblige!- comme l'ours l'est par le miel. C'est peut-être pour cette raison que le métaphysicien extrême Badiou a été attiré par la théorie des catégories, objet se traduisant par being en anglais. Les curieux pourront consulter le site http://www.entropologie.fr pour voir un grothendieckien en action.
(13) https://www.dedefensa.org/article/en-marche-avec-le-wokenisme
jc
09/12/2020
Guénon, "Le règne de la quantité...: ", chap II : "... la quantité se présente à nous sous des modes divers, et, notamment, il y a la quantité discontinue, qui est proprement le nombre, et la quantité continue, qui est représentée principalement par les grandeurs d’ordre spatial et temporel." Une question naturelle se pose alors : est-il plus simple de fabriquer du continu à partir du discontinu ou l'inverse ? Plus savamment dit, entre le discontinu et le continu, quel est l'être ontologiquement premier ? La réponse des mathématiciens modernes est, depuis le XIXème siècle, de fabriquer du continu à partir du discontinu, par exemple en "bouchant les trous" entre les rationnels par des nombres appelés réels par les matheux (méthode dite des coupures de Dedekind) et en montrant que l'ensemble de ces nombres est suffisamment dense pour former un continu unidimensionnel appelé droite réelle.
Si on met de côté le formalisme assez lourd nécessaire pour formuler et prouver ça rigoureusement, on s'aperçoit que le problème fondamental est le suivant : est-ce que 0,99999… (écriture en base 10) ou 0,11111… (écriture en base 2) est ou non égal à 1 ? Traduit dans le vocabulaire de tous les jours, le problème fondamental est en fait celui formulé par Zénon : est-ce qu'Achille va ou non rattraper la tortue ?, la réponse étant oui si on a l'égalité, non sinon. Il me semble que la grande (voire l'immense) majorité des matheux pense qu'on obtient l'égalité comme on peut le constater en consultant l'article Wikipédia*. Comment les non-matheux abordent-ils cette question ? Guénon se l'est posée et sa réponse se trouve dans son "Principe du calcul infinitésimal". Pour Thom il s'agit d'une question absolument fondamentale : "Pour moi, l'aporie fondamentale de la mathématique est bien dans l'opposition discret-continu. Et cette aporie domine en même temps toute la pensée."
En mathématiques il y a la vision "discrète" des arithméticiens-algébristes au rang desquels je place Pythagore ("Tout est nombre") et aussi Évariste Galois, Kronecker, Alexandre Grothendieck et Alain Connes ; et il y a la vision "continue" des géomètres-topologues au rang desquels je place évidemment Thom.
Parmi les philosophes il me semble que les atomistes sont naturellement du côté "discret" et Platon ("Dieu, toujours, fait de la géométrie") du côté "continu", ainsi qu'Aristote (si on suit Thom**). En ce qui concerne les philosophes contemporains, je ne suis certain que d'une chose : Badiou est un "discret" (même s'il se proclame platonicien…) parce que qu'il est impossible de fabriquer du continu dans le cadre de la théorie des ensembles*** (même s'il est convaincu, comme les bourbakistes, que c'est possible***). (Fait pour Badiou.4).
Parmi les autres savants il me semble que les "sciences dures" sont plutôt "discrets" (le quantique est à la mode pour les physiciens et les chimistes), les économistes évidemment également****. Bien entendu les informaticiens sont évidemment des "discrets" ({0,1}). Je n'ai aucune idée de ce que peuvent en penser les "sciences molles" (sans doute rien du tout).
Qu'en est-il chez l'humain ordinaire ? Si des manifestants LGBTQ se tiennent par la main, ils savent bien que la continuité ainsi établie entre eux n'est que simulacre, et que, au fond, contiguïté bien tassée ne sera jamais continuité. Une fois réalisé ça, je pense qu'un véritable coco -intello par définition- ne peut être qu'un penseur du continu. (J'espère que l'homme de la rue, le vrai, n'est pas encore suffisamment pollué par le scientisme "moderne", ambiant, va, avec son bon gros bon sens, répondre: non seulement achille va rattraper la tortue, il va même la dépasser.)
Et alors ?, est-on tenté de dire. Alors, selon moi, il reste à remplacer les lectures d'Hegel et de Marx par celles d'Aristote et de Thom pour devenir un topocrate et bâtir le matérialiste du XXIème siècle, avec en permanence à l'esprit l'idée que continuité rime avec intelligibilité (et qu'en IA discontinuité rime avec inintelligibilité ?). (Fait pour "Au diable l'égalitarisme!".1)
Pour Thom "l'intelligence est la faculté de s'identifier à autre chose, à autrui". S'identifier à un gluon ?, examiner la condensation de Bose-Einstein ? (C'est pour faire la transition avec "Au diable l'égalitarisme!".)
Remarque finale. Je ne pense pas qu'il y ait beaucoup de progressistes à fréquenter ce site. Que pensent les conservateurs de tout ça ? Naturellement continuistes ? (Je rêve qu'il devienne à la mode, voire politiquement correct, de s'afficher "penseur du continu" dans les salons germano-pratins. )
*: https://fr.wikipedia.org/wiki/Paradoxe_d%27Achille_et_de_la_tortue
**: Thom: "Il est de fait qu'Aristote a été le premier – et pour des siècles, voire des millénaires – le seul penseur du continu." (ES)
***: Cf. "Les mathématiques modernes: une erreur pédagogique et philosophique ?" (AL, pp.553 à 576)
****: Kronecker: "Dieu créa les nombres entiers, et le reste est l'œuvre de l'homme." (cf. AL, p.564)
jc
09/12/2020
[En Badiou.2 lire : Modèle d'une théorie: construction concrète ou abstraite (ici vertigineusement abstraite car l'un des axiomes de ZF postule l'existence d'un ensemble infini), qui satisfait aux axiomes de la théorie.]
