ANDO
27/06/2008
La question de l’élargissement de l’OTAN à l’Ukraine et à la Géorgie se pose différemment selon le point de vue, européen ou étasunien, que l’on adopte. Mais les choses évoluent vite (à l’échelle de l’histoire européenne). Pour le régime de Washington lintention stratégique semble transparente. L’intégration de l’Ukraine et de la Géorgie permet d’abord de faire rentrer dans le club deux sujets supplémentaires, sur lesquels le chef du club, la maison blanche, aura, en principe, un vrai pouvoir d’influence. Or cette influence est tributaire de la position centrale des Etats-Unis dans cette organisation. Celle-ci est de plus en plus contestée, même si cette contestation ne déborde pas dans les médias grands publics. Le sens de l’histoire est à une mutation (voire une dissolution) de cette organisation au profit d’une structure davantage centrée sur les intérêts européens et dans laquelle la Fédération de Russie devra donc figurer comme membre de plein droit. L’affaiblissement étasunien, qui devrait s’approfondir dans les deux années qui viennent, ne garantit donc pas que l’Ukraine ou la Géorgie deviendront des sujets dociles de la politique de Washington. Ensuite, dans la mentalité des stratèges étasuniens, il est impératif de conserver séparés Russie et Ukraine de même qu’il était impératif pour la génération d’après-guerre que les deux Allemagnes restent séparées. Certes, la comparaison est contestable sous l’angle de la menace puisque l’URSS n’a jamais représentée un réel danger pour l’Europe de l’Ouest mais elle illustre le principe de base “diviser pour affaiblir et donc pour régner”). L’intégration de l’Ukraine à l’OTAN peut sembler un moyen d’atteindre cet objectif mais cest une illusion ne serai-ce que parce que léconomie ukrainienne nest jamais quun morceau de léconomie russe. Enfin, l’admission de la Géorgie permettra la création d’une solide tête de pont militaire dans les Balkans, la Caspienne étant l’objectif.
En réalité, un découplage devrait intervenir entre les deux rives de l’Atlantique à la faveur de la crise financière en cours tandis que l’expansion économique russe va d’une part lui permettre de substituer, au moins en partie, son influence économique à son influence militaire (ce qui pourrait favoriser à terme le retour de l’Ukraine et de la Biélorussie dans leur giron naturel, à savoir le giron russe, n’en déplaise aux Polonais, aux Roumains et Autrichiens) et d’autre part mettre en uvre un authentique rapprochement avec la partie ouest du continent. Dés lors que la douce propagande ambiante cessera de présenter de manière latente le monde russe (dont font partie lUkraine et la Biélorussie) comme un ennemi dautant plus menaçant quon le connaît mal, ou pas du tout, il ne sera plus nécessaire de chercher à laffaiblir. Jobserve dailleurs que les mêmes qui dépeignaient il y a à peine quelques années la Russie comme un pays perdu, laissé au bord du chemin, condamné à un processus de décomposition sans fin, en font aujourdhui un tableau tout également surréaliste : une grande puissance ressuscitée, ce qui est loin dêtre le cas. On a dailleurs limpression que les Européens du club « Union européenne » envient désormais cette illusoire puissance retrouvée qui nest simplement que le reflet, dans leur esprit, des marges de manuvre quils ont perdu en intégrant le club. Ironiquement, la Russie pourrait ainsi simposer comme le leader naturel (et pacifique) du continent du simple fait que cest désormais le seul Etat denvergure libre de définir sa politique hors du carcan atlantiste.
Le sens profond des événements en cours est la reconfiguration lente mais inéluctable du continent européen, cette reconfiguration visant ni plus ni moins que la réunification du continent dans sa mouture d’avant 1914. Cette réunification simpose delle-même, sans quil soit même besoin quelle fasse lobjet dun projet politique, tant elle semble aller de soi, évidente et naturelle. Mouvement qui se fera évidemment au détriment des intérêts du régime de Washington, les Etasuniens étant ici, selon l’expression de Del Valle non pas des ennemis mais des adversaires.
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