GEO
27/12/2011
Commentaire n° 317, 15 novembre 2011
http://www2.binghamton.edu/fbc/commentaries/archive-2011/317fr.htm
« Le retour de laxe Paris-Berlin-Moscou »
Je suis toujours stupéfait de voir à quel point les dirigeants politiques et les médias du monde entier peuvent consacrer tant dénergie à débattre de perspectives géopolitiques qui ne se produiront certainement jamais lorsquils ignorent les développements majeurs qui sont en train de se produire réellement.
Voici une liste des non-événements soi-disant les plus importants à venir qui ont été récemment et bruyamment débattus et analysés : Israël, qui ne va certainement pas bombarder lIran ; leuro, qui ne va certainement pas disparaître ; le rôle des puissances étrangères, qui ne vont certainement pas sengager dans une action militaire en Syrie ; la montée des troubles populaires à travers le monde, qui ne sont certainement pas près de sarrêter.
Pendant ce temps, et recevant une couverture médiatique et internet minimale, le Nord Stream a été inauguré le 8 novembre à Lubmin sur la côte baltique allemande en présence du président russe Dimitri Medvedev, de la chancelière allemande, des premiers ministres français et néerlandais ainsi que du directeur de Gazprom lexportateur du gaz russe et du commissaire européen à lénergie. Contrairement à tous les non-événements largement discutés qui ne se produiront certainement pas, il sagit là dun événement géopolitique majeur qui change la donne.
Quest-ce que Nord Stream ? Cest un gazoduc installé au fond de la mer baltique qui relie la ville russe de Vyborg, près de Saint-Pétersbourg, à Lubmin en Allemagne, près de la frontière polonaise, tout en évitant de traverser dautres pays. A partir de lAllemagne, il peut continuer sa route vers la France, les Pays-Bas, le Danemark, la Grande-Bretagne et autres clients avides de gaz russe.
Nord Stream est le fruit dun accord conclu entre des entreprises privées avec la bénédiction de leurs gouvernements respectifs. Le Russe Gazprom détient 51% du consortium, deux entreprises allemandes se partagent 31%, et une entreprise française et une autre hollandaise ont chacune 9% des parts. Les investissements afférents (et les profits escomptés) sont tous privés.
Lélément clé de cet accord est que le gazoduc ne traverse pas la Pologne, ni aucun pays balte, ni la Biélorussie, ni lUkraine. Par conséquent, tous ces pays perdent non seulement les taxes de transit quils pourraient appliquer au gaz russe mais ils perdent également lavantage quils pourraient tirer de leur situation géographique. En effet, avec cet accord, ils ne seront pas une voie de passage du gaz susceptible de leur permettre de retenir les approvisionnements vers lEurope occidentale pendant quils négocient des accords avec la Russie.
Deutsche Welle, lagence de presse allemande, a titré « Un projet économique sur fond politique » et Le Monde, « Gazprom s’affirme en acteur global de l’énergie ». Josef Auer, spécialiste des questions dénergie pour Deutsche Bank Research à Francfort-sur-le-Main, est davis qu « il sagit dun projet tout à la fois politique et commercial qui a du sens sur les plans économique et politique ».
Pendant ce temps, les Russes ont dit aux Chinois quils ne leur vendront pas leur gaz à un prix 30% inférieur aux prix européens, indiquant quils ne voient pas lintérêt pour la Russie de subventionner léconomie chinoise. Et ils ont clairement indiqué au Turkménistan - qui dispose dénormes réserves de gaz naturel - quils ne goûteraient guère que son gaz soit exporté autrement que via la Russie. Linauguration du Nord Stream intervient quelques jours après lannonce par le nouveau président du Kirghizstan de son intention de fermer la base militaire aérienne états-unienne de Manas au terme de son bail en 2014. Cette base a joué un rôle crucial dans la chaîne dapprovisionnement américaine vers lAfghanistan. Clairement, la Russie renforce son contrôle sur les anciennes républiques dAsie centrale de lUnion soviétique.
Tant lEurope centre-orientale que les Etats-Unis découvrent que leurs plans visant à empêcher la création dun axe Paris-Berlin-Moscou ne sont pas viables. Les institutions de lUnion européenne se plient devant cette réalité, comme doivent sy plier beaucoup des pays dEurope centre-orientale. Le pays pour lequel cette situation est le plus difficile est lUkraine qui est déchirée par ces développements. Et les Etats-Unis ? Peuvent-ils en fait y faire grand chose?
Immanuel Wallerstein
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