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Article : Profanations

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Maître de mes silences, prisonnier de mes caricatures

lutgen pierre

  17/02/2015

Voltaire disait : « Je ne suis pas d’accord avec ce que vous dites, mais je défendrais jusqu’à la mort celui qui veut vous enlever le droit de le dire ». Qui après le siècle des Lumières oserait encore contester et brimer le droit à la libre expression en Occident, à part éventuellement l’Encyclique de Grégoire XVI, le « Maulkorbgesetz » luxembourgeois,  Mein Kampf ou le Patriot Act ?

Kierkegaard modérait un peu la déclaration de Voltaire en disant que cette liberté d’expression ne devait pas être une porte ouverte sur la stupidité. Montaigne disait : « Le grossier parle quand le sage se tait » et Einstein : « Il y a deux infinis, l’univers et la sottise ». Mon droit à la parole, la liberté de m’exprimer, la liberté de la presse ne veulent pas dire que j’ai l’obligation de dire tout ce qui me passe par la tête. Liberté d’expression, ne veut pas dire liberté d’insulter. Cette liberté est plutôt la liberté du choix de ce que l’on va dire, car comme dit l’écrivain argentin Eduardo Fereyra «  Je suis le maître de mes silences, mais prisonnier de mes paroles ».

Chez les adultes, au contraire des enfants, cette liberté doit être régie par la discrétion et la prudence, la sensibilité aux autres personnes, et par le respect des différences culturelles.
On a l’impression que pour certains la liberté d’expression correspond à la possibilité de se moquer des autres, à les insulter, à les humilier, à les dépeindre comme inférieurs. La liberté de presse n’a rien à voir avec le besoin d’insulter ou le besoin de dénigrer des symboles religieux. Ce qui est sacré pour l’autre et ce qui fait partie de sa sphère intime ne m’appartient pas. Les enfants impolis qui de mon temps insultaient d’autres personnes recevaient une raclée. Et les cartoons français reflètent une immaturité et une grossièreté infantile. Voltaire les aurait reniés.

Ils sont le reflet d’une société déchristianisée qui a perdu le sens des valeurs religieuses et qui se trouve mal à l’aise devant des hommes et des femmes qui vivent encore leur religion. Aussi parle-t-on non du christianisme face à l’islam mais de l’Occident face à l’Islam. Mais nous oublions qu’il y a quelques années le film « La dernière tentation du Christ » avait quand même mis quelques salles de cinéma en feu. Nous ne nous permettrions pas de montrer un rabbin hasidim avec une un chapeau contenant une bombe, sous peine de poursuites pour antisémitisme.

Mais il y a aussi la fausse tolérance qui se cache par l’appel à de nouveaux droits. Ainsi en est-il du nouveau pseudo-droit au blasphème ou de la prétendue liberté d’offenser. Il n’est pas de citoyenneté sans respect des autres citoyens. La tolérance ne consiste pas à tout admettre, mais aussi à s’interdire de blesser la pensée des autres. Le problème n’est pas dans la critique des convictions ou des religions, il tient dans la manière de le faire, ce qui devrait écarter l’excès, la grossièreté, les approximations historiques.

Bia Kjaersgaard, chef de file du parti d’extrême droite danois, DVP, a déclarait publiquement il y a quelques années : » Il n’y a qu’une civilisation, la nôtre. L’islam est un cancer »?

Nous confondons souvent pouvoir et liberté. Quand mon pouvoir augmente, celui de l’autre diminue. Par contre, quand ma liberté augmente, la liberté de l’autre doit augmenter également. Sinon on est dans le cas de la liberté exportée par la puissance militaire américaine dans les autres régions du Monde. Cette démocratie-là, imposée à coups de canon, ou gérée par des régimes à la solde est une prison où les gens sont torturés. N’oublions pas que les résistants luxembourgeois étaient également qualifiés de terroristes par l’occupant nazi..

La duplicité américaine

Ne nous faisons pas d’illusions sur les intentions de ces missionnaires chrétiens armés provenant des plaines du Middlewest et du Texas. La seule raison de leur présence au Moyen-Orient est le pétrole. Tous les coups bas, toutes les tortures, toutes les violations des droits de l’homme, toutes les alliances sont permises pour garder l’accès à la manne pétrolière.