[Addendum au Badiou.0 Pour Thom "générique" est synonyme de structurellement stable. Que le prolétariat et le patronat soient structurellement stables me semble aller de soi, au moins dans nos sociétés "modernes". (Je rappelle que Badiou parle de "généricité" du prolétariat.)]
———————————————
En Badiou (.0, .1 et .2) je suis allé dans le sens de PhG qui nous fait ici (et ailleurs*) part de l'opinion du philosophe conservateur** Roger Scruton, en écrivant : "Ainsi, si on accepte à la fois la carte thomienne [du sens] et ce qui précède, ce qu'écrit Badiou se trouve être à la fois délirant et insignifiant.", qui prend sens en regard de la citation thomienne : "La voie de crête entre les deux gouffres de l'imbécillité d'une part et le délire d'autre part n'est certes ni facile ni sans danger, mais c'est par elle que passe tout progrès** futur de l'humanité".
Je veux ici de prendre la défense de Badiou (j'instruirai peut-être de nouveau à charge en un Badiou.4) en partant de l'évidence que de passer du gouffre du délire à celui de l'imbécillité nécessite de passer par la crête qui les sépare. Je tiens à prendre cette défense après avoir réussi à lire via la toile quelques bribes de la partie de "L'erreur et l'orgueil" consacrée à Badiou intitulée "Le Kraken se réveille: Badiou et Zizek", dont celle-ci :
"La théorie des catégories est associée en particulier au nom d'Alexandre Grothendieck, un ermite franco-allemand qui mena une carrière révolutionnaire en marge des évènements de 1968 avant de disparaître dans le Vide, et qui est, pour cette seule et unique raison, une figure importante du panthéon de Badiou. Mais ce qu'insinue la théorie des catégories n'est pas que les mathématiques se fondent sur le "vide" et la procédure du "compter comme un" (c'est-à-dire former un ensemble), mais que les mathématiques n'ont aucun fondement ontologique -on peut les construire comme bon nous semble, à condition que certaines transformations soient respectées." ,
bribe qui, on le voit, heurte frontalement ce j'écris en Badiou.0 :
"Pour lui la mathématique dans ces cadres est l'ontologie, c'est-à-dire l'étude de l'être en tant qu'être (et, de ce que j'en connais, il semble nettement préférer le cadre ensembliste). C'est, à mon avis, également ce que pense Thom, mais dans le cadre mathématique traditionnel." ,
bribe où l'on voit immédiatement apparaître la crête en question.
Dans "Éloge des mathématiques" (que je me suis procuré pour constater, sans guère de surprise, que Thom n'y était pas mentionné) Badiou donne p.85 à 87 quatre critères caractéristiques de ce qu'il entend par ontologie "absolue" (les guillemets sont de lui), critères (qu'il énonce très clairement) qui me paraissent immédiatement applicables à l'Être en soi selon Thom (cf. ci-après) qui seul m'intéresse, trouvant celui de Badiou complètement hors sol (je dirais à la façon des "marxistes" si je savais ce qu'ils étaient). À l'appui de ce qui précède voici comment Badiou illustre son deuxième critère, qui dit en substance que l'être"absolu" est immanent, c-à-d contient en lui-même son propre principe :
"Prenez un rassemblement révolutionnaire, une émeute qui deviendra historique, mettons la prise de la Bastille. Considéré dans sa pure valeur politique, comme emblème, référence, commencement absolu d'un processus, cet évènement n'est pas décomposable en unités distinctes. Il n'est pas le résultat particulier d'une addition de facteurs, il est "absolu" au sens où, quoique particulier dans tous ses éléments (les gens qui sont là, les faits successifs…), cette particularité disparaît dans une synthèse évènementielle qui ne peut s'analyser en composants minimaux." ,
que je commente ainsi:
1. C'est vraiment "Tabula rasa" ; je comprends pourquoi les wokenistes déboulonnent les statues.
2. Inutile pour moi de lire "L'être et l'évènement".
3. La crête est vraiment étroite!
Pour faire la transition avec ce qui suit (la vision thomienne de l'Être en soi) voici le 3ème critère suivi de citations thomiennes :
Badiou: "Il ne se laisse donc décrire, ou penser, qu'à partir d'axiomes, ou de principes. il n'en existe aucune expérience, ni aucune construction qui dépende d'une expérience. On peut aussi dire qu'il existe (pour la pensée), bien qu'il ne soit pas."
Thom:
1. "Je crois (...) que l'acceptabilité sémantique (en dépit de son caractère apparemment relatif à la langue considérée) a en général une portée
ontologique. « Toute analogie, dans la mesure où elle est sémantiquement acceptable, est vraie. » C'est là, je crois, le principe de toute investigation
métaphysique." ;
2. "À beaucoup d'égards, l'ontologie c'est l'obstacle" ;
3. "Le monde de l'analogie est un monde qui porte son ontologie en quelque sorte avec soi." (Immanence de l'analogie) .
4. "Qu'on puisse ainsi créer une théorie de la morphogénèse [la théorie des catastrophes] in abstracto, purement géométrique, indépendante du substrat des formes et de la nature des forces qui les créent, voilà qui pourra sembler difficile à admettre, surtout de la part d'expérimentateurs habitués à tailler dans le vif et continuellement en lutte avec une réalité qui leur résiste."
