Desmazieres
08/04/2008
Bonjour,
vous soulevez dans cet article quelque chose de fort intéressant, mais qui n’est pas particulier à l’armée américaine ou au domaine militaire en général.
Ce processus de complexification progressif, qui entraine une augmentation exponentielle des coûts, peut être observé dans toutes les réalisations de notre système moderne; il est chaque jour observable à plus petite échelle dans l’équipement de consommation mis à notre disposition.
Prenez l’exemple d’une voiture; une voiture aujourd’hui remplit la même fonction qu’il y a quarante ans.
Mais ce n’est plus vraiment le même outil, son équipement, ses performances, sa complexité, et les normes, de sécurité en particulier, auquelles elle est soumise ne sont plus les mêmes, ce qui a fortement multiplié son prix.
Cette principe est même connu et suivi par les organismes qui définissent les statistiques d’augmentation du coût de la vie, pour le neutraliser en partie: considérant que les véhicules récents, par exemple, sont plus performants, et qu’ils assurent plus de services que les anciens, et qu’il faut donc rectifier la comparaison, on pondère l’augmentation de leur prix par un indice pour la minorer.
Mais, en réalité, les “améliorations” nouvelles sont de plus en plus superflues, superficielles, de confort, et éloignées de la fonction originelle.
D’une part, l’esprit technique actuel est de plus en plus incapable de “faire simple quand on peut faire compliqué”, et, d’autre part, le système commercial encourage cette complexification; il n’a pas intérêt à faire du simple et basal, mais au contraire à vendre plus de valeur ajoutée: du haut de gamme complexe et surchargé d’options “de séries”.
Soumis à la publicité, nous sommes aussi complices car il n’est pas sûr que nous nous satisferions de matériel et de confort d’il y a quarante ans…
Ce processus est peut-être même plus profond que celà et il paraît inhérent à la trame même de la dynamique de développement de notre système: On le retrouve partout, des méthodes de fabrications industrielles (en passant par exemple par les normes successives de qualité “iso”)et dans les nécessités de “suivi” et de traçabilité, jusqu’à l’administration en général, et a la croissance des corpus juridiques des pays.
Chaque nouveauté est une couche de plus sur la pyramide, sans que l’on puisse effacer l’ancienne, puisqu’elle est intégrée au fondement; on pourrait alors s’attendre à un développement régulier, mais, en réalité, les interactions entre ces “couches” de plus en plus nombreuses se multiplient selon un rythme exponentiel…
On le constate aussi dans le domaine informatique: les nouveaux logiciels nécéssitent de la part de l’ordinateur une augmentation de puissance de plus en plus grande, d’une échelle sans rapport avec ce qu’ils proposent en fait de nouvelles fonctions…
Et quand vous décrivez la décadence de ce grand système qu’est l’OTAN, on a l’impression d’y être…
Ce phénomène a sûrement déjà été étudié; Jacques Ellul l’a mentionné d’une manière générale dans ses livres, si j’ai bonne mémoire.
Serait-ce dans ce genre de processus de croissance de tout système, peut-être lié aux théories du chaos, qu’il faudrait trouver l’annonce de la “limite” du développement moderne?
Dans les années soixantes, je crois, le Club de Rome avait déjà prédit la chute du modernisme par une trop lourde complexification des techniques et des systèmes; et puis la micro-informatique est arrivée, qui a repoussé les limites que l’on croyait apercevoir…
Cordialement Thierry
Philippe Roger
08/04/2008
Chère DeDefensa :
Merci de maintenir un haut niveau de débat et de franc-parler sur la place francophone !
Quelques commentaires sur l’article sur le prix des avions à travers les âges ,dont vous ne relevez pas l’aspect à mon avis un peu trop simple .
Les sauts dans le temps sont plus délicats que cela !
Tout d’abord il y a aussi dans cet exemple un saut dans l’espace : non content d’en faire plus que le P51 , ce qui , comme vous le relevez , n’est pas le sujet , le F22 , comme le JSF , remplace plusieurs appareils spécialisés . Il faudrait donc comparer leur coût de développement à la somme des coûts de développement du P51 ,du P38 ,du P39 , du P40 , du P47, et sans doute , au moins pour le JSF , des B25 ,B26 et des appareils anglais correspondants .
D’autre part le coût de développement du P51 semble tellement faible , même pour l’époque , qu’on peut penser qu’il n’inclut pas le développement des deux moteurs de cet avion ;il faudrait alors comparer au développement de la cellule seulement du F22.
