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531323 décembre 2019 – Depuis deux ou trois années, Caitline Johnstone est devenue une escale obligée de tout navigateur antiSystème qui se respecte. Elle est particulièrement douée dans les attaques contre la presseSystème et les simulacres qui vont avec. C’est aussi une poétesse et sa forme d’esprit est donc plutôt celle d’une artiste, où la raison n’est pas l’outil dominant, et même dominateur de la pensée. Je ne suis pas loin de cette forme d’intellect, moi qui ai développé le concept d’“âme poétique” (voir La Grâce de l’Histoire, Tome-III/1) et qui ne crains rien de plus qu’une raison “dominatrice et sûre d’elle”, surtout dans notre époque de raison-subvertie. D’où mon attention à la suivre dans ce propos-là...
Je m’arrête en effet à un texte qu’elle a publié le 21 décembre, sous le titre complet de « La sauvegarde de l’humanité sera nécessairement un pas dans l’inconnu ». Ainsi ai-je tendance à la considérer comme une “non-collapsologue” bien qu’elle fasse en un sens de la collapsologie puisqu’elle nous dit sa conviction que rien (de ce que je nomme “Système”) ne peut plus tenir comme vont les choses, que nous allons vers un effondrement.
Mais la collapsologie, qui se voudrait scientifique en un sens, si elle renvoie au principe de l’effondrement, entend proposer de quelle façon se fera l’effondrement, comment les choses se passeront, éventuellement ce qui pourra surgir, se mettre en place, etc. Caitline Johnstone, elle, dit : “cela va se passer” ; puis elle poursuit : “je n’en sais pas plus car ce qui va venir ensuite sera nécessairement inconnu de ce que nous connaissons”. Cette seconde affirmation est justifiée par le fait que tout ce que nous connaissons est marqué par le Système et ne peut donc, ayant dans sa nature des tares indélébiles, servir à bâtir quelque chose qui serait exempt de ses tares.
Je pense que l’on peut dire que, pour mon cas, je suis depuis l’origine de cette hypothèse-là de l’effondrement du Système, et dans cette façon de voir (ou de ne pas voir) : impossibilité de prévoir/de savoir comment va se faire, et même comment se fait (car je pense qu’il est en cours) l’effondrement, et plus encore, de prévoir/de savoir ce qui viendra après. Pour cette raison, je ne me vois pas vraiment comme un collapsologue mais plutôt comme un crisologue (étudiant la crisologie, dedefensa.org se définissant comme « La crisologie de notre temps ») – c’est-à-dire comme un observateur des crises selon l’affirmation que le monde est devenu entièrement et exclusivement une entité et une matière générales crisiques et que là, dans le phénomène de la crise, se trouve la dynamique de l’effondrement, ce qu’il y a de plus instructif dans l’effondrement, ce qui dans l’effondrement arme le plus efficacement les psychologies et les perceptions.
Pour plus de précision, je cite ici un passage du Glossaire.dde sur « L’effondrement du Système ». Il situe assez bien mon point de vue sur le sujet abordé précisément ici ; encore qu’il faudrait relire tout cet article du Glossaire.dde pour bien comprendre ce que j’entends faire comprendre et percevoir à ceux qui me lisent.
« Quoi qu’il en soit et selon ces divers points de vue exposés plus haut, l’on comprend que nous affirmions ne rien prévoir et, surtout, ne rien savoir des modalités chronologiques de l’effondrement du Système. Dans ces affirmations négatives, c’est précisément le “savoir” que nous repoussons. Nous ne savons rien et nous réfutons pour ces cas le “savoir” du “je crois/je pense/je suis sûr que je sais” de certains exercices de prospective et de précision. (Il s’agit là d’une affirmation dépendant de notre conception de l’“inconnaissance”.) Vous ne verrez jamais dans nos textes un raisonnement fondé exclusivement sur une situation hypothétique en 2020 ou en 2025, non plus que sur un texte annonçant l’effondrement pour telle date. Si parfois nous mentionnons et commentons de telles prévisions, voire si nous en avançons nous-mêmes l’hypothèse de sa possibilité à condition qu’elle soit très rapprochée, c’est dans la mesure où nous considérons ces observations comme ayant, quoi qu’il en soit de leur justesse ou de leur fausseté, un effet assuré sur les psychologies, avec à l’esprit l’importance primordiale que nous accordons au domaine de la psychologie (voir l’hypothèse sur l’effet du centenaire de 1914 sur les psychologies, le 2 janvier 2014). Donc, “c’est dans la mesure où nous considérons ces observations comme” antiSystème et contribuant à la déstabilisation du Système, a la transmutation de sa dynamiques de surpuissance en dynamique d’autodestruction, que nous en faisons leur exposition.