PS: Je viens de découvrir que Badiou a fait à ce sujet une conférence intitulée "Multiplicité et relations : un dilemme ontologique" ***. Il n'est peut-être pas inutile de remarquer qu'elle a été organisée conjointement par l'ENS et par l'université américaine de Paris.
————————————
Thom (ES, p.216):
"L'image de l'arbre de Porphyre me suggère une échappée en "Métaphysique extrême" que le lecteur me pardonnera peut-être. Il ressort de tous les exemples considérés dans ce livre qu'aux étages inférieurs, proches des individus, le graphe de Porphyre est susceptible -au moins partiellement- d'être déterminé par l'expérience. En revanche, lorsqu'on veut atteindre les étages supérieurs, on est conduit à la notion d' "hypergenre", dont on a vu qu'elle n'était guère susceptible d'une définition opératoire (hormis les considérations tirées de la régulation biologique). Plus haut on aboutit, au voisinage du sommet, à l'Être en soi (απλως). Le métaphysicien est précisément l'esprit capable de remonter cet arbre de Porphyre jusqu'au contact avec l'Être. De même que les cellules sexuées peuvent reconstituer le centre organisateur de l'espèce, le point germinal α (pour en redescendre ensuite les bifurcations somatiques au cours de l'ontogénèse), de même le métaphysicien doit en principe parvenir à ce point originel de l'ontologie, d'où il pourra redescendre par paliers jusqu'à nous, individus d'en bas. Son programme, fort immodeste, est de réitérer le geste du Créateur). Mais très fréquemment, épuisé par l'effort de son ascension dans ces régions arides de l'Être, le métaphysicien s'arrête à mi-hauteur à un centre organisateur partiel, à vocation fonctionnelle. Il produira alors une "idéologie", prégnance efficace, laquelle, en déployant cette fonction, va se multiplier dans les esprits. Dans notre métaphore biologique ce sera précisément cette prolifération incontrôlée qu'est le cancer.
Aristote a dit du germe, à sa naissance, qu'il est inachevé. on peut dès lors se demander si tout en haut du graphe on n'a pas quelque chose comme un fluide homogène indistinct, ce premier mouvant indifférencié décrit dans sa Métaphysique; que serait la rencontre de l'esprit avec ce matériau informe dont sortira le monde? Une nuit mystique, une parfaite plénitude, le pur néant? Mais la formule d'Aristote suggère une autre réponse, théologiquement étrange: peut-être Dieu n'existera-t-il pleinement qune fois Sa création achevée: Premier selon l'Être, dernier selon la génération." (ES, p.216)"L'image de l'arbre de Porphyre me suggère une échappée en "Métaphysique extrême" que le lecteur me pardonnera peut-être. Il ressort de tous les exemples considérés dans ce livre qu'aux étages inférieurs, proches des individus, le graphe de Porphyre est susceptible -au moins partiellement- d'être déterminé par l'expérience. En revanche, lorsqu'on veut atteindre les étages supérieurs, on est conduit à la notion d' "hypergenre", dont on a vu qu'elle n'était guère susceptible d'une définition opératoire (hormis les considérations tirées de la régulation biologique). Plus haut on aboutit, au voisinage du sommet, à l'Être en soi. Le métaphysicien est précisément l'esprit capable de remonter cet arbre de Porphyre jusqu'au contact avec l'Être. De même que les cellules sexuées peuvent reconstituer le centre organisateur de l'espèce, le point germinal α (pour en redescendre ensuite les bifurcations somatiques au cours de l'ontogénèse), de même le métaphysicien doit en principe parvenir à ce point originel de l'ontologie, d'où il pourra redescendre par paliers jusqu'à nous, individus d'en bas. Son programme, fort immodeste, est de réitérer le geste du Créateur). Mais très fréquemment, épuisé par l'effort de son ascension dans ces régions arides de l'Être, le métaphysicien s'arrête à mi-hauteur à un centre organisateur partiel, à vocation fonctionnelle. Il produira alors une "idéologie", prégnance efficace, laquelle, en déployant cette fonction, va se multiplier dans les esprits. Dans notre métaphore biologique ce sera précisément cette prolifération incontrôlée qu'est le cancer.
Aristote a dit du germe, à sa naissance, qu'il est inachevé. on peut dès lors se demander si tout en haut du graphe on n'a pas quelque chose comme un fluide homogène indistinct, ce premier mouvant indifférencié décrit dans sa Métaphysique; que serait la rencontre de l'esprit avec ce matériau informe dont sortira le monde? Une nuit mystique, une parfaite plénitude, le pur néant? Mais la formule d'Aristote suggère une autre réponse, théologiquement étrange: peut-être Dieu n'existera-t-il pleinement qune fois Sa création achevée: Premier selon l'Être, dernier selon la génération." (ES, p.216). Le métaphysicien est précisément l'esprit capable de remonter cet arbre de Porphyre jusqu'au contact avec l'Être. De même que les cellules sexuées peuvent reconstituer le centre organisateur de l'espèce, le point germinal α (pour en redescendre ensuite les bifurcations somatiques au cours de l'ontogénèse), de même le métaphysicien doit en principe parvenir à ce point originel de l'ontologie, d'où il pourra redescendre par paliers jusqu'à nous, individus d'en bas. Son programme, fort immodeste, est de réitérer le geste du Créateur). Mais très fréquemment, épuisé par l'effort de son ascension dans ces régions arides de l'Être, le métaphysicien s'arrête à mi-hauteur à un centre organisateur partiel, à vocation fonctionnelle. Il produira alors une "idéologie", prégnance efficace, laquelle, en déployant cette fonction, va se multiplier dans les esprits. Dans notre métaphore biologique ce sera précisément cette prolifération incontrôlée qu'est le cancer.
