Coli
25/02/2010
‘Le Monde’ s’est fendu hier d’un article de la même eau sous la plume de François Fourquet, qui s’interroge sur la capacité de la Chine à prendre le “leadership” mondial, avant de conclure que décidément non, la Chine ne sest pas suffisamment convertie à la tolérance occidentale pour pouvoir aspirer à cette place enviable. « Les Etats-Unis tiennent le manche, et pour longtemps encore » écrit-il.
On y retrouve une fois de plus les mêmes présupposés, la même vision anglo-saxonne sur la prépondérance de léconomie, à savoir : il y a toujours un « leader », cette place est nécessaire, il nest pas concevable quelle soit laissée vide, les chinois y aspirent forcément, ça a toujours été comme ça, ça le sera toujours, une puissance en remplace toujours une autre etc, etc .. Avec comme « perle » à la fin de larticle une ouverture vers lInde qui pourrait elle, prétendre à ce rôle, car elle partage les mêmes valeurs que lEurope ????
Depuis longtemps déjà, l’‘humanité forme une société mondiale. Qui dit société, dit pouvoir. Il existe un pouvoir mondial, et ce sont les Etats-Unis d’Amérique qui le détiennent depuis soixante-dix ans : un “leadership mondial”, plutôt qu’un pouvoir comme celui qu’un Etat-nation exerce sur son territoire. Qui prendra la relève du leadership américain ? On se rassure avec l’idée d’un monde multipolaire, que l’on veut croire équilibré et sans guerre.
Mais sur le plan économique, en tout cas, le monde n’a jamais eu, depuis 1500, qu’un seul pôle dominant à un moment donné. Il y eut certes une sorte d’hésitation dans les moments de passage d’un leadership à l’autre, par exemple de la Hollande à l’Angleterre au XVIIIe siècle, puis de l’Angleterre aux Etats-Unis au XXe siècle.
Ce furent des périodes de troubles et de guerres mondiales en vue de conserver ou de conquérir le “sceptre du monde”. Mais il ne saurait y avoir deux leaders mondiaux, pour la même raison que dans la chrétienté médiévale il ne pouvait y avoir deux empereurs ou deux papes en même temps, sinon dans les moments de crise.
Avec la montée en puissance des pays émergents, on parle beaucoup du défi que la Chine lance à l’Amérique : elle aurait l’ambition de conquérir le leadership du monde, de redevenir l’empire du Milieu qu’elle a cru être jadis. Des observateurs interprètent ainsi son attitude au G20 ou à Copenhague en 2009. “Elle réclame désormais sa part de gouvernance du monde”, nous dit Thierry Wolton (Le Monde du 15 janvier). Mais c’est une illusion : elle n’aura pas les moyens de sa prétention aussi longtemps qu’elle restera prisonnière de son régime politique et religieux.
Avant que l’Angleterre pût arracher la suprématie à la Hollande, elle avait bénéficié d’une étonnante “transfusion de civilisation”, d’intelligence, de savoir-faire en provenance de sa petite voisine. De même les Etats-Unis reçurent en héritage de l’Europe et surtout de l’Angleterre ce qu’il y avait de mieux en matière d’hommes et de femmes, de savoir-faire, de technique, de science et d’esprit d’entreprise : ce fut une formidable “transfusion de civilisation” à travers l’Atlantique, beaucoup plus qu’un simple transfert de technologie.
Dans cette transfusion, il y avait un élément si fin et si ténu qu’on le distingue à peine, mais qui est d’une extrême importance : la tolérance. La tolérance était la condition fondamentale pour qu’une puissance puisse exercer le leadership de l’économie-monde européenne ou pour porter le défi au leader. Pour attirer les flux, il faut les accepter tous, y compris sur le plan religieux.
Amsterdam accueillait tous les réfugiés d’Europe, qu’ils fussent juifs portugais expulsés ou artisans, banquiers ou intellectuels français protestants fuyant le fanatisme catholique de Louis XIV, qui confondait pouvoir d’Etat et autorité religieuse. Londres accueillait tout le monde, fascinait et faisait rêver nos philosophes, Voltaire surtout qui y avait séjourné et lu la Lettre sur la tolérance, de John Locke, auquel il a rendu hommage en écrivant plus tard un poignant Traité de la tolérance.
Voilà pourquoi Paris, ville prestigieuse, mais tenue par la lourde main d’un roi intolérant, n’a jamais été, à aucun moment, une capitale de l’économie-monde européenne. Les Américains ont reçu des Anglais un héritage précieux au moment même où ils rompaient leur lien de dépendance et rejetaient leur tutelle : l’esprit de leurs institutions. Si plus tard ils ont gagné la guerre froide, c’est que la religion de la démocratie et des droits de l’homme s’était infiltrée subtilement dans l’esprit des gens et même des dirigeants vivant sous l’empire du communisme, cette religion rigide et totalitaire.
Voilà pourquoi enfin la Chine, malgré tout son poids en termes de nombre d’hommes, d’industrie, de réserves financières et de PIB, n’a pour l’instant aucune chance de diriger le monde. Diriger, ce n’est pas peser lourd, ce n’est pas imposer, c’est attirer, entraîner : le leadership n’existe qu’à condition d’être accepté, et même parfois souhaité par ceux sur lesquels il s’exerce, comme une partie du monde l’a fait lorsqu’en 1941 les Américains se sont emparés résolument du sceptre du monde qui allait à vau-l’eau depuis que l’Angleterre y avait renoncé en 1931.
Or la Chine, nous le voyons tous les jours, est encore engoncée dans un manteau à demi totalitaire qui gêne ses mouvements et fait peur à tout le monde. Janos Kornaï, économiste hongrois à l’époque socialiste, définissait l’économie socialiste par le monopole politique d’un parti communiste.