» Toutes ces considérations d’inconnaissance circonstancielle concernant la durée et l’aspect chronologique qui lui est lié peuvent être repris pour les circonstances de la crise. Nous ne savons pas ni ne pouvons savoir, et nous nous refusons à savoir ou plus précisément “à croire que nous savons” là aussi. Ces affirmations d’inconnaissance valent d’autant plus que nous affirmons que l’effondrement est “en cours” : il est manifeste que nous ne pouvons savoir quels événements précisément le manifestent, d’autant que nous ignorons ce qu’est l’effondrement. L’inconnaissance règne : elle est forcée mais elle est aussi vertueuse parce qu’elle nous interdit toute interférence qui pourrait entraver le processus. »
Là où je m’éloigne un peu de Johnstone, c’est lorsqu’elle ne cesse de rappeler que rien de ce qui a précédé ne servira en aucune façon à la manufacture de ce qui remplacera ce qui se sera effondré. C’est dans ce passage qu’elle insiste là-dessus, d’ailleurs selon une logique tout à fait convenable :
« Mais si vous y pensez vraiment honnêtement, comment est-ce possible ? Comment un modèle idéologique préexistant peut-il créer une déviation radicale de sa propre nature pour établir ce qui doit être le modèle complètement nouveau ? Toute idéologie que vous mettez sur la table sera presque certainement une idéologie qui a fait partie du modèle collectif de l'humanité depuis des générations, et probablement depuis des siècles. Comment une idéologie qui a été promue dans plus ou moins les mêmes modèles depuis des générations peut-elle éventuellement conduire à une modification radicale du modèle ?
» Croire que l'on peut créer un changement radical de direction en poussant dans une direction dans laquelle les gens poussent déjà depuis des générations, c'est comme croire que l'on peut se sécher en utilisant de l'eau. Les anciens schémas ne peuvent pas créer de nouveaux schémas, pas plus que l'eau ne peut créer l'état de sécheresse. C'est contre leur nature inhérente. »
J’aurais donc tendance à la prendre au piège de sa propre logique absolument juste et fondée. Le problème que je vois dans son raisonnement est que, lorsqu’elle se réfère à ce qui a précédé, elle n’est capable de voir que ce qui a servi à la fabrication du monde épouvantable où nous vivons (le Système) ; et que, rien d’autre que cela n’ayant existé selon ce qu’elle en perçoit, rien de ce qui a existé ne pourrait servir à créer un “modèle” nouveau qui serait à l’abri d’une rechute dans le Système.
La plupart d’entre nous sont victimes bien entendu des simulacres qui servent d’histoire du passé, constamment réécrite par le Système pour que rien d’autre que le Système ne paraisse possible (TINA, – There Is No Alternative). C’est le cas pour Johnstone qui, justement, ne parle que d’idéologies, en affirmant justement qu’aucune idéologie ne peut servir pour reconstruire un “modèle” qui s’effondre, et qui fut effectivement le concepteur de toutes les idéologies. C’est pour cette raison que j’ai trouvé si exceptionnellement utile les travaux de Mircea Marghescu (son livre “Homunculus” sur une “Critique dostoïevskienne de l’anthropologie”), qui nous donne une clef, un outil, pour mieux comprendre notre situation et mieux apprécier ce qui nous a précédé et qui fut rompu quelque part entre “Le Temps des Cathédrales“ et la Renaissance pour accoucher de la modernité et du “déchaînement de la Matière” dont nous souffrons tant… Ainsi, ce que l’on disait de Marghescu il y a quelques semaines :
« Le cas spécifiquement métahistorique choisi ici est inspiré par la thèse de Mircea Marghescu, dont nous avons déjà parlée, dans son livre ‘Homunculus’ sur une ‘Critique dostoïevskienne de l’anthropologie’. Accordant une importance quasiment sans égale sur la signification et l’analyse très originale et décisive de la modernité dans son affrontement avec la Tradition, dans l’œuvre de Dostoïevski, Marghescu écarte l’explication idéologique au profit de l’explication décisivement fondamentale de l’ontologie.