La CIA a remplacé Mossadegh en 1953 par le Shah quand Mossadegh voulait nationaliser le pétrole iranien. Une alliance avec Hussein permettait de faire la guerre contre les mollahs iraniens, une alliance était possible avec Ben Laden et les Taliban parce qu’elle permettait de contrecarrer les Russes et éventuellement de construire un pipeline en Afghanistan. On inonde les rebelles islamistes syriens contre Assad pendant des années avec des armes et on s’étonne de les retrouver chez les jeunes désorientés qui reviennent de là. Israël reçoit $5 000 000 000 de subsides par année (beaucoup plus que les €300 000 que la CE donne à la Palestine) pour renforcer son armée, construire un mur de la honte, tuer des milliers d’enfants à Gaza dans des bombardements, y inclus douze journalistes.

Mais l’alliance la plus condamnable est celle que les Etats-Unis ont établie avec l’Arabie Saoudite où ils soutiennent à bout de bras un régime tyrannique. L’Arabie saoudite impose à ses sujets l’islam le plus rigoureux, à l’égal des talibans. Mais au contraire des chefs talibans, les princes saoudiens se vautrent dans la corruption et le luxe. Au cours de décennies les Saoud ont mis en place un système totalitaire d’une violence et d’une cruauté qui fait froid dans le dos.  Impuissants devant cette alliance entre les néo-conservateurs et une classe dirigeante corrompue, impuissants devant les images de soldats américains qui urinent sur le Coran à Guantanamo, impuissants devant les images d’Irakiens torturés à Abughraib, impuissants devant les images de Palestiniens humiliés par des troupes d’occupation racistes il ne faut pas s’étonner que la marmite du monde arabe éclate.

Faisons un peu la part des choses ! Juger les musulmans sur base d’une minorité de fondamentalistes serait comme juger la société européenne sur le comportement de nos hooligans, ou juger la société américaine sur les tortures commises à Guantanamo ou Abu Graib ou juger la communauté juive sur base des colons des territoires occupés qui tirent au fusil à lunette sur les villages palestiniens de la vallée.

Respecter les symboles religieux des autres !

Au siècle passé, l’évêque de Cologne a exigé qu’on retire d’une exposition le tableau de Max Ernst où la Vierge Marie donnait une fessée à l’enfant Jésus.
Dans les années 80, Procter & Gamble a retiré son placement publicitaire dans plusieurs chaînes de télévision suite aux pressions d’un mouvement religieux.
Le journaliste Dieudonné a été mis au ban des media français pour ses critiques de la politique d’Israël et d’autres ont été condamnés à la prison pour propos anti-sionnistes..
Le Tribunal de Grande Instance de Paris a prononcé en 2004 l’interdiction d’affichage de la publicité de Marithé utilisant la Dernière Cène.
Aux Etats-Unis la pacifiste Cindy Sheehan avait été arrêtée parce qu’elle portait un T-Shirt qui donnait le nombre de soldats américains morts en Irak.
La législation allemande contient le paragraphe 166 StGB qui permet de condamner ceux se moquent du christianisme ou de toute autre religion « Wer öffentlich oder durch Verbreiten von Schriften den Inhalt des religiösen oder weltanschaulichen Bekenntnisses anderer in einer Weise beschimpft, die geeignet ist, den öffentlichen Frieden zu stören, wird mit Freiheitsstrafe bis zu drei Jahren oder mit Geldstrafe bestraft“.
Et si les récentes caricatures françaises provoquent une sensibilité dans le monde musulman qui nous paraît exagérée, il faut se rappeler que pendant des siècles le monde occidental chrétien a dénigré les Arabes. Nous avons oublié les massacres des croisés, les Arabes eux ne les ont pas oubliés. Dante décrivait Mohammed comme un être dévoyé et lubrique dont la place était au fin fond de l’enfer. La chanson de Roland est le récit épique de la victoire d’un héros chrétien sur des traîtres sarrasins et les chansons de gestes à côté des louanges de leurs dames de cœur ne manquaient aucune occasion pour décrire les fourberies des vils Arabes basanés contre lesquels se battaient de preux chevaliers blonds.
Reste que la liberté d’expression doit rester un des droits humains les plus importants, particulièrement face aux prétentions de contrôle des Etats alimentées par la peur et la menace de violence. Elle n’est pas là pour protéger la voix des puissants, des dominants ou le consensus. Elle est là pour protéger les diversités, les opinions et les recherches.