Aristote a dit du germe, à sa naissance, qu'il est inachevé. on peut dès lors se demander si tout en haut du graphe on n'a pas quelque chose comme un fluide homogène indistinct, ce premier mouvant indifférencié décrit dans sa Métaphysique; que serait la rencontre de l'esprit avec ce matériau informe dont sortira le monde? Une nuit mystique, une parfaite plénitude, le pur néant? Mais la formule d'Aristote suggère une autre réponse, théologiquement étrange: peut-être Dieu n'existera-t-il pleinement qu'une fois Sa création achevée: Premier selon l'Être, dernier selon la génération." (ES, p.216)
*: https://www.dedefensa.org/article/en-marche-avec-le-wokenisme
**: Thom:
1. "(...) si la science progresse, c'est en quelque sorte par définition. Alors que l'art et la philosophie ne progressent pas nécessairement, une discipline qui
ne peut que progresser est dite scientifique. De là on conclura que le progrès scientifique, s'il est inévitable, ne peut être le plus souvent qu'illusoire."
2. "Lorsqu'on a compris – à la suite de T. S. Kuhn – le caractère « automatique » du progrès scientifique, on se rend compte que les seuls progrès qui vaillent sont ceux qui modifient notre vision du monde – et cela par l'élaboration de nouvelles formes d'intelligibilité. Et pour cela il
faut revenir à une conception plus philosophique (voire mathématique) des
formes premières d'intelligibilité."
3. "Ainsi la fonction originelle d'une philosophie de la nature sera-t-elle de rappeler constamment le caractère éphémère de tout progrès scientifique qui n'affecte pas de manière essentielle la théorie de l'analogie."
4. "En permettant la construction de structures mentales qui simulent de plus en plus les structures et les forces du monde extérieur -ainsi que la structure même de l'esprit, l'activité mathématique se place dans le droit fil de l'évolution. C'est le jeu signifiant pas excellence, par lequel l'homme se délivre des servitudes du monde biologique qui pèsent sur son langage et sa pensée et s'assure les meilleures chances de survie pour l'humanité."
***: http://savoirs.ens.fr/expose.php?id=2248
jc
08/12/2020
Wiki:" Dans la culture vaudou, le zombie est un mort réanimé et sous le contrôle total d'un sorcier" ; " Dans certaines histoires les zombies sont créés à partir d'une drogue ou d'un virus" .
Voilà qui tombe à point nommé pour compléter les analogies de mon commentaire "Au diable l'égalitarisme ?" :
Bosons <-> Démocrates , Fermions <-> Républicains, Boltzmannions <-> Zombis (et, tant qu'à faire , Sorciers <-> ZZ).
jc
08/12/2020
Après avoir expliqué dans "L'égalité est-elle diabolique ?" pourquoi, selon moi, l'égalité n'était pas diabolique, j'écrivais dans " Qu'est-ce qu'il se passe ? " :
"Je suis d'accord avec Finkielkraut que le temps de l’hégéliano-marxisme est derrière nous, parce que "nous" sommes rentrés dans l'ère d'un post-socialisme qui a intégré au forceps le progressisme sociétal (à moins que ce ne soit l'inverse) grâce(!) à un post-égalitarisme qui force (presqu'au sens du forcing de Cohen cher à Badiou!) les égalités H=F=L=G=B=T=Q. Mais ce n'est visiblement pas (quoique ?) à ce niveau que Finkielkraut et Lind se placent, qui invoquent la philosophie de l'histoire et la métaphysique, voire la religion.".
J'ai écrit ça sans avoir la moindre idée de ce que l'on entend par égalitarisme et, a fortiori de post-égalitarisme. Je me suis depuis renseigné un peu auprès de Wikipédia, d'où j'ai tiré l'idée que l'égalitarisme politique était la forme la plus évoluée (la plus car manifestement indépassable!) du communisme, et que c'était "ça" le progressisme sociétal vers lequel il fallait faire progresser l'humanité. Et presque sans surprise (au point où j'en suis arrivé dès la deuxième phrase), je n'ai même pas sursauté quand j'ai lu la dernière où il est benoîtement annoncé que la forme indépassable vers laquelle il faut progresser est aussi celle de l'harmonie initiale que "nous" avons indûment perturbée.
Après un moment de stupeur (quand même) je me suis dit que, au fond, cette sorte d'ultra-communisme n'était que la réponse à l'ultra-individualisme du Système, une sorte de réponse du berger à la bergère au ras des pâquerettes : le chaos de l'individualisme contre le néant du communisme, pour paraphraser une partie de la légende de la carte thomienne du sens*.
II m'apparaît alors clairement que l'égalitarisme (en tant que concept dynamique) est en politique ce que l'entropisation (j'utilise la terminologie de Dedefensa, j'espère à bon escient) est en thermodynamique. La situation politique "ras des pâquerettes" ci-dessus a un analogue en physique statistique qui est la statistique de Boltzmann (niveau zéro de la Physique statistique). Au niveau 1 on a la statistique de Bose-Einstein pour les communistes et la statistique de Fermi-Dirac pour les individualistes (principe d'exclusion de Pauli pour les électrons -qui sont de la famille des fermions).