» “Deux hypostases de l’humain s’affrontent, ontologiquement différentes puisque chacune à son ouverture au monde spécifique… […] La transgression dont Raskolnikov se rend coupable et qui plus tard ne fera que se répéter avec le meurtre, n’est pas idéologique mais ontologique ; “avant” et “après”, ce n’est pas d’un même homme puisque le second a une conscience nouvelle dont les compétences ont été “élargies”.[…] On comprend mieux ainsi la teneur du conflit dostoïevskien, – qui n’a rien de commun avec le débat idéologique…” »
Peu importe, finalement, ce que je trouve à redire à la poétesse-polémiste qui s’essaie à une métaphysique dans laquelle la catastrophe métahistorique qui nous accable ne peut nous éviter de nous précipiter, les interrogations auxquelles on peut s’arrêter à propos de la “transcendance” dans son identification improbable de « l’agent de changement pour la transcendance évolutive de l'humanité de ses modèles autodestructeur… » Ce qui m’intéresse particulièrement, c’est qu’une poétesse-polémiste comme elle, avec les pieds bien sur terre, ce qu’il faut d’abattage, en vienne à une réflexion sur la destinée de l’univers après la catastrophe que nul ni personne ne peut désormais nous éviter. Quel contraste avec sa plume acérée et accusatrice dans les habitudes de son site !
C’est qu’en vérité, plus personne n’en peut douter. L’ombre des Derniers Temps nous envahit déjà… Allons, lisons donc Caitline Johnstone.
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Si l'humanité doit se détourner de sa trajectoire actuelle, – meurtrière, omnicidaire, écocidaire, oppressive et exploitante, – elle devra nécessairement s’écarter radicalement de tous ses modèles antérieurs.
On pourrait penser que cela va de soi ; évidemment, un changement radical de comportement sera radicalement différent de celui qui l'a précédé. Cela va de soi. Pourtant, quand vous regardez les arguments que les gens développent aujourd’hui, il y a presque universellement l’hypothèse allant de soi que le salut de l'humanité impliquera d’une certaine manière une continuation de son modèle précédent.
La plupart des gens qui ont une oreille attentive comprennent dans une certaine mesure que le comportement collectif de notre espèce n'est pas durable. Là où ils divergent, c'est sur ce qui devrait être fait pour résoudre ce problème. Lorsque ces personnes s’entendent sur cette opinion, c’est selon l'hypothèse pour chacune d’entre elles que la solution ressemblera à leur propre idéologie personnelle qui l'emportera sur toutes les autres. Les capitalistes croient que le capitalisme apportera des solutions technologiques aux problèmes qu'il a créés, et que cela se produira plus rapidement et plus efficacement si les entraves au capitalisme sont supprimées. Les socialistes croient que le socialisme résoudra les problèmes que le socialisme a été impuissant à résoudre pendant tout ce temps, si seulement la tendance constante de l’incapacité du socialisme à maîtriser les faits est magiquement détournée d'une manière ou d'une autre. Et ainsi de suite.
Mais si vous y pensez vraiment honnêtement, comment est-ce possible ? Comment un modèle idéologique préexistant peut-il créer une déviation radicale de sa propre nature pour établir ce qui doit être le modèle complètement nouveau ? Toute idéologie que vous mettez sur la table sera presque certainement une idéologie qui a fait partie du modèle collectif de l'humanité depuis des générations, et probablement depuis des siècles. Comment une idéologie qui a été promue dans plus ou moins les mêmes modèles depuis des générations peut-elle éventuellement conduire à une modification radicale du modèle ?
Croire que l'on peut créer un changement radical de direction en poussant dans une direction dans laquelle les gens poussent déjà depuis des générations, c'est comme croire que l'on peut se sécher en utilisant de l'eau. Les anciens schémas ne peuvent pas créer de nouveaux schémas, pas plus que l'eau ne peut créer l'état de sécheresse. C'est contre leur nature inhérente.