Un racisme latent

Quand on dénigre globalement un groupe, tout un peuple sans distinguer entre individus, on tombe dans les travers du racisme. Pour Hitler tous les juifs étaient fourbes et devaient être mis à l’écart, pour les Luxembourgeois d’après-guerre une méfiance profonde de Italiens immigrés était de mise, les Sud-Africains parquaient les Noirs dans des townships et les Israéliens enferment les Palestiniens derrière un mur.

Au lieu de publier des barbouillages qui de fait font étrangement penser aux caricatures antisémites du journal nazi « Der Stürmer », et de vouloir continuellement avec une liberté de presse sans gêne présenter tous les musulmans comme des arriérés,  ne vaudrait il pas mieux que notre presse libre lance des investigations sur les transports de certains musulmans à travers nos pays vers des chambres de torture, sur les humiliations des Palestiniens et des Irakiens par des troupes d’occupation, sur les 500 000 Irakiens morts dans les bombardements américains depuis 1990.

Pierre Lutgen
L-6988 Hostert

@lutgen pierre -

Dedef

  18/02/2015

“Voltaire disait : « Je ne suis pas d’accord avec ce que vous dites, mais je défendrais jusqu’à la mort celui qui veut vous enlever le droit de le dire ».”

Vous êtes sur? vraiment sur?

Voltaire n'a jamais dit ça

Alain Vité

  21/02/2015

La citation a été extraite d’un ouvrage d’Evelyn Hall en 1906, dans une exégèse de Voltaire.

https://fr.wikipedia.org/wiki/Voltaire#La_libert.C3.A9_d.27expression

(Bien pratique, Wikipedia, parfois)

“Je ne suis pas d’accord avec ce que vous dites, mais je me battrai jusqu’à la mort pour que vous puissiez le dire” n’apparaît dans aucun écrit ni citation de Voltaire, et eut été en fait improbable de sa part.

D’une part, parce qu’il était combattif et ne rechignait pas à faire taire ses adversaires avec virulence, voire avec - rarement mais parfois - une pointe de vice. Il avait plein de défauts, c’est ce qui le rend aussi énervant qu’attachant encore aujourd’hui. Et lui-même ne se prétendait pas du tout parfait.
D’autre part, il était bien pris avec ce qu’il avait lui-même à dire, autant à cause de sa fertilité littéraire que des pressions de l’Eglise.

Et enfin, justement… cette phrase écrite par Evelyn Hall, était située dans le cadre d’arguties entre Voltaire et un abbé, c’est à dire un homme d’Eglise. Avec ce qu’il subissait comme censure et oppression de la part de l’Eglise, et alors qu’il voulait par dessus tout affaiblir celle-ci dans l’espace public, il est invraisemblable d’imaginer Voltaire tendant du bâton à son ennemi pour se faire battre.

Les principes sont au service de la réalité vécue, et non des absolus auxquels se soumettre aveuglément. Sinon, on finit par fonder une Eglise… Voltaire semblait avoir une conscience aigüe de cet équilibre nécessaire à atteindre, pour persévérer à devenir puis rester un ‘honnête homme’.

Voir pour exemple actuel, le cas ricatural de la liberté d’expression, qui a engendré un monstre d’arbitraire, de censure et de conformisme en Occident - de facto une Eglise au sens voltairien du terme, ironie de la situation incluse.

Ces détails issus de Wikipedia recoupent ce que d’autres connaisseurs disent.

Au bout du compte, toute cette histoire de la citation de Voltaire est un cas banal d’erreur de lecture, reprise partout comme argent comptant, puis édifiée en vérité, et plus jamais vérifiée.

Une rumeur, quoi. Une rumeur colportée par l’Eglise de la liberté d’expression…

@lutgen pierre - @Alain Vité

Dedef

  27/02/2015

Surtout que la phrase:

« Je ne suis pas d’accord avec ce que vous dites, mais je défendrais jusqu’à la mort celui qui veut vous enlever le droit de le dire ».”

a un sens bien différent de :

“Je ne suis pas d’accord avec ce que vous dites, mais je me battrai jusqu’à la mort pour que vous puissiez le dire”.

Elle dit même l’inverse.