Thom: "Terminons ces considérations sur l'ontogenèse des mathématiques par une remarque de physique. Nous avons invoqué deux phénomènes pour justifier la construction de l'espace réel : la résonance qui synchronise des oscillateurs couplés d'une part, de nature temporelle ; et la collision entre individus, qui, elle, permet la définition des chemins de létalité, et par suite la construction des espaces. Fort spéculativement, on associera ces deux processus aux deux grands types de les connus en physique : bosons et fermions. Les bosons, de nature essentiellement radiative, ont tendance à s'associer en champs où ils deviennent indistinguables et non localisables, effet dû à la résonance. Les fermions, de nature essentiellement spatiale, matérielle, devraient leur caractère répulsif et individualiste au phénomène de collision qui les sépare…" (AL, p.325)
Un rapport avec le sédentaire Caïn et le nomade Abel ? Des idées à exploiter en politique ?
Je termine par mes citations favorites:
Thom: "Les situations dynamiques régissant les phénomènes naturels sont fondamentalement les mêmes que celles qui régissent l'évolution de l'homme et des sociétés" ;
PhG: "La sagesse, aujourd'hui, c'est l'audace de la pensée" ;
Thom: "La voie de crête entre les deux gouffres de l'imbécillité d'une part et le délire d'autre part n'est certes ni facile ni sans danger, mais c'est par elle que passe tout progrès futur de l'humanité" .
*: "En haut le chaos des forces naturelles ; en bas, la paix du néant" http://strangepaths.com/forum/viewtopic.php?t=41
jc
07/12/2020
En quelques citations.
1. Ce texte [l'article de AL "Le statut épistémologique de la théorie des catastrophes"] introductif à la théorie des catastrophes offre une vision plus claire de son programme métaphysique : fonder une théorie mathématique de l'analogie, qui vise à combler la lacune ouverte par Galilée entre quantitatif et qualitatif.
2. L'ambition ultime de la théorie des catastrophes, en fait, est d'abolir la distinction langage mathématique-langage naturel qui sévit en science depuis la coupure galiléenne.
3. On a changé de critère d'individuation d'Aristote à Galilée. On a substitué à la considération du but instantané la définition purement mathématique de la courbe analytique.
4. (...) je ne suis pas sûr que dans un univers où tous les phénomènes seraient régis par un schéma mathématiquement cohérent, mais dépourvu de contenu imagé, l'esprit humain serait pleinement satisfait. Ne serait-on pas alors, en pleine magie ? Dépourvu de toute possibilité d'intellection, c'est-à-dire d'interpréter géométriquement le schéma donné, ou l'homme cherchera à se créer malgré tout par des images appropriées une justification intuitive au schéma donné, ou sombrera dans une incompréhension résignée que l'habitude transformera en indifférence. En ce qui concerne la gravitation, il n'est pas douteux que la seconde attitude a prévalu ; car nous n'avons, en 1968, pas moins de raisons de nous étonner de la chute d'une pomme que Newton. Magie ou géométrie, tel est le dilemme que pose toute tentative d'explication scientifique. De ce point de vue, les esprits soucieux de compréhension n'auront jamais, à l'égard des théories qualitatives et descriptives, des présocratiques à Descartes, l'attitude méprisante du scientisme quantitatif.
jc
07/12/2020
Finkielkraut : « Nous ne disposons plus aujourd’hui d’une philosophie de l’histoire pour accueillir les événements, les ranger et les ordonner. Le temps de l’hégéliano-marxisme est derrière nous. Il est donc nécessaire, inévitable de mettre la pensée à l’épreuve de l’événement et la tâche que je m’assigne, ce n’est plus la grande tâche métaphysique de répondre à la question “Qu’est-ce que ?”, mais de répondre à la question “Qu’est-ce qu’il se passe ?”... ».
Je suis d'accord avec Finkielkraut que le temps de l’hégéliano-marxisme est derrière nous, parce que "nous" sommes rentrés dans l'ère d'un post-socialisme qui a intégré au forceps le progressisme sociétal (à moins que ce ne soit l'inverse) grâce(!) à un post-égalitarisme qui force (presqu'au sens du forcing de Cohen cher à Badiou!) les égalités H=F=L=G=B=T=Q. Mais ce n'est visiblement pas (quoique ?) à ce niveau que Finkielkraut et Lind se placent, qui invoquent la philosophie de l'histoire et la métaphysique, voire la religion.
Lind, seul concerné dans cet article, propose une explication antédiluvienne qui ne me convient guère dans laquelle l'égalité (alias l'interchangeabilité) est mise en cause -par un Satan entropisateur-. (Il me semble que la phrase "Nul être n'aura, dans le temps ou l'espace, le rôle et le but qui lui sont assignés dans l'univers." doit être lue "Nul être n'aura, dans le temps ou l'espace, d'autre rôle et de but que ceux qui lui sont assignés dans l'univers.".)
Je pense comme Lind que "la vision moderne qui est la nôtre s’avère viciée", et qu'il faut "plaider pour une sorte de retour à une sorte de Moyen Âge" (mais je ne le suis pas -du verbe suivre- dans ses propositions d'explications). Selon moi "notre" vision du monde s'est viciée au moment de la coupure galiléenne (que Lind appelle la révolution copernicienne), précisément depuis Newton et, d'une certaine façon à cause de lui, le but de la science n'étant plus dorénavant d'interpréter le monde (et éventuellement de l'expliquer) comme c'était le cas lorsque la vision du monde respectait l'harmonie entre notre microcosme et le macrocosme (comme le montre PhG avec l'art pictural chinois), mais de prédire son évolution en vue de le dominer. Pour moi le concept d'idéal de puissance cher à PhG a germé à cet instant et s'est propagé en Occident dans les siècles qui ont suivi comme on peut le constater à la lecture de la préface de la deuxième édition kantienne de la critique de la raison pure dont voici un extrait :
"Ils [Galilée, Toricelli et Stahl] comprirent que la raison ne voit que ce qu’elle produit elle-même d’après son propre plan, qu’elle éprouve le besoin de prendre les devants avec les principes qui déterminent ses jugements d’après des lois constantes et de contraindre la nature à répondre à ses questions, mais qu’elle ne doit pas se laisser conduire seulement par elle, comme en lisière ; car sinon, les observations faites au hasard, sans aucun plan préalablement conçu, ne peuvent tenir ensemble dans une loi nécessaire, conformément à ce que cherche pourtant la raison et dont elle a besoin. La raison, tenant d’une main ses principes, qui seuls peuvent donner valeur de lois à des phénomènes concordants, et de l’autre l’expérimentation qu’elle a conçue d’après ceux-ci, doit s’approcher de la nature, certes pour être instruite par elle, mais non toutefois comme un élève, prêt à entendre tout ce que le maître veut,mais en la qualité d’un juge en exercice, qui contraint les témoins à répondre aux questions qu’il leur soumet".