Or le Parti communiste chinois possède encore ce monopole, bien que son marxisme ait largué les amarres avec la doctrine marxiste et la propriété collective. Happé, englouti par une tradition impériale vieille de deux millénaires et justifiée par une religion sectaire, ce parti reste foncièrement intolérant.
Il ne sait que dire non, il se raidit, il se crispe, il ferme la Chine à toute influence provenant de la religion de la démocratie - la nôtre et celle d’une bonne partie du monde. Ses dissidents en souffrent tous les jours et nous le disent tous les jours. Rompre avec cette tradition de fermeture, s’ouvrir vraiment au monde (et pas seulement à ses capitaux), telle est la condition pour qu’un jour la question d’un leadership chinois puisse seulement se poser.
L’Inde, moins “pesante” peut-être, mais partageant en propre avec l’Europe une tradition de tolérance religieuse bien plus ancienne que sa conquête par l’Angleterre, a plus de chances d’offrir un jour le profil d’un challenger éventuel. Mais, en attendant, le monde tourne et les Etats-Unis tiennent le manche, et pour longtemps encore.
ZC
26/02/2010
réponse à Coli:
voila une analyse excusivement eurpéocentriste, le sceptre du monde dans les circonstances historiques décrites n’a jamais été tenu d’une seule main; ainsi l’Empire turco-musulman était tout aussi prospère et ouvert que ne l’était la hollande au XVIème, sa sphère d’influence était tout ausi “mondialisée” que celle couverte par l’Occident.
Mais aucun manuel d’histoire occidentale n’en raconte la puissance et l’importance.
Aujourd’hui l’asie est un monde à elle toute seule, sa puissance est palpable dans l’immense sphère asie pacifique; C’est d’ailleurs là que le bât blesse; ils n’attendent plus grand chose de l’Occident.
Quand à la tolérance et l’humanisme qui permettraient à un Etat de revendiquer de tenir le sceptre du monde, il convient de rappeler que l’Angleterre et la France du XIXème siècle se sont plutôt illustrées par des occupations coloniales qui ont laissé peu de marge aux populations appelées sous le doux nom d’indigènes,à en comprendre le sens.
Quant à la “transfusion d’intelligence”, là encore,il convient de préciser que grâce à la “mondialisation” qui a pour conséquence la desindustrialisation de l’Europe , la Chine a pu obtenir l’accès aux brevets européens, sans effort, et tout ce qui compte d’ingeenérie en Occident rêve de travailler à Shangaî.
Oui nous sommes à l’aube d’un basculement phénoménal qui verra le monde regarder vers l’Est, comme l’avait annoncé il y à presque un siecle Claude Levi-Strauss
Francis Lambert
26/02/2010
@ ZC à lire c’est passionnant
L’EXTRÊME-ORIENT ET NAPOLÉON BONAPARTE (pdf) par Pierre-Richard Féray
http://www.feray.org/pdf/NapoleonOrients.pdf
J. Tulard [Napoléon ou le mythe du sauveur, 1977, 2001] rapporte le propos plus élégamment : « l’Europe n’est qu’une taupinière. Tout s’use ici. Il faut aller en Orient, toutes les grandes gloires viennent de là ! » Et Napoléon ajoute : « les grands noms ne se font qu’en Orient » [ibid., p. 93-102].
Coli
27/02/2010
@ZC
Je suis assez d’accord avec votre analyse, la vision donnée dans cet article est assez révélatrice de la vision simplifiée de l’histoire en vogue en ce moment, mais celle-ci n’est pas seulement eurocentriste (et économico-centriste AMHA), elle est fausse, même au niveau de la seule Europe. Après les Carolingiens aucune puissance n’a vraiment été en mesure de dominer le continent, ou en tout cas, pas pour longtemps.
Ce qui a caractérisé l’Europe, c’est la recherche d’équilibre permanente par le jeu des alliances pour contrer immédiatement la puissance montante du moment. On peut parler à la limite de centre(s) financier(s) prépondérant(s), mais il y a toujours eu bien d’autres facteurs de rayonnement en Europe.
ZC
27/02/2010
je lirai c’est promis
Franck du Faubourg
28/02/2010
une analyse intéressante de la situation par William Engdahl :
http://www.corbettreport.com/mp3/2010-01-21%20William%20Engdahl.mp3
... c’est plutot sur la fin de l’interview.
Francis Lambert
01/03/2010
- pas d’impôts sur les bénéfices ;
- pas d’impôts sur la propriété ;
- pas d’impôts locaux ou nationaux ;
- un impôt raisonnable de 35% pour ceux qui gagnent le plus ;
- des impôts sur les entreprises de 0% pendant trois ans puis de 15% par an ensuite.
“Et surtout, ce n’est pas une économie casino comme les Etats-Unis. La Chine va vendre 30% de véhicules de plus cette année que ce qu’il va se vendre aux Etats-Unis… 93% de ces véhicules vont être payés cash”.
“Pour un prêt immobilier, vous avez besoin d’un apport de 30%. Pour qu’une entreprise privée obtienne un prêt, il faut justifier des actifs de la compagnie, c’est-à-dire le site et les équipements. Il n’y a pas d’effet de levier ici”.
“C’est un pays dans lequel il n’y a qu’un parti, mais au moins il se concentre sur son peuple. [Aux Etats-Unis], nous avons un système à deux partis, qui nous ont tous les deux laissés tomber. (...)
“Des systèmes de trains à grande vitesse qui fonctionnent, 50 nouveaux aéroports au cours des cinq dernières années—il faut le voir pour le croire”.
Francis Lambert
01/03/2010
http://www.la-chronique-agora.com/articles/20100301-2540.html
La Chine en tête… à bien des égards
par Addison Wiggin
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