En raison de notre durée de vie limitée et de notre incapacité cognitive à tout percevoir en même temps, il est difficile d'avoir une vue générale du sort de l'humanité dans son ensemble. Il est difficile de donner l'importance qu'il faut au fait que le jeu de lutte idéologique qui semble se présenter dans une élection particulière dans un endroit particulier qui nous passionne particulièrement a en fait eu lieu partout dans le monde depuis bien avant notre naissance, et qu’il nous a apportés la situation dans laquelle nous nous trouvons maintenant. Le fait de bousculer votre idéologie préférée est inséparable de l'ensemble de notre modèle collectif, et cela a toujours été le cas.
Ce que cela signifie, c'est que s'il doit y avoir une déviation de la trajectoire autodestructrice de notre espèce, la cause de cette déviation sortira complètement de ce qui a existé. Personne ne s'y attendra, car elle ne viendra pas d'une direction que nous avons été conditionnés par notre expérience à regarder. Notre absence de modèle viendra nécessairement d'une direction complètement dépourvue de modèle. Un mouvement collectif dans une direction sans précédent aura nécessairement un antécédent sans précédent.
En quoi ce que je dis vous est-il utile ? Si le seul espoir pour l'humanité réside dans l'arrivée de conditions que vous ne pouvez pas prévoir, alors cela ce que vous pensez ou faites ne fait aucune différence parce que ces conditions arriveront ou non, indépendamment de votre schéma conditionné, n'est-ce pas ?
Eh bien, oui et non. Il est évident qu'il n'y a rien que vous puissiez faire pour créer les conditions d'un agent de changement que vous ne pouvez pas anticiper avec vos schémas mentaux appris. Donc dans ce sens, vous pouvez aussi bien continuer à combattre les salopards de la manière qui vous semble la meilleure pour les tenir à distance pour le moment (et aussi parce que vous les emmerdez). Mais une chose que vous pouvez faire pour aider à graisser les rouages d'un changement drastique est de vous préparer et de préparer le monde à un saut dans l'inconnu.
Car c'est nécessairement à cela que ressemblera une déviation de modèle drastique : un saut dans l'inconnu. Le précipice des changements que nous sentons tous intuitivement à l'horizon est le précipice entre les schémas connus et l'inconnu inconnaissable. L'annihilation que beaucoup prédisent ressemblera à une extinction humaine littérale et pourrait bien finir par se présenter en réalité comme l'annihilation de nos schémas conditionnés. Ce qui est, existentiellement, une sorte de mort.
Donc, ce que vous pouvez faire sur le plan personnel est de laisser tomber votre attachement au connu. Vendez toutes les actions que vous avez investies dans votre schéma mental conditionné et commencez à faire le dur travail intérieur nécessaire pour embrasser l'inconnu et l'inconnaissable. Commencez à vous surprendre vous-même et à ouvrir des portes inconnues pour que la vie vous surprenne. Prenez des risques dans des situations nouvelles et imprévisibles au lieu de vous réfugier dans le connu et le familier. Donnez de moins en moins d'intérêt et d'attention à vos récits mentaux conditionnés et en boucle et de plus en plus au moment présent incontrôlable dans lequel littéralement tout peut naître.
Vous pouvez porter cette étreinte de l'inconnaissable au niveau collectif en créant et en vous exprimant à partir de lui. Faites de l'art qui vient d'une direction sans modèle. Faites des choses qui amènent les gens à s'interroger sur la fiabilité de leurs attentes. Cela peut sembler un cliché, mais il y a une immense sagesse cachée dans le dicton “pratiquez la gentillesse au hasard et créez des actes de beauté insensés”.
Faire de cela votre mode de vie peut aider à créer de petites lacunes dans nos modèles, de sorte que si et quand l'agent de changement pour la transcendance évolutive de l'humanité de ses modèles autodestructeurs arrivera, vous et ceux qui ont pratiqué votre danse sans modèle dans le monde seront mieux en mesure d'improviser avec elle, sans peur ni inertie.
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