Parallèlement et logiquement le conventionnalisme (alias le nominalisme, intronisé en France sous Louis XI) puis le pragmatisme, le matérialisme et le positivisme, se sont développés dans les temps modernes alors que régressait tout ce qui allait de soi dans les temps plus anciens.
Voilà selon moi ce qu'il s'est passé et se poursuit encore actuellement.
José-Pierre Frances
07/12/2020
Je vois que vous e^tes un fin observateur des potins américians.
J'ai ecris deux articles sur les élections US 2020. Le dernier est intitulé Un kraken dans le marais. Cela pourrait intéresser de vos lecteurs.
jc
07/12/2020
Je pense que le concept d'égalité n'est pas diabolique, mais seulement (très) difficile à cerner, parce qu'on touche nécessairement au principe d'identité.
Wiki: Le « diabolique », antonyme littéral du « symbolique », est ce qui divise (du grec διαβάλλειν / diaballein, de dia- à travers, et -ballein, jeter, c'est-à-dire « diviser, disperser », par extension « rendre confus »). Le diabolique est, au sens propre, pour les Grecs, le bâton qui semble rompu lorsqu'il est plongé dans l'eau ; au sens figuré, c'est l'apparence trompeuse.".
Simone Weil écrit dans "L'enracinement" : "Un gouvernement qui emploie des paroles, des pensées trop élevées pour lui, loin d'en recevoir un éclat quelconque, les discrédite et se ridiculise. C'est ce qui s'est produit pour les principes de 1789 et la formule « Liberté, Égalité, Fraternité » au cours de la IIIème République."
Définir un concept est, on le sait, un exercice difficile pour les concepts primitifs parce que l'on butte alors sur le problème de l'auto-référence.
Comment les matheux, experts en définitions*, s'en tirent-ils dans de tels cas, par exemple pour les concepts d'égalité et d'ensemble (set en anglais) ? Qu'en est-il dans la théorie des ensembles de Zermelo-Fraenkel (ZF) chère à Badiou ? Lorsqu'un concept est primitif on ne peut le définir qu'en intention (alias compréhension), c'est-à-dire en essence, en listant sous forme d'axiomes les propriétés "essentielles" que le concept doit vérifier en espérant ne pas aboutir à une contradiction (la définition en extension, existentielle, est impossible dans ce cas, puisque faisant nécessairement appel à des concepts plus primitifs). Il me semble qu'il y a là matière(!) à réflexion pour les matérialistes, pour qui l'existence implique l'essence…
[J'en profite pour citer ici un extrait de l' "Éloge des mathématiques" de Badiou, que je laisse à l'appréciation de chacun: "Dès "L'être et l'évènement" (1988), j'ai donc proposé (...) de sauver l'absoluité des vérités sans recours à aucun Dieu, d'incorporer purement et simplement à la méditation philosophique, comme condition fondatrice, la théorie des ensembles.]
À ma connaissance les matheux n'ont pas réussi à ce jour à trouver des concepts plus primitifs permettant de définir le concept d'ensemble (ZF n'a pas encore sombré!). Qu'en est-il de l'égalité ? Dans ZF l'égalité n'est pas un concept primitif parce qu'il y a un axiome qui exprime que ce n'en est pas un. Cet axiome "naturel", qui dit que deux ensembles sont égaux si et seulement si ils ont les mêmes éléments, définit l'égalité à partir de l'appartenance et est, sans surprise, appelé axiome d'extensionnalité (l'appartenance est ici un concept primitif qui se définit en intention en même temps que les ensembles et par les mêmes axiomes).
En géométrie les cas d'égalité des triangles de ma jeunesse sont maintenant précisés par les cas d'isométrie ou cas de similitude. L'approfondissement du concept d'égalité en géométrie conduit tout droit au programme (abyssal) d'Erlangen**.
En analyse le problème de la somme d'une série infinie de nombres conduit à s'interroger sur l'égalité. Par exemple la série 9/10 + 9/100 + 9/1000 + ... , c'est-à-dire le nombre 0,999… est-il ou non égal à 1 ? Ce problème, véritablement philosophique puisque lié aux paradoxes de Zénon, est traité par René Guénon (entre beaucoup d'autres, dont bien entendu des matheux) dans "Principes du calcul infinitésimal".
Le médaillé Fields Pierre Deligne, élève de Grothendieck (sans doute le meilleur), a fait une conférence vidéo sur l'égalité en Mathématiques, mais je ne la retrouve pas sur la toile.