Tout cela , à la louche , pourrait réduire d’un facteur 5 à 10 le ratio brut observé , mais il resterait quand même une forte hausse .
Pourquoi donc ce type d’évolution ?
Il y a plusieurs pistes .
On a observé en France dans l’après-guerre que d’une génération à l’autre d’un type de navire donné (frégate , sous-marin ) le prix à la tonne évoluait comme le PIB pour les navires tête de série (puis il y a une dégressivité dans chaque série).Tout se passe comme si “on” consacrait une part constante du PIB à chaque navire , sans qu’on sache l’expliquer .
Dans le même ordre d’idées , on observe que le ratio PIB / dépenses d’armement évolue très lentement dans chaque pays , et reste dans la fourchette de 0,4 à 0,8 % dans la plupart des pays qu’ils soient producteurs ou importateurs.
Cela ressemble un peu à un taux de prime d’assurance qui serait universellement admis .
Je n’ai pas de tables du PIB américain en $ constants , mais ça serait intéressant de regarder si la hausse Raptor/Mustang après corrections ne ressemble pas tout bêtement à celle du PIB , auquel cas la partie aéronautique du lobby militaro-industriel américain n’aurait pas obtenu un “part du gateau ” exorbitante .
Mais il faut aussi et surtout s’intéresser à la compétition opérationnelle entre les Etats-Unis et l’URSS , qui a fixé le niveau technologique , et son évolution , dite “course aux armements”. C’est elle , avec ses appréciations plus ou moins exactes de la force future de l’ennemi , où peut être entrée une forte dose de lobby ,qui a fait qu’en plusieurs générations le F22 n’a plus rien à voir avec le P51 , et que le Shukoi 27 n’est pas un Polikarpov de 1941.
Le fait que le P51 ait été de la classe du Me109 ou du FW190 en 1944 ne permet en rien de justifier que le F22 aurait dû être au prix du P51 en dollars constants en 2005:le prix du F22 n’est fixé que par son combat avec le Su27.
On peut considérer que le Shukoi a justifié le F22 comme le Me 109 a justifié le Mustang.
Reste à se demander si le F22 est “gold-plated” pour de mauvaises raisons , en fait trop (“overkill”)... c’est plus difficile à dire ; et même si le Su 27 est moins virulent aujourd’hui en Russie (ce que les concepteurs du F22 ne pouvaient prévoir),il y en aura demain des centaines en Chine…
Il faut noter aussi qu’à besoin militaire égal les normes de la société civile , et en particulier l’aversion au risque , ont un impact sur les coûts de développement et de série des armements qui était totalement inconnu au temps du P51 ; il faudrait comparer l’indice des coûts de l’armement à celui de la part des lawyers dans le PIB américain , ce serait sûrement amusant .
Pour l’avenir , il sera très intéressant de suivre dans le budget du Pentagone tout autre chose : l’évolution du ratio R&D/(R&D+production), qui mesure à mon avis la volonté d’avance ou de domination technologique des Etats Unis , mais aussi l’équilibre entre les forces opérationnelles , qui veulent qu’on leur livre des armes , et le reste de la communauté militaro-industrielle . Depuis de nombreuses années , ce ratio est de 50% , ce qui paraît énorme , la production restant très forte et la course aux armements ayant plutôt des raisons de ralentir .
Pourquoi ce fardeau de l’homme américain ?
Tout cela étant dit , et même si vous regrettez souvent que leurs dirigeants ne fassent pas un usage réfléchi de leurs armes , n’oublions pas que des Etats-Unis désarmés , cela n’a jamais été bon pour notre santé !
Philippe Roger
Ingénieur Général de L’Armement (2é.S.)
FB
08/04/2008
Tout en relisant votre article, je n’ai pas pu m’empècher de rire sur les évaluations officielles portant sur l’inflation depuis 1941 ou 45 (peu importe)..
C’est toujours surprenant de lire des évaluations officielles sur la valeur de certaines choses, ramenées à de la monnaie (papier)!
Si on résume, le décalage entre cout d’un avion à capacité “concurrentielle” entre 1941/45 et aujourd’hui présente un dérapage de 1 à 15..
Le cout comparatif des avions de chasse est sans doute plus près de la réalité que les statistiques officielles!
L’argent, et surtout le controle de l’argent, sont des choses importantes!
Certains s’en rendent compte:
http://www.safehaven.com/article-9890.htm
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