*: Les mathématiques modernes en général et la théorie des ensembles en particulier ont engendré -et engendrent encore- des crises de définitionnite aigüe (j'ai eu sous les yeux un bouquin de géométrie de lycée avec beaucoup plus de définitions que de propositions et ... de figures.
**: https://fr.wikipedia.org/wiki/Felix_Klein
OLIVIER RICHE
07/12/2020
Bouddha Gotama
« Il faut vous exercer ainsi : de ce qui est haut à ce qui est haut, d'une force à l'autre, nous nous efforcerons d'avancer et nous en viendrons à réaliser la Liberté suprême ».
Anguttara-Nikâya 3, 215-218. Citer dans "La pensée de Gotama le Bouddha" Ananda K. Coomarasamy. Éditions Pardès Puiseaux 1987, page 70.
Empédocle
« Marchant toujours de cime en cime (je ne dois pas) dans mon discours suivre une route unique ».
« De la Nature ». Fragments 24
jc
07/12/2020
Rendons au Diable ce qui est au Diable et à Dieu ce qui est à Dieu !
Lind : "Pour que les formes soient en harmonie, chacun et chaque chose devaient être à la place qui lui était assignée, et faisant ce que Dieu voulait qu'il soit fait.".
Les anciens croyaient en l'harmonie du cosmos, que ce cosmos soit perçu géocentriquement ou héliocentriquement (ou autrement encore). Wiki: "La notion d'harmonie des sphères remonte indirectement, sans que ce soit historiquement attesté, au pythagoricien Philolaos, vers 400 av. J.-C. Philolaos est à la fois mathématicien et astronome. Pour lui, le monde est « harmonie et nombre », tout est arrangé selon des proportions qui correspondent aux trois consonances de base de la musique : 2:1* (harmonie), 3:2 (quinte), 4:3 (quarte).".
C'est ainsi que raisonnaient les astronomes, Képler compris, avant Newton et sa loi d'attraction universelle**.
Je n'aime pas "notre" devise républicaine Liberté-Égalité***-Fraternité. Je lui préfère Ordre-Harmonie-Équilibre (le choix de PhG, me semble-t-il) ou Unité-Harmonie-Diversité.
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*: Je me suis amusé à chercher des harmonies naturelles dans notre environnement. En fouinant sur la toile j'ai trouvé que l'alternance diastole/systole du cœur humain et l'alternance expiration/inspiration des poumons étaient, au repos, très proches de ce rapport.
**: http://oncle.dom.pagesperso-orange.fr/sciences/astronomie/histoire/loi_de_bode/bode.htm
***: Cf. à ce sujet "L'enracinement" de Simone Weil, où le chapitre intitulé "L'égalité" ne parle en fait essentiellement que de proportion (et donc d'harmonie, bien que ce mot ne soit pas utilisé, ce qui m'étonne un peu après lecture du paragraphe "Pythagore et Platon ou la médiation par l'amour" de sa fiche Wiki).
jc
07/12/2020
Bien que certains le soient plus que d'autres, et que certains soient plus conscients de l'être que d'autres, je crois que nous sommes tous des logocrates*. Les enfants sont pour moi des logocrates archétypes, à la fois les plus logocrates et les plus inconscients de l'être (je crois à l'adage "la vérité sort de la bouche des petits enfants"). "Notre" éducation fait que cette capacité innée à dire la vérité s'estompe et se pervertit avec l'âge et qu'il est donc plus difficile de la saisir à l'âge adulte. Dans les cas les plus extrêmes de ceux dont la profession est de mentir, il ne reste donc plus guère, me semble-t-il, que le lapsus**. Et peut-être Trump en fait-il moins que d'autres (l'avantage des tweets?) ?
*: Thom: "Dans le domaine des sciences humaines, il m'est difficile de me rendre compte si ma tentative présente quelque intérêt ; mais en écrivant ces pages, j'ai acquis une conviction ; au cœur même du patrimoine génétique de notre espèce, au fond insaisissable du logos héraclitéen de notre âme, des structures simulatrices de toutes les forces naturelle extérieures agissent, ou en attente, sont prêts à se déployer quand ce deviendra nécessaire. La vieille image de l'Homme microcosme reflet du macrocosme garde toute sa valeur : qui connaît l'homme connaîtra l'univers." (SSM, épilogue)
**: https://www.dedefensa.org/article/rapsit-usa2020-biden-freud-leur-lapsus
jc
07/12/2020
J'ai écrit par ailleurs que Badiou était l'un des rares philosophes actuels à avoir fait l'effort de s'intéresser aux mathématiques contemporaines et que cet effort n'était très certainement pas "rien". Et j'ai ajouté qu'il avait une prédilection pour la théorie des ensembles (de Zermelo et Fraenkel -ZF-). Du fait que que les seuls symboles non logiques essentiels du langage sont ∈ et = suit que ce qu'on peut exprimer à l'aide de ce langage est nécessairement très restreint, pas très éloigné du "rien"; on notera que c'est en quelque sorte le langage du capitalisme -l'appartenance*...- (je n'ai pas assez lu Badiou pour savoir s'il l'a remarqué...).
Parmi les axiomes de ZF se trouve un axiome dit "de fondation" qui assure qu'il n'y a pas de chaîne infinie descendante pour la relation d'appartenance et, par conséquent tout chaîne descendante pour l'appartenance se termine par l'ensemble vide ∅ (dont l'existence et l'unicité sont conséquences des axiomes de ZF). Dit en langage de tout les jours cela signifie que tous les modèles** de ZF reposent sur le vide ! Thom consacre une partie de l'article "Les mathématiques modernes: une erreur pédagogique et philosophique" (AL) à montrer que ces constructions sont délirantes. Dans l'une des notices apparues sur la toile après la mort de Thom on trouve :
"C'était la crème des hommes", estime Jean Petitot. En même temps, "il pouvait affirmer ses idées avec beaucoup de force, jusqu'à être intellectuellement violent", estime Alain Chenciner, co-directeur d'une équipe de recherche à l'Institut de mécanique céleste de l'Observatoire de Paris. Plus d'une fois, son sens de la formule a fait mouche, comme lorsque, rejetant une idée qui lui paraissait insignifiante, il lâchait : "Je laisse cela aux spécialistes de l'ensemble vide"***. Peut-être pensait-il alors à Badiou et cie ?
*: et l'égalité ! (https://www.dedefensa.org/article/au-diable-legalite )
**: Modèle d'une théorie: construction construction concrète ou abstraite (ici vertigineusement abstraite car l'un des axiomes de ZF postule l'existence d'un ensemble infini), qui satisfait les axiomes de ZF.
***: http://savoirs.essonne.fr/thematiques/la-matiere/mathematiques/rene-thom-mathematicien-philosophe/
David Cayla
07/12/2020
En lisant ce texte, je me suis fait la réflexion que par contraste avec les Démocrates, les Républicains sont très attachés à l'ordre, la tradition, et en particulier la loi et le respect de la loi.
Mais, et je parle là des caciques républicains, il semblerait qu'ils n'aient jamais été réellement confrontés à la réalité de leur propre système judiciaire (ou disons qu'ils s'en accommodaient d'autant mieux qu'il cédait aimablement à leurs sollicitations ou savait se montrer indulgent au besoin). Ainsi, derrière ces recours forcenés qui s'empilent les uns sur les autres avec célérité, il y a effectivement ce côté bouffe avec ces recours que les magistrats rejettent les uns après les autres en balayant systématiquement d'un revers de la main les preuves criantes accumulées sous leurs yeux comme autant de poussières ("Va jouer avec cette poussière").
A rebours de cette tendance, ce n'est pas parce que le Wokenisme est un Rien qui s'affiche sans fards que la société américaniste (et américaine pour le cas des élections présidentielles US) n'est pas profondément pour ne pas dire viscéralement injuste qui méritetait d'être abattu ("Delenda est Systemum").
Et c'est là que se rejoignent ironiquement les deux camps adverses car le premier, celui du Système, incarné par les Démocrates, n'a pas hésité - comme vous le pressentiez - à prendre le contrôle du système judiciaire américain et du système électoral non pas tant sans se dissimuler (la fraude électorale ne peut être que grossière quand il s'agit de renverser un résultat des urnes par trop défavorable) qu'en assumant de devoir dévoiler au grand jour la parodie de justice qu'a toujours été le système judiciaire américain.
Sauf que voilà, le second camp, celui de la Réaction (que je préfèrerais à Anti-Système, Réaction évoquant aussi bien le principe action-réaction bien connu en physique que le concept du "Blow Back" bien connu de la CIA), incarné par les Républicains, ne peut en aucune manière accepter que le système judiciaire américain qui les a si bien servi jusqu'à présent ait été à ce point piraté, détourné de sa finalité première qui était de les protéger, d'assurer la pérennité de la société dans laquelle ils vivaient confortablement jusqu'à présent.
Alors bien entendu, et ce n'est finalement pas illogique, les tenants du Système incarnés au sein des médias (Système) et des GAFA (également Système) ricanent ouvertement des "déboires" de la Réaction qui semble découvrir seulement maintenant comment fonctionne vraiment le système judiciaire. Et après tout, peut-être fallait-il que la Réaction découvre cette réalité, et de quelle mannière !, pour "s'emparer" du sujet ?
Quant à penser que la Réaction "comprendra" une fois tous les recours épuisés (y compris et pourquoi pas auprès de la Cour Suprême des Etats-Unis ?) qu'il ne sert à rien de continuer à ruer dans les brancards et que c'est la Volonté du Système qui s'impose et rien d'autre, les prisons sont remplies de révoltés qui n'ont jamais accepté les décisions qui leur ont été imposées. Les uns acceptent leur sort en silence, les nerfs toujours à fleur de peau quand les autres deviennent des aliénés. Il suffit d'ailleurs de voir comment la population réagit aux alternances de confinement et de déconfinement, comment la raillerie se répand avec la colère qui n'est sans doute pas loin derrière pour comprendre que c'est rien moins qu'évident.
Alors avec des gens, ceux qui incarnent la Réaction, qui ont toujours été persuadés d'être du côté de l'Ordre, bien entendu leur Ordre mais qu'importe, qui se retrouvent brutalement confrontés à ce qu'ils considèrent comme une injustice absolue et qui sont particulièrement bien représentés au sein aussi bien des forces de l'ordre que dans l'armée ?
Et pendant ce temps, comme vous l'aviez écrit, pensé, pour nos dirigeants Système, la crise du coronavirus est effectivement devenue La crise. Ils n'ont jamais su aborder les autres crises autrement qu'en tâchant de les planquer sous le tapis, alors que celle-là, ils ont cru pouvoir la prendre à bras-le-corps, y voyant aussi une occasion inespérée aussi bien de contenir la consommation qui commençait à générer de très fortes pressions inflationnistes, le monde étant arrivé au bout de l'ère du pétrole disponible en abondance à des coûts raisonnables, que de contrôler des populations confinées, assignées à domicile, tout en espérant aussi y voir une manière de traiter la crise sanitaire en elle-même. Mais voilà, elle dure, et elle est devenue une crise en elle-même, omniprésente, étouffante, La Crise pour les contrôler toutes ?
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